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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

VENDREDI 18 JUIN 2004

C'EST l'EUROPE DES ÉTATS QUI EST EN CRISE

Et ce sont ses archaïsmes qui barrent la route à l'Europe des libertés.

Le Conseil européen, réuni ces 17 et 18 juin, marque un tournant non négligeable au sein des institutions européennes.

Ce n'était pas une simple boutade que de remarquer le paradoxe de ces 3 gouvernements, celui de Londres (battu de 15 points dans les élections locales du 10 juin) celui de Berlin (battu lui aussi de 15 points dans le scrutin européen du 13 juin) et celui de Paris (soutenu par 16,7 % de votants), qui se trouvent à la fois désavune constitution démocratique.

La crise institutionnelle actuelle, en effet, n'est pas celle de "l'Europe" en général, encore moins celle de l'Europe des libertés, mais celle de l'Europe des États.

Rappelons d'abord que l'ordre du jour de ce Conseil (1) comportait deux décisions à prendre :

1° il devait donner son accord sur un texte de projet de Constitution à faire avaliser par les 25 États ;

2° il devait désigner un successeur à Romano Prodi, président de la commission issu du centre gauche italien, et dont le mandat arrive à terme, après 5 ans de gestion plutôt mitigée du système bruxellois.

Le premier sujet semblait, a priori, le plus complexe, car le document de synthèse, remis en juin et juillet 2003 par M. Giscard d'Estaing, comporte beaucoup de questions en débat.

Il contient, selon nous, des incertitudes majeures et notamment celles d'instituer deux personnages dont on ignore encore quelles pourront être leurs destinées constitutionnelles : le président du Conseil et le ministre des Affaires étrangères (2), germes sans doute d'une Europe politique, mais germes hypocrites, car au départ rien n'est fait au sein de l'opinion pour en conforter la légitimité.

Le principe demeure, en pure théorie, celui de la souveraineté des États. C'est dans cette hypothèse que l'on cherche à présenter la situation politique auprès de l'opinion pour la persuader de l'importance des hommes de l'État.

Mais cette fiction se trouve quotidiennement démentie dans les faits.

Ceci explique une grande partie du malaise actuel. Et, comme le retour en arrière appartient au domaine du rêve, on n'en sortira que par une définition claire des objectifs politiques de l'Europe c'est-à-dire par l'affirmation d'un projet confédéral réaliste. Faute de quoi la légitimité théorique des États-Nations sera toujours invoquée par leurs administrations.

La vérité en effet c'est que l'État-Nation, tel qu'il est apparu sur notre continent (2) au XVI siècle, n'est pas seulement dépassé par la réalité actuelle de l'Europe et du Monde.

Il est devenu contraire aux intérêts et aux perspectives d'avenir des nations européennes elles-mêmes.

Jusqu'à une date récente, on pouvait encore soutenir que l'Europe des États constituait un apport non négligeable à la construction européenne. À telle enseigne que pour bon nombre d'Européens sincères la réalité intergouvernementale de l'Europe en représentait la démarche centrale.

Désormais on va devoir se demander, au contraire, si elle ne devient pas un boulet qui, dénaturant les aspirations des peuples (par ex. en s'acharnant sur les concepts archaïques de "services publics" monopolistes, de "protections sociales" étatisées, de "politique agricole" ou de "politique industrielle" etc.), mobilisant des fonds publics de plus en plus colossaux au profit de ces usines à gaz, elle ne tend pas à empêcher nos pays de se doter des outils régaliens indispensables aux vraies missions de souveraineté.

Pour faire court, observons que nous avons matériellement cessé d'être indépendants dès lors que nous n'avons plus d'armée.

Et nous n'avons plus d'armée parce que nous avons rogné systématiquement les budgets militaires, depuis 40 ans, au profit de redistributions ruineuses et calamiteuses.

Et cela, qui est le fait d'États-Nations dégénérés en grosses et vulgaires bureaucraties, explique une bonne part de la crise institutionnelle de l'Europe autant que les absurdités de la politique intérieure française.

Dès la première journée de la réunion du Conseil européen, le 17 juin, il est apparu que la question constitutionnelle, la plus épineuse, celle qui cependant résulte d'un travail en grande partie extérieur à l'instance de l'Europe des États était en train de s'imposer : malgré leurs réticences les États n'ont même pas la force de l'amender véritablement.

En revanche la décision qui elle, jusqu'à présent, relève purement de l'Europe intergouvernementale, la nomination du président de la Commission ne peut plus fonctionner comme par le passé.

Dès l'adoption du Traité constitutionnel, d'ailleurs, il semble acquis que le président de la Commission devrait être choisi dans la majorité du parlement.

La crise actuelle risque de s'en trouver encore amplifiée, et il deviendra de plus en plus nécessaire de considérer que :

Si le président du Conseil devait jouer ce rôle, il devrait donc être choisi en dehors de la classe politique, en dehors du cercle des gouvernants de l'Europe des États, en dehors des rivalités entre nations. Cette fonction arbitrale écarte d'ailleurs l'idée que les Français tiennent pour excellente et naturelle, celle de l'élection du chef de l'État en France DONC du futur président du Conseil au suffrage universel (5).

Si l'Europe des États a pu paraître longtemps une sorte de locomotive pour la "construction" européenne elle barre aujourd'hui la route à l'Europe des Libertés.

JG Malliarakis

©L'Insolent

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  1. Le deuxième de la présidence irlandaise
  2. Il semble acquis que le minsitre des Affaires étrangères sera vice-président de la Commission : c'est évidemment une avancée considérable sur la voie d'une Europe politique
  3. Et il a été imité dans le monde musulman, à la même époque, en Turquie et en Perse notamment.
  4. La Commission Prodi (1999-2004) a vu un recul assez sensible de cette collégialité et c'est une des critiques essentielles qui lui ont été portées.
  5. Il nous semblerait plus honnête d'observer que les démocraties le smieux rodées en Europe sont des monarchies constitutionnelles. On pourrait par exemple imaginer d'en appeler à un prince de la maison de Habsbourg oud'uen autre famille souveraine. On peut même considérer que ne pas être capables d'un tel acte symbolique c'est être en décalage par rapport à l'idée même d'une Europe politique. Mais préciséemnt cette tradition bonapartiste française, qui aconduit en 1962 à la réforme de l'article 7 de la Constitution et à l'élection du p. de la r. au suffrage universel est encore probablement l'un des obstacles majeurs sur la route de l'unité européenne.

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