BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
JEUDI 6 MAI 2004
LA SOCIOLOGIE POLITIQUE EST-ELLE UNE SCIENCE ?
Et si l'action civique ne consistait pas seulement à prendre l'argent des riches et les suffrages des pauvres
Recevant demain dans mon libre journal sur Radio Courtoisie, Mme Catherine Rouvier, notre entretien porte sur les dimensions, désormais européennes, de la vie et de la Sociologie politiques. Son livre (1) s'achève sur la perspective de véritables formations politiques européennes. Cette éventualité a été entrouverte par le traité négocié à Maastricht en 1991, complétée par le laborieux accord marchandé à Nice en décembre 2000, car on aboutit au concept de financements européens de tels partis. Les Verts semblent être les premiers à s'y engouffrer : ils aiment certainement les pâquerettes, mais ils ont toujours su compter les dollars, dont ils ont adopté la couleur.
Universitaire, Mme Rouvier enseigne la Sociologie politique à l'Université de Paris-Sud-Sceaux. Citoyenne, elle a accepté des candidatures militantes pour la Droite que je me permets de qualifier d'institutionnelle. Européenne convaincue elle se dit favorable au projet Giscard de Constitution, et ceci pour des raisons, objectivement fortes, quoique logiquement paradoxales.
Dans sa rédaction actuelle, un tel texte ne permettrait, en effet, pas beaucoup d'avancées à l'idéologie purement supranationale de l'Europe. Cela est vrai puisque l'un des défauts majeurs (à mes yeux) de ce projet est de réaffirmer la supériorité du Conseil européen, formé des chefs de gouvernements mais aussi aux Conseils des ministres, sur la Commission. On en arrive donc à un système bancal et bicéphale.
La question que je me pose, et que je pose alors à Mme Rouvier, est de savoir, au fond, si en balançant le pouvoir des Eurocrates de la Commission, par celui des États et de leurs bureaucraties, on fait vraiment beaucoup avancer la cause de l'Europe des peuples et des libertés.
Il est néanmoins vrai qu'il faut, coûte que coûte, enrayer la perspective
Alors oui, on veut bien admettre que, s'il permettait vraiment d'éviter ces écueils effectivement menaçants, le projet de Constitution pourrait sembler un moindre mal.
On le voit ainsi, abordée de la sorte, la politique peut paraître plutôt comme un art, une technique, une praxis, plus qu'elle ne repose sur une science, qu'elle ne dérive d'une logique pure, qu'elle n'incarne des vertus permanentes.
Or, tout l'intérêt du travail de Mme Rouvier est de relier, au contraire de cette apparence, l'actualité de la vie politique à la grande histoire des idées, et de ne pas la faire commencer sottement à 1789 ou à Jean-Jacques Rousseau. Incroyable mais vrai ! On a pensé en Europe indépendamment, et même souvent beaucoup mieux, et même bien avant les prétendues Lumières du XVIIIe siècle ! La politique comme art de gouverner, comme technique d'oppression, ce sont déjà des penseurs comme Machiavel ou comme Hobbes ; le véritable esprit européen c'est autre chose. Et la nature humaine mérite mieux que le conditionnement des masses ou la dialectique marxiste.
Disons-le aussi : "la tentation de penser contre le passé" (Daniel-Rops cité page 43) aura été un mal permanent des idéologies dominantes depuis quelque 200 ans. Depuis 1964, on va plus loi, on nie le passé : littéralement tout ce qui est antérieur à la mort de John Fitzgerald Kennedy est supposé ne même pas avoir existé. Mme Rouvier ne tombe assurément pas dans ce travers et, de ce point de vue, son petit livre sera le compagnon et le point de repère indispensable de tous ceux qui souhaitent penser la vie de la Cité en termes plus équilibrés que le funeste Voltaire écrivant stupidement : "vous voulez faire de bonnes lois, brûlez celles que vous avez".
Au-delà et après les modes de pensée et d'action des XIXe et XXe siècle, une permanence des vérités se dégage. Des "fondements humanistes" (à partir de la Renaissance pages 43 et suivantes), au "regain de l'idéologie" mesuré dans la France de 2002, où 8 000 candidats se sont manifesté lors des élections législatives (pages 148 et suivantes) on a le droit d'évaluer une continuité.
Oui, alors, on peut regarder la sociologie politique comme un ensemble coordonné de connaissances, qui peuvent être utiles à l'action civique.
Et on pourrait recommencer à imaginer une situation où cette action civique ne consisterait pas seulement à prendre l'argent des riches et les suffrages des pauvres sous prétexte de les protéger les uns des autres, mais à consolider les bases d'une société de liberté et de responsabilité.
Utopie ?
Mme Rouvier donne l'air de croire que certaines "utopies" sont bénéfiques (2).
Mais assurément elle ne semble pas ranger l'idéologie du parti communiste français dans cette catégorie et tout citoyen devrait avoir intériorisé le contenu des pages 174 à 176 qui lui sont consacrées.
Le jour où apparaîtront des formations politiques européennes véritables, non seulement le PCF y fera figure de vieillerie stalinienne scandaleuse, mais encore l'attitude complaisante des partis français actuels vis-à-vis de ce dinosaure méchant ne sera plus possible : aux côtés des travaillistes anglais et des sociaux-démocrates allemands, on ne pourra plus se dire "socialiste européen" et demeurer l'allié de la CGT hexagonale.
JG Malliarakis
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1. "Sociologie Politique" (Litec, 3e édition, 2004, 196 pages, 25 euros)
2. Et elle semble le dire dès son exposé des idées politiques de Platon (pages 18 et suivantes). On retrouve la même complaisance à propos du "catholique" Thomas More. Ceci nous donne d'ailleurs l'occasion d'une petite critique éditoriale. Ce livre a le mérite, en effet, de donner des repères à partir de la pensée grecque. C'est désormais assez rare pour être signalé. Mais on y remarque aussi que l'édition française contemporaine ne sait même plus typographier correctement les citations grecques : voila qui nous paraît une mesure quantifiable des progrès de la Barbarie dans notre société.
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