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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MERCREDI 5 MAI 2004

LES ALLERS-RETOURS DU CHEIKH BOUZIANE

Un sac de nœuds gordiens : comment les trancher tous ?

À défaut de satisfactions du point de vue de la libre entreprise, on aimerait se consoler en pensant aux avancées de la sécurité intérieure en France.

Ainsi, pendant 2 ou 3 jours, entre le 19 et le 23 avril la nouvelle centrale diffusée par l’AFP, avait été l’expulsion le 20 avril de l’imam extrémiste de la mosquée "Urssaf" de Vénissieux, le sieur Bouziane.

La base de cette rare décision administrative avait été un simple entretien accordé par Abdelkader Bouziane au journal Lyon Mag. Le maire communiste de Vénissieux avait protesté contre ses propos. Et la république, forte de la caution morale des derniers staliniens du PCF, l'avait renvoyé dans son Algérie natale. Abdelkader sort.

La salle applaudit. Fin du premier acte.

Ses déclarations jugées incendiaires n’étaient pourtant que maladroites. On pouvait les tenir comme l’expression d’opinions religieuses puisque, finalement, sur la condition des femmes, il s’agissait, grossièrement exposées, de celles que beaucoup de lecteurs tirent du Coran.

Le droit à la polygamie, par exemple, est pratiquement reconnu par la sécurité sociale et par une convention franco-marocaine, indépendamment du fait que le Code Pénal français en fait, anachroniquement, un délit.

M. Bouziane, nous dit-on, n’est pas français. Il serait donc, pense-t-on un peu rapidement, légalement expulsable. On l’a mis, sans incident, dans un avion à destination de l’Algérie, où il est né en 1952 (1). Jusqu’à l’âge de 10 ans, Bouziane était français en Algérie. Depuis 20 ans, il était algérien en Métropole. Est-il actuellement plus heureux dans son paradis indépendant ? Bonne question, merci de l’avoir posée.

Or, il y a précisément une suite. La république laïque et obligatoire ne recule jamais, c’est bien connu. Mais elle évolue.

La réalité juridique, connue de certains depuis assez longtemps (2), c'est que l'expulsion de cet imam n'est pas légale et que ceci explique peut-être la facilité avec laquelle l'intéressé est monté dans un avion pour ce qu'il pensait n'être qu'un aller simple.

Odieux contretemps : le pouvoir judiciaire, pouvoir d’ailleurs exceptionnellement muselé dans le cadre des tribunaux administratifs, a semblé s’émouvoir des bases sur lesquelles cet étranger a été prié de quitter l’hexagone. Et dès le 23 avril le Tribunal administratif de Lyon cassait en première instance l'arrêté d'expulsion.

À la fin de l'acte deux, le compte à rebours du retour de l'imam commence.

Matériellement, en effet, il ne s’agit que de "déclarations". Pis encore : un article fait par un journaliste qui, comme toutes les interviews, n’est pas l’œuvre de la personnalité incriminée. Dans certaines circonstances, on va jusqu’à considérer que le principal auteur est le journal, le journaliste n’étant que le complice de l’éditeur… Quant à l’interviewé, on le dira, "provoqué", "encouragé". Ouais.

Autre aspect du problème. Si les actes auxquels il incite tombent éventuellement sous le coup du Code Pénal français (3) les propos du sieur Bouziane, qui autorise le mari à battre sa femme, relèvent grosso modo de ce que pensent beaucoup de musulmans.

On est donc en droit d’invoquer l’un des droits reconnus, ou plutôt affirmés, par la Déclaration de 1789 : la liberté d’opinion "même religieuse". Certes ce droit est plus ou moins limité par les bonnes mœurs, la bienséance, les usages.

Tout cela semble constituer une collection de nœuds gordiens. À trancher le plus rapidement possible. On demande un Alexandre de Macédoine à la réception, SVP.

Car nous nous trouvons précisément à un carrefour.

En 1954, dans les premières semaines de l’insurrection algérienne, la justice de la république avait entrepris d’ouvrir une procédure pour chaque incident. Le recours aux armes collectives était-il justifié ? Les officiers français devaient s’expliquer. Il a bien fallu mettre un terme à ces mascarades et retirer à la magistrature (4), le droit de venir avec ses critères hors de saison. Les égorgeurs du FLN n’étaient même pas convoqués comme témoins.

Mais, dira-t-on : sommes-nous en guerre avec l’islam ?

Stricto sensu, le bruit que cette guerre aurait déjà commencé s'est répandu aux alentours de l’an 630 après Jésus-Christ. Il continue de se propager.

