Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent... Utiliser le Moteur de recherche

BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

VENDREDI 23 AVRIL 2004

LA DÉCENTRALISATION, LA FISCALITÉ ET L’EUROPE

Un Santini peut faire tous les efforts qu'il veut : ce ne sont pas les entrepreneurs qui votent.

La récente rencontre entre M. Raffarin et les présidents de régions issus du scrutin du 28 mars a donné à nouveau la mesure des incompréhensions du fait régional dans la politique française. Ceci remonte en partie à plus de 20 ans, aux lois Defferre de 1982. Mais on pourrait même considérer aussi que dès la création des "régions" en 1972, après l’échec du référendum d’avril 1969, l’ambiguïté était au cœur même du nouveau système.

À la fois en effet on voudrait bien présenter la régionalisation d’État comme une liberté reconnue à des territoires plus ou moins historiques et culturelles – cette liberté "à la française" est exclusive de toute véritable responsabilité.

Depuis 30 ans, les collectivités territoriales de la République française se sont multipliées par 2 en nombre d’échelons : on en arrive pratiquement à 6 (1). contre une norme de 3 dans le reste de l’Europe.

Or, on a appelé décentralisation la simple multiplication mathématique du nombre des missions et des charges qui leur ont été transférées.

On a considérablement développé la dépense publique locale et régionale.

Mais en contrepartie la liberté de gérer leurs recettes n’a pas cessé d’être rognée au profit du mécanisme typiquement français de la DGF, dotation globale de fonctionnement, reposant sur un principe scandaleusement redistributif lui-même aggravé par les lois Chevènement et Gayssot de "solidarité urbaine".

Par exemple nous avons sous les yeux un tableau édifiant (2) du taux de fiscalité locale et de son évolution récente par département. Il fait très clairement apparaître, en ce qui concerne la Taxe professionnelle qui constitue l’un des meilleurs indices, la différence entre

- des départements que nous qualifieront de vertueux avec des TP aux dessous de 6 et qui ne varient pas (par ex. Yvelines 4,6 Hauts-de-Seine, 5,4 Loiret 5,3 Indre-et-Loire 5,6 Maine et Loire 5,9)

- et des départements fiscalistes avec des TP deux fois plus élevées, supéreures à 12 et en constante augmentation. Ce sont des régions du Sud Ouest à très faible activité industrielle, dominés par de fortes traditions socialistes ou bonapartistes comme le Gers et le Tarn à 13,6, l'Aude à 13,4, les Hautes Pyrénes à 13,2 l'Ariège à 12,9. Les Bouches-du-Rhône arrivent dans certains cas à 18,1… Hors concours !

Mais ce qui s’est singulièreement aggravé c’est la diminution du degré de responsabilité.

Aubervilliers communiste peut continuer à voir mourir ses 23 000 ha de friche industrielle et, à l’inverse, M. Santini peut faire tous les efforts d’accueil à Issy les Moulineaux : ce ne sont pas les entrepreneurs qui votent. Ils ne sont là que pour payer. Et, pire encore, le budget d’une commune est alimenté en grande partie par l’État central.

La France alourdit donc, d’année en année, l’incohérence de son système fiscal monstrueusement centralisé.

Il était donc très intéressant d’entendre sur ce point les économistes de l’Aleps qui constituent, à droite, la SEULE équipe de caractère scientifique et universitaire (3) face aux envahissants délires d’ATTAC, de la Fondation Copernic et tutti quanti.

Le 21 avril, réunis autour du professeur Jacques Garello, nous pûmes ainsi entendre successivement Mme Benoîte Taffin, porte-parole de Contribuables associés, M. Yves Michaux, de l'Ifrap, Mme Virginia Curzon-Price, professeur à l'université de Genève, et pour conclure le professeur Pascal Salin faire le procès du concept d’harmonisation fiscale européenne.

Un important travail comparatif d'évaluation quantitative et qualitative, selon différents critères, de la décentralisation fiscale va bientôt être disponible grâce à un numéro spécial du "Journal des Économistes et des Études Humaines" publié par l’IREF (4) sur l’indice de Décentralisation fiscale où il apparaît que la France avec la note moyenne de 1,5 est, juste avant l’Irlande (1,3), et après le Royaume-Uni, l’un des pays les plus centralisés d’Europe, à l’inverse de pays comme la Suisse, évidemment, mais aussi le Danemark, la Suède, l’Allemagne, la Pologne ou l’Italie (dont la note moyenne tourne autour de 3).

Mais si la centralisation irlandaise est "cohérente" (c’est un petit pays où la dépense est aussi "centrale" que les recettes), la France pratique, elle, un "centralisme incohérent". Le centre décide et encaisse les impôts et les taxes, que les régions, les départements, les villes, les syndicats de commun et les pays dépensent.

