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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MARDI 13 AVRIL 2004

DÉTOURNEMENT DE CROISADES

L'idée de solutions onusiennes mérite moins d'enthousiasme qu'on le pense…

En ce lundi de Pâques, 12 avril, on a entendu sur la radio d’État en boucle France Info l’évocation d’un anniversaire parmi les grandes nouvelles du jour. Il s’agissait du 35 anniversaire de la reprise de Franck Sinatra d’une musique de Claude François "Comme d’habitude", devenue "My Way". L'information culturelle était d’importance.

Le même jour, il est vrai, se situait le 8e centenaire de l’un des crimes dont les conséquences furent parmi les plus graves dans l’Histoire culturelle du monde.

Crime assurément collectif : le détournement par les Vénitiens de la IVe croisade, aboutissant, le 12 avril 1204, au pillage de Constantinople par les Croisés.

Le détournement de Croisade est un processus historique dont on peut se demander s'il n'est pas justement toujours lié au "pouvoir gris" (à notre époque : "eurocratie", "ONU", etc. ) en l'occurrence les marins vénitiens allaient pris l'ascendant sur les chevaliers. La IVe croisade ne tirait elle-même sa légitimité que de la prédication de la IIIe, lancée par Innocent III. Elle avait mal commencé dès son arrivée dans la péninsule balkanique par la mise à sac de la ville hongroise de Zara en novembre 1202. La dernière véritable et grande "croisade européenne" — à laquelle participèrent Philippe Auguste et surtout Richard Cœur de Lion, vainqueur de Saladin — a sans doute été, au contraire, cette IIIe croisade prêchée en 1187 à la suite de la chute de Jérusalem, elle-même provoquée par les divisions des Francs et l'indifférence de l'Europe. Elle avait été entreprise victorieusement sous la conduite de l'empereur Frédéric Barberousse.

Étrangement d’ailleurs le 22 juin 1941, c’est du nom de Barbarossa que l’OKW couvrit l’attaque préventive contre l’Union soviétique. Présentée comme une "croisade antibolchevique" cette guerre à l’Est fut elle aussi transformée en campagne impérialiste tendant à l’asservissement et à la colonisation des Slaves (1)…

en somme, le "détournement de Croisade" semble une sorte de tentation de la politique européenne, et les exemples en sont trop abondants.

L'idée que la lutte contre le terrorisme mondial (2) puisse aboutir à une solution onusienne, mérite donc aujourd'hui peut-être moins d'enthousiasme qu'on le pense ordinairement à Paris

Nous ne doutons pas que la prière de Jean-Paul II, déclarant (3) "puisse (l'humanité) tout particulièrement trouver la force de résister au phénomène, inhumain et malheureusement répandu, du terrorisme qui est une négation de la vie", dépasse le cadre de ces manoeuvres.

En 1095, d'ailleurs, lorsque le Pape Urbain II lance depuis Clermont-Ferrand l’idée de la croisade, c’est au contraire dans le but d’unir tous les chrétiens.

Les frictions politiques, les rivalités entre États seront surmontées, notamment lorsque les Croisés arrivés à Constantinople comprennent la nécessité de prêter allégeance à l’empereur Alexis. Et de fait, les Turcs seront ainsi chassés, pendant la campagne de 1097-1098, de l’Asie Mineure dont ils avaient pris le contrôle au lendemain de leur victoire de Mantzikert (1071), ayant même établi leur capitale à Nicée.

Grâce à cette unité des chrétiens, pour près de 250 ans l’Asie mineure était délivrée.

La mort du sultan turc seldjoucide Malik-Shah, en 1092, allait d’ailleurs ouvrir elle aussi, du fait de la dislocation progressive de son empire (4), une nouvelle ère et une nouvelle caractéristique de l’Épopée des Croisades.

