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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MARDI 25 MAI 2004

EUROPE : LE PIRE N'EST JAMAIS SÛR

La perspective d'une explosion s'éloigne et le ciel paraît s'éclaircir dans le marchandage sur la Constitution.

La réunion de New York, ce 24 mai, des ministres des finances du G7 a souligné une fois de plus le paradoxe de l’Europe. Sur les 7 pays les plus industrialisés du monde, quatre appartiennent à l’Union européenne. Et avec plus de 450 millions de citoyens, elle représente désormais un poids colossal. Face aux pays de l’OPEP et aux autres producteurs de pétrole, l’Europe représente également le plus fort marché importateur mondial d’hydrocarbures.

Et pourtant, une fois encore, les Européens vont se trouver dans l’incapacité de faire par eux-mêmes en sorte que le prix du pétrole brut soit ramené de son niveau actuel dommageable et extravagant, qui a crevé son plafond historique à 42 dollars le baril, vers un taux raisonnable aux alentours de 25 dollars.

De même, au Moyen-Orient, c’est-à-dire dans toute une région géographique limitrophe de l’Europe, ce sont les États-Unis qui proposent et disposent, qui interviennent, avec plus ou moins de bonheur et de doigté : l’Europe est absente. Imaginerait-on Washington indifférente ou impuissante au Mexique et en Amérique centrale ? Les USA laisseraient-ils de gaîté de cœur une capitale européenne (1) simplement suggérer une nouvelle donne pour le continent latino-américain ?

La réalité, d’évidence, c’est donc que l’Europe a bel et bien besoin de s’unir et de se donner les moyens de ne pas dépendre du bon vouloir, et des revirements, de son allié — lequel lui-même va bientôt ressentir et regretter, à son tour et à nouveau (2), cette carence européenne.

Ceci confère au grand marchandage qui s’est à nouveau tenu entre les ministres européens des Affaires étrangères ce 24 mai un caractère pathétique et urgent. Quelques jours en effet après la réunion décisive du Conseil européen des 17 et 18 juin, se tiendra en Turquie une réunion gouvernementale de l’OTAN qui doit être évidemment rapprochée de l’échéance de la restauration d'une souveraineté irakienne, fixée au 30 juin. Fin juin, on verra à nouveau combien pèsent respectivement au sein de l’OTAN les 70 millions de Turcs et 450 millions d’alliés européens : l’arithmétique n’y trouvera pas nécessairement son compte.

Faut-il donc se féliciter de voir 7 gouvernements européens, conduits par l’Italie et la Pologne demander que la référence au christianisme (3) soit officiellement inscrite dans la Constitution ? Ceci aurait l’avantage à nos yeux, – et l’inconvénient du point de vue des hypocrites, – de contribuer à écarter franchement la candidature de la Turquie.

Cependant il est à remarquer que ce premier groupe de pays, dont l’Espagne vient de se retrancher (4), même s’il a vocation à voir se rallier d’autres pays, reste désormais minoritaire et qu'il est cantonné à la sphère d’influence catholique. Or, l’Europe chrétienne pour être plus explicite, cela ne concerne pas seulement les catholiques – ou alors ce n’est plus "l’Europe" mais la "Latinité". Et il est regrettable que les pays luthériens de l’Europe du nord apparaissent comme tenus à l’écart de cette revendication.

Beaucoup de débats européens semblent encore mal enclenchés.

En revanche, le ciel paraît s’éclaircir s’agissant de la Constitution. Les défauts manifestes du projet Giscard, tel qu’il fut présenté en juin puis juillet 2003 ne l’ont pas empêché de servir de base de négociations. De ce document kilométrique, en effet, les ministres européens sont parvenus à tirer quelques points principaux qui les divisent mais sur lesquels on peut imaginer aisément que des compromis puissent s’élaborer dans les semaines à venir.

On en est à discuter par quel mode de roulement par exemple la Commission européenne pourrait se voir ramener de 25 à 18 ou 15 membres en 2014. On estime nécessaire en haut lieu, et je trouve paradoxal cette préoccupation, de réduire à tout prix cet exécutif, somme toute modeste si on le compare aux ministres de nos gouvernements nationaux respectifs. Le fait est qu’on y vient.

La mise en place d’une double majorité dans les votes pondérés fait elle aussi partie de la négociation. Elle suscite les évaluations les plus fébriles pour savoir à quelle "minorité d’influence" pourra encore prétendre telle ou telle capitale. Mais là aussi, un compromis devrait être imaginable entre 50 % et 67 % des États-Membres et des populations qu’ils ont la prétention de représenter (5).

Reste donc à délimiter les domaines pour lesquels la règle de l’unanimité sera préservée. La demande de la Grande Bretagne est de tous les États-Membres, le plus attaché à la règle de l'unanimité, évidemment paralysante à 25. Mais précisément, sur ce terrain, Londres a beaucoup de mal à se retrancher derrière les eurosceptiques d’autres pays. L’Angleterre se retrouve singulièrement, et exceptionnellement, isolée.

