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Les circonstances concrètes de la fabrication de cette chronique m'amènent à diffuser simultanément mes commentaires avant et après le Conseil européen du 18 juin. Ils ne se contredisent pas et ils se complètent car les résultats de cette réunion ont été finalement conformes aux intérêts bien compris de l'Europe.
Tout d'abord MM. Blair et Straw sont parvenus à faire valoir leur point de vue et à imposer un compromis positif pour tous les Européens : ils ont obtenu essentiellement que l'Europe fiscale et sociale s fonctionne dans une perspective de compétition (qui leur semble, et qui est actuellement, favorable à la Grande Bretagne) plutôt que sur le modèle "rationnel" français de l'harmonisation fiscale, version "new-look" de l'idéologie égalitaire.
Ceci peut sembler à certains un point de détail technique, une broutille d'économiste.
C'est en réalité parfaitement fondamental. Et cela fait effectivement voler en éclat tous les discours aberrants sur l'Europe sociale, qui plaisent tant à la classe politique française, aux médiats français, aux bureaucraties syndicales etc. Cela ramène également à de justes proportions les quelque 260 pages de "poudre aux yeux" contenues dans le projet Giscard de juillet 2003, les refrains à propos de la "charte des droits fondamentaux" de l'année 2000.
Cette année-là, par exemple, sous la présidence allemande, puis sous la présidence chiraquienne de l'Union, les bureaucraties syndicales françaises imposèrent, dans le cadre de la préparation du traité de Nice, leur conception laïciste. Cette démarche fut à l'origine du refus de l'État français et de ses hommes politiques (1) de faire figurer explicitement les références judéo-chrétiennes dans le projet de traité au 18 juillet 2003 (2) qui mentionne seulement, dans son redondant préambule, "les héritages culturels, religieux et humanistes". Jusqu'au dernier moment le 18 juin 2004, on a pu imaginer que le gouvernement polonais pourrait sauver le principe d'une Europe chrétienne qui était à l'origine du traité de Rome de 1957.
Si l'on est en droit de regretter ce concept, qui caractérise une Europe identitaire (3), s'il convient de hausser les épaules à la lecture des phrases vides de sens dont la Convention préparatrice semble avoir fait ses délices, l'on a désormais le devoir de considérer la situation résultant de l'accord intergouvernemental du 18 juin d'un point de vue pragmatique.
Peu importe l'urticaire provoquée par le style, la démarche intellectuelle, les restrictions mentales, le souvenir d'actes de gouvernement, le ridicule, ou au contraire l'estime que peut mériter tel ou tel personnage.
Peu importe également le chocolat, plus ou moins frelaté, dont est enrobé ce texte (260 pages en langue française du projet arrêté au 18 juillet 2003 et deux lignes citant Thucydide en grec + 30 pages de l'accord du Conseil européen du 18 juin 2004 actuellement disponible en langue anglaise).
Ce qui doit compter, ce qui doit déterminer notre jugement, c'est le contenu pratique, et c'est la dynamique de ce projet de traité constitutionnel, qu'un rédacteur plus efficace ramènerait sans doute à 3 ou 4 pages.
C'est un signe très positif que d'apprendre par exemple que MM. Fabius ou Emmanuelli ont fait des déclarations (4) allant dans le sens du refus de s'associer à la ratification.
D'abord si le parti socialiste ne s'associe pas à une vigoureuse campagne de la droite institutionnelle en faveur de cette ratification, on peut tenir que la procédure référendaire sera évitée par le chef de l'État, seul détenteur de la décision. Le souvenir de la campagne de 1992 pour la ratification de l'accord signé à Maastricht en 1991 est de ce point de vue particulièrement cuisant dans les rangs socialistes. En empêchant cette ratification référendaire, M. Fabius rend service à l'Europe, à M. Chirac et à l'union de la gauche socialo-communiste.
Car, sur la scène artificielle du débat politique institutionnel franco-français, socialistes et communistes pourront se donner le rôle, sans frais, d'une rhétorique commune : "oui à l'Europe" diront-ils "mais non à cette Europe-là" (5). Ceci n'empêchera pas le congrès réuni à Versailles de réviser sur deux ou trois points la constitution de 1958, et le parlement de voter la ratification. S'il adopte cette ligne le parti socialiste français se discréditera par rapport aux socialistes européens : demi-mal. Parallèlement les souverainistes grinceront des dents, à peu de frais, et le tour sera joué, pour ce qui est de la France. Les mêmes souverainistes en seront réduits à espérer, comme leurs homologues britanniques que tel ou tel parmi les 25 pays refuse la ratification : paradoxal hommage à l'idée européenne que de compter alors sur les foucades des Slovaques ou des Estoniens !
Certes la grande arrière-pensée française, celle du retour aux dimensions carolingiennes de la "petite" Europe des Six (1957-1970), a reçu, en contrepartie des concessions faites au gouvernement de Londres, une ouverture par la voie des "coopérations renforcées". Mais, outre que le principe de celles-ci est déjà inscrit dans les traités depuis l'accord signé à Amsterdam en 1997, son principal point d'application serait celui d'un accord de défense dont les dirigeants français ont toujours considéré qu'il reposerait sur l'adhésion de la Grande-Bretagne !
Ces concessions réciproques, ont eu le double effet positif
d'écarter aussi bien le danger virtuel d'un "super-État, ou plutôt d'un "super-étatisme" bruxellois
que les velléités d'une "Europe sociale" au contenu démagogique et destructeur.
Ce sont donc de bonnes concessions, y compris pour la France
Il reste donc à espérer désormais qu'elles entraîneront, dans l'avenir, une meilleure participation de l'Angleterre au projet européen.
Est-ce du rêve ?