Du point de vue de l'opinion musulmane, Mahomet est "le Sceau de la Prophétie". Et, là encore, puisque Mahomet est le sceau de la prophétie, nous, chrétiens, juifs ou autres, n’avons plus qu’à nous incliner : c’est probablement un peu de ce que pense le cheikh Bouziane, et avec lui beaucoup de musulmans.

On se situe toujours, de manière ambiguë, sur le terrain de l'opinion religieuse d'une opinion qui ne tolère pas qu'on la tienne pour intolérante.

Et puis un autre aspect, vient tout balayer.

Le cheikh Bouziane est père de 16 enfants et le mari de 2 femmes. Délit ? Peut-être. Voir plus haut.

En tout cas, la seconde épouse doit recevoir des allocations familiales supérieures à la première puisqu’elle est mère célibataire.

Elle bénéficie, à ce titre, de divers suppléments d'aides dont l'API, allocation de parent isolé.

Et M. Bouziane a très probablement une délégation pour faire virer l’intégralité de ces allocations sur son compte bancaire.

Quel métier exerce-t-il ? On ne le saura pas.

Pour l’essentiel, nous sommes en présence de 16 + 2 = 1 = 19 personnes plus ou moins entretenues par le système social d'une république qui, depuis 1905, "ne salarie ni ne reconnaît" aucun culte. Sauf celui-là.

Minute (5) se livre à un intéressant calcul de ce que touche le groupe familial Bouziane, probablement représenté par le cheikh et lui seul. Au total le journal arrive à une somme mensuelle de 3 812 (ménage légal) + 5 463 (deuxième "épouse") = 9 275 euros soit plus de 61 000 francs par mois. Et encore, le journal reconnaît que l'existence de certaines aides a pu échapper à sa documentation. M. Marsaud, député, a déposé une question au gouvernement : on attend la réponse pour connaître le coût exact de la famille Bouziane.

Bien évidemment, tous ces gens, venus en Métropole grâce à la Loi du Regroupement familial, ou nés en France, sont presque tous des ressortissants français. Sauf M. Bouziane qui n’y a probablement jamais songé. Ils sont français à 95 %.

Mais alors démographiquement ce qui compte ce sont les 18 autres membres de la famille Bouziane qui demeurent sur le territoire républicain, laïc et obligatoire et que nous allons chouchouter bien tranquillement en attendant le retour du père. Retour inéluctable, semble-t-il, à moins que, sur place, la police et/ou l’armée de l’humaniste Bouteflika commette une regrettable bavure. En tout cas, le 3 mai, on apprenait que M. Bouziane attendait patiemment son visa de retour en France.

Ne devrait-on pas alors, pour éviter tous ces tracas et ces inutiles allers-retours songer à prévoir un regroupement familial réciproque ?

Tout expulsé aurait ainsi le droit de voir ses femmes, ses enfants, et même d’autres, le suivre sur la route de Memphis ou sur la route de leur très chère patrie d’origine.

Ce serait, au fond, plus humain. Et moins cher.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) L'Algérie était alors un ensemble de 3 départements français qui devinrent 12 départements "français à part entière" en 1958 quand le général De Gaulle "eut compris" les partisans de l’Algérie française.

(2) Voici même ce qu'écrivait en 1998 M. Jean-Pierre Rondeau : "situations pénibles et inextricables. Elles découlent du Droit du sol et du Regroupement familial de MM. Giscard-Chirac. Lois confirmées par les lois Chirac-Pasqua et Juppé-Debré et, bien sûr, Jospin. La majorité des clandestins n’est légalement pas expulsable. Grâce à ces lois, même un clandestin criminel qui a fait moins de 5 ans de prison ne l’est pas, s’il a fait un enfant en France. Ce dernier, né potentiellement français et donc inexpulsable, bénéficie du regroupement familial. Il légalise donc la présence de ses parents pourtant entrés en fraude. Et si le père a fait plus de 5 ans ? Un tribunal jugera si le fait de l’expulser ne va pas à l’encontre des intérêts de l’enfant. Aussi, quand un immigré, qui, lui, n’a commis aucun autre délit que la recherche d’un monde meilleur, est devenu parent d’enfant né français, il n’est pas expulsable."

(3) Mais ils sont acceptés par le Code algérien, soi-disant "laïc", de la famille promulguée en 1984. Or certaines conventions commencent à réintroduire en France un aspect du Droit barbare aboli au VIIsiècle par Dagobert en reconnaissant le "droit national" des communautés étrangères sur le sol de la république (ainsi la polygamie marocaine). On peut donc imaginer un jour où le Code algérien de la Famille pourra être invoqué devant les tribunaux s'agissant de familles "d'origine" algérienne. Le communautarisme ce n'est pas autre chose.

(4) Cessons de dire "la Justice", le mot est ambigu.

(5) du 28 avril.

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