Qu’en sortira-t-il ? Nous devrions cesser de nous en tenir aux vieilles habitudes de raisonnement. Depuis 1979, et quoi qu’en dise son président Pat Cox (6), le Parlement européen, formellement élu au suffrage universel, n’a toujours pas réussi à combler vraiment son déficit démocratique. En 5 ans, sur 403 projets venant des bureaux de Bruxelles, l’assemblée de Strasbourg élue en 1999 en a refusé exactement 2. C’est mieux que rien pensera-t-on.

Demain, par exemple, la grande question sera d’ordre fiscal : harmonisation ? compétition ? moins d’impôts ? plus de redistribution ? La vraie bataille sera là et c'est en grande partie cette perspective qui fonde les réticences, justifiées sur ce point, exprimées par Londres. L'Europe devra choisir entre deux conceptions. La première, d'inspiration sociale-démocrate tend à renforcer les dépenses de redistribution, à harmoniser autoritairement la dépense publique et alourdir l'impôt, ce qui aboutirait à ruiner et affaiblir l'ensemble. La seconde, celle qui nous semble mieux correspondre à l'idée d'une Europe des Libertés, privilégie les tâches régaliennes, la désinflation fiscale compétitive, et tend à renforcer les moyens de défense, les perspectives de recherche, etc.

Mais pour effectuer ce choix, il serait souhaitable que le 18 juin au soir un pas décisif ait été franchi pour adapter les institutions à l'Europe élargie. Alors le discours de M. Prodi à Parme le 14 mai, "pour un printemps de l'Europe" pourrait prendre son sens.

JG Malliarakis

©L'Insolent

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(1) Par exemple Madrid ou Lisbonne, qui pourraient avoir leur mot à dire semble-t-il, et qui sont tentés de le dire. Le "sommet" entre l'Union européenne et l'Amérique latine pourrait leur en donner l'occasion.

(2) Allons jusqu'au bout de notre sentiment. Nous pensons que le temps des sarcasmes respectifs entre Anglo-Américains et Européens aurait légitimement pu, et dû, cesser au lendemain du 11 septembre 2001. On pourrait souhaiter que, fin juin 2004, apparaisse une nouvelle occasion d'en finir avec les attitudes stériles des deux côtés de l'Atlantique (et de la Manche). La réalité commande, là aussi, de prévoir que c'est l'émergence de l'Europe comme puissance qui liquidera à la fois le complexe stérile de "ressentiment historique", de "supériorité culturelle" et de "dénigrement politique", si caractéristique de la politique gaulliste, en même temps qu'elle forcera l'Amérique à cesser de se considérer comme le modèle unique et infaillible en toutes choses.

(3) Faut-il parler, ici, de christianisme ou de judéo-christianisme ? disons fortement que les deux expressions, entachées de connotations divergentes, sont, à nos yeux, synonymes en fait. Nous devons cependant n'utiliser qu'avec certaines précautions, le mot de "judéo-christianisme" parce qu'il désigne, par ailleurs et ponctuellement, une hérésie, du point de vue chrétien (le "judéo-christianisme" du Ier siècle entendait imposer les 613 prescriptions traditionnelles de la Loi Juive, et notamment la circoncision, aux convertis venus du paganisme). L'idée cependant reste que le fond commun est la Bible. Reconnaître à l'Europe des racines chrétiennes c'est logiquement accepter de prendre en considération l'apport de la Bible comme référence commune aux juifs et aux chrétiens, c'est également se référer au rôle évident du peuple d'Israël dans ce que le christianisme appelle l'Histoire du Salut. Le temps n'est, certes, plus où le socialisme français (Toussenel, Auguste Chirac, Blanqui, Tridon, etc. ou même encore le député socialiste Maurice Allard porte parole de la Libre-pensée lors du débat sur la loi de Séparation de 1905, séance du 10 avril, intervention en faveur d'un contre-projet, sur le thème "[…] Le judéo-christianisme est une insulte à la raison […] un obstacle à la civilisation […] cette philosophie puérile et barbare si contraire au panthéisme et au naturalisme de notre race […] le judéo-christianisme avec son cortège de mensonges et de préjugés […]" Ce discours et son contre-projet reçurent l'approbation de 59 députés socialistes et d'extrême-gauche) fondaient leur anti-christianisme sur des références explicitement anti-sémites. Aujourd'hui, on n'écrit plus à gauche et dans les médiats, les choses de cette manière : on y est (éventuellement) "anti-sioniste", et au nom de cet anti-sionisme on refuse de prendre en compte ce qui déplaît aux musulmans ou ce qui est supposé leur déplaire. On rejette donc le "judéo-christianisme" pour ne pas laisser entendre que la fameuse "Fraternité d'Abraham" pourrait être légèrement mythique. À noter la convergence avec un certain Oussama Bin Laden pourfendeur attitré, depuis 1997, de ceux qu'il appelle les "judéo-croisés".

(4) Parce que les socialistes espagnols ont gagné les élections du 14 avril.

(5) Le projet Giscard de 2003 prévoyait que les votes à la majorité qualifiée requièrent 50 % des États représentant 60 % des populations afin d'éviter aussi bien les coalitions de quelques "gros" États ou le diktat de quelques "petits"… La contre-proposition espagnole actuelle porterait cette majorité à celle des 2/3. Elle nous semble plus réaliste.

(6) cf. son interview dans Le Monde daté du 25 mai.

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