Sous ce titre de "l’Épopée des Croisades", on rappelle que René Grousset avait, en 1939, publié l’un de ses trois livres, consacré à cet immense sujet. Il est à noter que les deux autres, la monumentale "Histoire des Croisades" publiée en 3 volumes en 1934-1936 et le petit volume "Les Croisades" n° 157 de la collection Que sais-je publié en avril 1944 rendent des sons très différents. J’avoue ma préférence pour les 128 pages incisives et synthétiques publiées au printemps 1944.

Dès l'édition de 1934, Grousset présente précisément ses travaux, en tranchant ainsi dans l’immense et complexe matière de son "Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem" :

  1. Il y a d’abord (volume I) "l’Anarchie musulmane et la Monarchie franque". C’est le temps des victoires et c’est notamment l’entrée à Jérusalem en 1099.
  2. Puis il y a "l’équilibre" (volume II) entre "Monarchie franque et Monarchie musulmane".
  3. en 1936, paraît enfin le 3e volume : "la Monarchie musulmane et l’anarchie franque". C’est alors, au milieu du XIIIe siècle que les Occidentaux sont définitivement chassés de la Terre Sainte.

La logique est éclairante mais la perspective est déjà faussée par l’absence de symétrie.

D’un côté, il y a des "Musulmans" malgré d’incontestables rivalités dynastiques, nationales et culturelles. En 1098 par exemple les Égyptiens viennent de reprendre Jérusalem aux Turcs Seldjoucides. Ceux-ci vont être harcelés pendant tout le XIIe siècle par les Ismaéliens réformés d’Alamout (les "Assassins") etc.

en face d'eux, René Grousset, comme la plupart des Occidentaux, tend malgré son immense érudition à ne considérer principalement que "les Francs", en oubliant méthodologiquement et ontologiquement à la fois

La mise à sac de Constantinople en 1204, puis le pillage systématique par "les Francs" pendant plus d’un demi-siècle, (5) n’ont pas seulement constitué une faute historique majeure de l’Occident : cela demeure une donnée de la politique étrangère de l’Europe occidentale vis-à-vis de la Méditerranée mais aussi vis-à-vis de l’Est européen et bien entendu de la Russie.

Il faudrait certainement en tirer les leçons pour notre époque si nous ne voulons pas voir les soldats français, engagés depuis 2001 en Afghanistan, mais aussi tous les autres Européens (Britanniques, Polonais, Italiens, Espagnols, etc.) engagés aux côtés de la coalition en Irak n’avoir vocation qu’à être trahis ou dénigrés par la presse de Paris, avant d’être livrés en pâtures aux Barbares, lors d’un nouveau Yalta.

JG Malliarakis

©L'Insolent
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  1. Les Ukrainiens ou les Russes qui auraient pu espérer de cette "croisade" leur libération du stalinisme, ont ainsi connu, en tant que peuples "Slaves orthodoxes" à peu près le même sort, après 2 ans d’alliance hitléro-stalinienne, que celui des "Slaves catholiques" Polonais ou Tchèques.
  2. Sous ses diverses formes il est désormais convergent. Le livre provocateur de Carlos Vladimir Illitch Ramirez le souligne explicitement pour ceux qui ne s'intéresseraient qu'à la théorie et refuseraient de prendre connaissance au quotidien des interconnexions entre narco-terrorisme, islamo-terrorisme et gaucho-terrorisme, les relations troubles entre Corée du Nord et Pakistan, etc.
  3. À l'occasion de son traditionnel message pascal ce 11 avril.
  4. La dynastie seldjoucide connaîtra en effet un émiettement comparable à celui de nos Mérovingiens et Carolingiens, du fait du partage "patrimonial" des successions. La dynastie ottomane, plus expéditive, instaura, deux siècles plus tard, pour une plus grande intégrité de l'Empire turc, la loi dite du "fratricide", prévoyant de mettre à mort tous les frères du sultan.
  5. Ce pillage a continué, sous d'autres formes, de 1260 à 1453, ultérieurement à la délivrance de la Ville par les Paléologues et à la reconstitution du (désormais petit) Empire.

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