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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MARDI 18 MAI 2004

MENACES SUR LA PUISSANCE INDIENNE ?

L’Inde demeurera potentiellement une puissance majeure du XXI siècle

(Ci-dessus : la bourse de Bombay, Sonia Gandhi, et le chef du parti dravidien M. Karunanidhi)

Dans un discours célèbre aux intellectuels de son pays, le mahatma Gandhi lançait : "Que savez-vous de l’Inde ? L’Inde ce sont 600 000 villages !" (1) Et, bien entendu, ni son discours, ni ces lignes ne s’adressent aux technocrates et conseillers présidentiels, comme M. Alexandre Adler en France qui savent tout de l’Inde, de la Chine et de l’avenir du monde.

La défaite électorale de la coalition nationaliste et libérale du BJP, (2) a surpris tout le monde. Et ils sont bien pittoresques, ces commentaires qui fleurissent spontanément depuis le 14 mai : ce résultat, totalement inattendu, est analysé, après coup comme une évidence. Seul le grand quotidien The Hindu de Bombay ne partage pas cette autosatisfaction des analystes.

Il est vrai que la Bourse de Bombay a dégringolé depuis 4 jours, à une allure inquiétante : encore – 15 %, avec le décalage horaire ce lundi 18 à 8 heures 30, après une séance catastrophique le vendredi 14. Puis un regain, etc. 11 %.

La bien-pensance occidentale a néanmoins toutes les raisons de se féliciter. En faisant perdre 100 sièges à la coalition sortante, les électeurs de la plus grande démocratie du monde redonnent leur chance à la 4 utilisation du nom "dynastique" de Gandhi, la veuve... du fils... de... la belle fille... de Jawaharlal Nehru… la charmante Sonia Gandhi. Ce n’est pas "l’Inde qui brille", c’est l’or étincelant du parti du Congrès, cette étoile que l’on croyait définitivement éteinte ! Étant elle-même victime de certaines campagnes qualifiées de "xénophobes", Sonia Gandhi a par définition, aux yeux des nos médiats, toutes les qualités.

Bref, vu de Saint-Germain-des-Prés, le parti du Congrès en Inde c'est presque aussi beau et immaculé, presque aussi souhaitable que le parti démocrate aux États-Unis. L'Inde va (re)devenir politiquement correcte  !!!

Hélas, pas plus que M. Vajpapee dont le parti nationaliste n’a jamais eu la majorité à lui tout seul (3), l'ancien parti de Gandhi ne retrouve absolument pas cette majorité écrasante des années 1960, à l’époque où le pandit Nehru scintillait aux sommets du tiers-mondisme, fort d’une belle et bonne alliance avec l’URSS.

Contrairement à la surprise de Madrid, le mois dernier, provoquée par l’attentat criminel monté par les islamistes, la surprise indienne permet aux commentateurs agréés de gloser sur la défaite du libéralisme et sur l’alléchante hypothèse de voir demain le parti du Congrès gouverner l’Inde, non plus avec le soutien international de l’URSS, mais avec celui des communistes. Quelle merveilleuse avancée !

Les députés d’extrême gauche à la 14e législature de l’Union indienne seront au nombre de 59. Ils sont répartis en plusieurs partis, dont 2 sont officiellement communistes. Le principal est le CPIM, parti communiste marxiste qui détient 43 sièges et qui, tenant compte de l'expérience de 1996, donnera, selon la formule bien connue son "soutien sans participation" au gouvernement.

Propagée, frauduleusement sans doute, abusivement en tout cas, la rumeur d’un pouvoir donnant des postes significatifs aux communistes a fait chuter l’indice boursier (4) d’un record de 786 points pour arriver à 4 293. L'indice a remonté au cours de la 3e journée au-dessus de 4 500 points.

En réalité, les manipulateurs de l’opinion, se préoccupent essentiellement du rôle que jouera l’ancien ministre des Finances des derniers gouvernements congressistes, le Dr Manmohan Singh. Celui-ci plaide pour que les 300 députés sur lesquels s'appuiera le gouvernement de New Delhi soient plutôt comptabilisés parmi la pléiade de petits partis régionaux ou minoritaires. Le principal d’entre eux est le parti dravidien DMK. Son chef M. Karunanidhi "se fait prier". On sait cependant qu’il a eu un entretien privé de 45 minutes le 16 mai avec Sonia Gandhi à sa résidence du 10 Janpath, et qu’il était le premier parmi les 17 autres chefs (!) de partis de gauche coalisés à suggérer officiellement que "l’Italienne" soit nommée Premier ministre.

