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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MERCREDI 21 AVRIL 2004

FAUT-IL CROIRE À LA RÉFORME DOUSTE-BLAZY ?

La seule réforme sérieuse de l’assurance-maladie serait d’en abroger le monopole

Alors que les nuages noirs s’amoncellent à l'horizon de la plupart des réformes envisagées par le gouvernement Raffarin, il paraît que M. Douste-Blazy, encouragé par les plus hautes instances de la république, aurait vocation à mener à bien celle de l’assurance-maladie. Il vient même d'entreprendre la consultation des partenaires sociaux.

La liste est pourtant longue des dossiers sur lesquels le pouvoir recule, tétanisé à l’idée de recevoir à nouveau, le 13 juin, un message négatif des chers électeurs. Et ça tombe tous les jours :

Pourquoi soudain s’acharner sur cette affaire de réforme de l'assurance-maladie dont on sait très bien qu’elle touche plus que toutes les autres au sanctuaire de la gauche ?

Une réponse vient à l’esprit des gens qui se pensent bien informés, et qui propagent la "rumeur de la mort de Dieu" (1). Nous ne sommes pas entièrement convaincus que cette motivation habite nos dirigeants pour qui, officiellement, la sécurité sociale constitue la base même de l'identité française

En 1992, en effet, le gouvernement Bérégovoy signait les 2 directives européennes du Conseil C 92-49 et C 92-96 dont la lecture la plus évidente proclame l’abolition de tout monopole s'agissant aussi bien de l’assurance-maladie que de l’assurance-vieillesse, les organismes de sécurité sociale seraient simplement autorisés à continuer ce métier d'assureur qu'elles pratiquent en dérogation de toutes les clauses prudentielles (absence d'actifs congruents, absence de réserves de vieillissement, etc.).

La bonne nouvelle devait être effective "au plus tard" le 1er juillet 1994.

Or, nous arrivons au 10 anniversaire de cette échéance incontournable et les tribunaux français continuent de condamner les braves gens qui prennent la littérature européenne au pied de la lettre. Et ce point est évidemment capital : ceux qui ont participé à la lutte effective, dans les maquis de la résistance intérieure au monopole oppresseur, et pas seulement dans les studios de la BBC, savent le prix de la Liberté sociale.

Il se peut donc que M. Douste-Blazy, qui a des lettres et qui parle même couramment albanais, ait pris connaissance des documents C 92-49 et C 92-96. Mais comme il n’est pas un disciple de Basile de Césarée quand le Dr Douste-Blazy lit le mot "herbe", il ne pense pas nécessairement à de l’herbe. Il y ajoute un petit quelque chose.

Nous pencherions plutôt pour une hypothèse plus conforme à ce qui transpire des réunions européennes : les déficits publics de l'État français y sont plus clairement mis en accusation que le caractère monopoliste de son système social.

De la sorte, sa réforme ne visera absolument pas à abolir effectivement les monopoles dans le droit intérieur français mais à organiser "rationnellement" ces monopoles pourris. Dans le meilleur des cas, en effet, on s'alignera sur "une nouvelle architecture de la sécurité sociale" proposée par le Medef. Celui-ci n'envisage même pas de rentrer dans la gestion paritaire au conseil d'administration (fictif) de la CNAM, que seule la CGPME s'apprête à réintégrer.

Il est vrai qu’en France, où les monopoles sont jalousement gardés au nom de l’identité nationale, on se méprend souvent sur ce mot. Un monopole ce n’est pas une grosse administration déplaisante, c’est une situation qui impose par une clause pénale soit une affiliation obligatoire soit l’interdiction de proposer un service équivalent : le monopole des Postes Royales commence à la fin du XVII siècle quand Colbert interdit aux autres corporations de distribuer le courrier.

Tant que cette interdiction frappera effectivement, ou tétanise, sans base juridique, les prestataires français ou étrangers de l’assurance-maladie, M. Douste-Blazy ne pourra imaginer de réformer le système actuel qu'en

C’est sur ce 2 point que les bureaucraties syndicales prétendent jouer.

Incapables de sortir du cadre complètement périmé d’une prétendue gestion paritaire de pure façade, où toutes les décisions sont prises par le ministre des Finances et où le Medef ne veut plus siéger, toutes les centrales syndicales françaises ont la prétention, inouïe, de sauver le système sans toucher à la "logique" des doubles prestations (assurance de base + couvertures complémentaires par les mutuelles). Le discours de conservation qui, chose comique, est devenu la substance même de la gauche, se refuse à toute évolution vers l'assurance "dès le premier euro".

Cette "logique" de la double prestation est doublement absurde :

On en a un exemple très clair, très simple, très compréhensible avec les urgences hospitalières auxquelles ont recours 14 millions de Français tout simplement parce qu’elles sont prises en charge et que les dispensaires n’existent pas…

Or, curieusement les adversaires déclarés de la réforme, viennent au secours de cette logique de la double prestation. On le voit clairement dans les textes les plus explicites de la campagne lancée par Mme Catherine Mills "économiste, spécialiste de la santé et membre du PCF [qui] fédère des hommes et des femmes de sensibilités, d'horizons divers : des syndicalistes de la FSU, du Groupe des dix solidaires, de la CGT, des responsables du PCF, des Verts, de la LCR, des économistes, des sociologues, des professionnels de la santé, des mutualistes, des responsables d'ATTAC, de la Fondation Copernic et d'autres associations." (2)

On semble donc s’acheminer vers une nouvelle tentative de "réforme" tendant à diminuer les remboursements et, progressivement, à les moduler selon les revenus.

Cette belle idée discriminatoire tendra à ridiculiser un peu plus le discours sur "la solidarité" et elle aura pour effet de faire prendre conscience à de nouveaux secteurs sociaux la perversité du système.

Déjà la CGC s’inquiète de la "franchise" à géométrie variable qui éliminerait les cadres du bénéfice de l’assurance-maladie sur le petit risque.

Si une telle prise de conscience pouvait les amener, ou conduire au moins une partie d’entre d’eux, à basculer dans l’hypothèse d’une assurance enfin libre, la réforme Douste-Blazy, sans peut-être s’en rendre compte, sans certainement le vouloir, aurait rendu un signalé service à la cause de la liberté.

Plus problématique en revanche nous semble l’hypothèse d’une réduction tendancielle des déficits publics français résultant d’une telle réforme de l’assurance-maladie, l’expérience a largement prouvé, en effet, qu’aucune piste de redressement financier n’était à chercher sur ce terrain.

Or il semble bien que le "retour à l'équilibre" soit le but recherché de cette réforme, compte tenu de la faiblesse de la position française en Europe résultant de la situation des déficits publics : pour faire semblant de rentrer dans les critères de Maastricht la France va feindre de réformer son système d'assurance-maladie.

Qui pense-t-on tromper de la sorte ?

JG Malliarakis

©L'Insolent

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  1. Les familiers de Zarathoustra savent bien que seul un forcené peut crier haut et fort cette improbable nouvelle. Il le fait d'ailleurs avec beaucoup d'éloquence et de sens tragique : "comment avons-nous pu vider la mer ?" Mais il reste seul… La "rumeur de la mort de Dieu" se propage donc sans lui, sinon contre lui…
  2. Cf. L'Humanité du 16 avril.

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