Nous ignorons encore si ces universitaires amis ont étendu leur investigation à la comparaison du financement des dépenses sociales, mais il nous semble bien évident que l'incohérence française bat, dans ce domaine, tous les records. Et cependant l'obligation étatique et pénale, — assise sur la réglementation étatique et sanctionnée par des tribunaux spéciaux dits des "affaires de sécurité sociale", — en est beaucoup plus forte en France que partout ailleurs. La question n'est pas mince : les recettes drainées par l'Urssaf de Paris-Montreuil dépassent celles de l'impôt sur le revenu à l'échelon national.

Chose plus grave, le modèle français tend à s’exporter dans le cadre européen.

Quantitativement, nous ne partageons pas l’idée que l’Europe soit bien budgétivore. Son budget global est de 102 milliards d’euros, il ne représente que 1,10 % du PIB.

Qualitativement, en revanche ses dépenses sont "incohérentes". Elles ne sont que des dépenses redistributrices, des subventions arbitraires : 48 milliards d'euros pour la PAC, 37 milliards pour les fonds structurels, etc.…

De ce fait, l’Europe de la redistribution profite en premier aux sociétés criminelles du Mezzogiorno italien, ce que l’on appelle sous le terme générique de Mafia (5). Car ce sont les gens les mieux organisés pour frauder le système. Mais, qu'on se rassure, quelques imitateurs ont réussi à les concurrencer, comme les éleveurs de vaches fictives corses, et globalement à se faire une place sur le marché de la fraude. L’arrivée de l’Est européen ne devrait pas amoindrir le phénomène.

Avec son talent habituel et sa haute compétence, M. Pascal Salin n'a pas eu de mal à convaincre l’assistance que l’harmonisation était le contraire de l’harmonie (6). L’harmonisation fiscale en Europe est, cependant, la grande idée du gouvernement français pour empêcher la concurrence. Or, il doit être bien clair que les administrations gagneront, et que les administrés profiteront, d’une concurrence faite de diversités (7).

À terme, cependant, ce qui doit nous préoccuper ce n’est pas seulement de permettre aux jeunes Français de fuir l’enfer fiscal français. C’est que cette possibilité, déjà mise en pratique, incite la France à se ressaisir et à réformer ses modes de prélèvements dans le sens d’un tribut plus léger et d’un système plus cohérent et concurrentiel.

L’Insolent est, et demeurera, profondément convaincu du bien fondé d’une démarche européenne, d’un comparatisme européen et international, non pour imposer à la France une tutelle étrangère, mais précisément pour éviter que la dégringolade de ce pays n’aboutisse un jour à

JG Malliarakis

©L'Insolent

Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent... Utiliser le Moteur de recherche

(1) avec l'apparition de la région, du pays et de l’intercommunalité, sans disparition correspondante du département ni création de la municipalité de canton dans les zones rurales

(2) Publié par les Échos des 16 et 17 avril.

(3) Il existe, heureusement, de nombreuses autres initiatives, complémentaires, éventuellement plus dynamiques, et elles méritent toutes, bien évidemment, d'être suivies et soutenues. Ce qui est IRREMPLAÇABLE, dans le cas de l'Aleps, c'est qu'elle livre des matériaux de niveau universitaire. Sur la sécurité sociale, et sur le caractère néfaste de son monopole, par exemple, les premiers travaux de Jacques Garello remontent à 1974 : 10 ans avant la parution en collection Pluriel de "La Fin des retraites" de Babeau.

(4) On peut commander ce numéro au prix de 15 euros à l’Aleps, 35 avenue Mac Mahon 75017 Paris.

(5) Pèle mêle : "honorable société" palermitaine, coupole, cosa nostra, camorra napolitaine, santa corona unita des Pouilles, n'dranghetta calabraise… le choix est vaste.

(6) Il citait l'exemple de Tirana capitale albanaise, portant encore les stigmates du communisme : c'est sans doute la ville la plus "harmonisée" du monde, ce n'est pas la plus "harmonieuse" mais sans doute l'une des plus laides.

(7) Une partie non négligeable des interventions a consisté à démolir le sophisme bien connu de "l'organisation des conditions égales de la concurrence". Nous éprouvâmes, à tort, le sentiment qu'on aurait pu s'en dispenser. En réalité tous les braves gens veulent généreusement donner à tous "l'égalité des chances". Chassez ces bons sentiments naturels ils reviennent au galop.

Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent... Utiliser le Moteur de recherche

Vous pouvez aider l'Insolent ! : en faisant connaître notre site à vos amis • en souscrivant un abonnement payant