La question des minorités et des castes, quoique souvent non dite, est évidemment essentielle en Inde. On rappellera au besoin que Rajiv Gandhi avait été assassiné en 1991 par un séparatiste tamoul. C’est probablement une donnée au moins aussi importante que la confrontation extérieure avec le Pakistan et l’islamo-terrorisme au Cachemire.

Le Dr Singh a été en 1991 le véritable Père des réformes économiques que les hindouistes nationalistes du BJP ont continuées. Il n’y a donc pas de vraie raison de penser que les privatisations et les libéralisations soient amenées à reculer. Les bien-pensants français aiment à tirer actuellement de ces élections indiennes comme des élections espagnoles la certitude que les politiques économiques de centre droit sont condamnées et que le monde va vers une confirmation des idées de José Bové, qui sont aussi celles de Jacques Chirac. Ils devront bientôt déchanter.

Depuis bientôt 10 ans, l’Inde est une puissance émergente. On le mesure en termes économétriques à son taux de croissance régulièrement supérieur à 6 % l’an (5). Ceci doit beaucoup à une ouverture à la libre entreprise. Contrairement à la Chine, elle a choisi un système politique de démocratie parlementaire. C'est, comme chacun sait le pire des régimes… ("à l'exception de tous les autres", précisait Winston Churchill). Et ça produit des effets d’alternances dont nous parierions plutôt qu’ils seront comparables à ceux de Tony Blair en Grande-Bretagne.

Or, la vraie question, pour l'Inde comme pour la Chine, contrairement à ce que croient les adversaires de la libre entreprise, ce n’est pas tant la gestion des disparités et inégalités, inhérentes à tout processus de développement et de progrès (6), mais celle des forces centrifuges, minorités ethniques, basses castes, religions étrangères à l'hindouisme, etc.

Si ces forces centrifuges devaient vraiment l’emporter, alors oui la puissance indienne, ascendante mais encore virtuelle, serait dangereusement menacée.

Mais sur ce point, rien ne nous dit que la manière indienne, apparemment "douce" et démocratique, ne soit pas, précisément, plus habile à long terme que la manière chinoise actuellement "forte" et autoritaire : on le mesurera dans lsiècle à venir. Notre sentiment dominant serait plutôt de dire : l’Inde demeure (7) potentiellement une puissance majeure du XXIe siècle.

JG Malliarakis
©L'Insolent
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(1) L'Union indienne, depuis 1947, ce sont aussi 35 États et Territoires différents.

(2) Le Premier ministre sortant, Atal Behari Vajpayee, âgé de 79 ans, est le chef du BJP mouvement nationaliste hindou Bharatiya Janata Party . Il dirigeait depuis 1999 un gouvernement de coalition.

(3) Les commentaires agréés sont d'autant plus ridicules que le détail des résultats électoraux ne se résulte pas, bien au contraire, d'une lame de fond du parti du Congrès surclassant le BJP. La coalition BJP obtient 35,31 % des voix contre 35,19 aux 19 partis associés autour du vieux parti Congrès. La coalition sortante NDA perd certes 1,68 % des voix, mais le Bharatiya Janata parti hindouiste qui se trouvait allié aux partis régionaux et ne disposait dans la 13e législature élue en 1999 que de 182 sièges sur 545 avec 23,75 % des voix. Dans la nouvelle assemblée il disposera de 138 députés. Le parti du Congrès, du fait de son système d'alliances, est passé de 114 sièges avec 29,8 % des voix à 145 sièges avec 28,3 % des voix.

(4) Il s'agit de l'indice Sensex des 30 principales valeurs du Bombay Stock Exchange. Ce sont les valeurs de cet indice qu'achètent notamment les opérateurs et investisseurs internationaux qui misent volontiers sur les marchés émergents.

(5) Malgré la conjoncture, la croissance projetée est de 8 % pour l'année 2004 après avoir atteint un rythme annuel de 10,4 % au dernier trimestre 2003.

(6) Qu'il me soit permis, ici, de renvoyer mes lecteurs et amis au petit recueil que j'ai publié en 1998 sous le titre de "L'Histoire recommence toujours" où je développe l'idée que le Progrès technique suppose l'inégalité sociale (chapitre "Le Progrès contre l'Égalité" pages 33 à 41).

(7) Avec 1,065 milliards d'habitants, soit un sixième de la population de la planète.

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