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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
JEUDI 15 JUILLET
L'UNION EUROPÉENNE AUX RISQUES D'UN RÉFÉRENDUM
Les eurosceptiques anglais se battront jusqu'au dernier souverainiste français
Sans doute, l'annonce par M. Chirac, ce 14 juillet, d'un référendum, envisagé pour l'année 2005, destiné à la ratification du projet de traité constitutionnel européen, est-elle à la fois habile et hasardeuse.
Elle nous semble plus habile que de coutume, de la part de son initiateur. Elle divise en effet profondément la gauche ; elle ramène l'UDF dans le camp du oui ; et elle met le parti socialiste devant un choix crucial entre ses alliances de politique intérieure française et ses allégeances européennes incontournables. Bien plus encore, elle offre au suffrage universel, qui vient de désavouer 3 fois cette année la coalition gouvernementale, qui risquait de se trouver devant une impasse de 3 ans, l'exutoire d'une perspective de vote avant l'échéance républicaine de 2007.
En même temps,depuis le référendum de 1992 sur la ratification de l'accord de Maastricht, adoptée de justesse, la classe politique hésite. On a pu mesurer combien il est dangereux de faire voter les Français à propos de questions européennes. Dans un tel domaine, ils demeurent sous informés par des médiats lamentables. Les sujets de mécontentements les amènent ainsi à désavouer les partis dits de gouvernement sur des registres qui devraient requérir un autre type d'attention et une certaine hauteur de débat. La réforme constitutionnelle franco-française, sur laquelle ils seront amenés à se prononcer pourrait bien en faire les frais, pour le grand profit des eurosceptiques de Londres et d'ailleurs.
À l'inverse, une opération réussie constituerait une bonne surprise et remettrait à la fois le pouvoir en selle et l'Europe en marche : ce sera donc quitte ou double !
À vrai dire, cependant les incertitudes et les interrogations constitutionnelles européennes demeurent sérieusement préoccupantes. Il serait heureux de pouvoir en sortir. On remarquera d'ailleurs que le texte, tel qu'il sera proposé à la réflexion des Français, devant être adopté officiellement par le conseil européen en octobre, n'a pas été encore traduit dans les diverses langues de l'Union, pas même dans celle qui était prévue initialement, en 1957, pour servir aux institutions européennes.
Si agaçante que pût être la rédaction du projet Giscard de constitution, projet déposé dans sa première mouture en juin 2003 à Thessalonique et adopté dans ses grandes lignes à Bruxelles le 18 juin 2004, ce texte marque, en dépit de son caractère verbeux, une étape importante.
Il entend tracer, qu'on le veuille ou non, le cadre de l'avenir.
Et il se sert, d'ailleurs, pour l'essentiel, des éléments qui fonctionnent déjà depuis plusieurs décennies, de ceux qui se sont agrégés au fil des accords, des compromis et des traités, et de ceux prévus par des documents adoptés et en cours de mise en oeuvre, par exemple le traité de Nice signé en février 2001, à peine corrigé. (1)
Ce projet, néanmoins, ne répondra toujours pas explicitement à la question de la dévolution et de la répartition réelle des pouvoirs, ce qui peut sembler surprenant pour une constitution rédigée sur 260 pages. Il pose même, plutôt qu'il ne résout explicitement, la question de leurs rapports et de leur équilibre.
Ce qui clarifiera les choses ce sera le temps.
Ce qui façonnera la Constitution de l'Europe, ce sera l'expérience effective (2).
Une précision importante est déjà apparue à propos du fameux ministre des Affaires étrangères de l'Europe. Il deviendrait, sauf erreur ou correction, vice président de la Commission. Ceci dénoterait alors une évolution capitale. Pour la première fois celle-ci ferait de la sorte figure de pouvoir exécutif présentable. Composée jusqu'ici d'une majorité d'hommes politiques nommés par leurs gouvernements, elle était concentrée sur les tâches économiques. Les commissaires géraient, et géreront encore, la politique agricole, les subventions régionales, les assurances, la mise aux normes en vue du marché unique, les incidences monétaires des budgets en déficit, le droit de la concurrence, certaines fiscalités, etc. Ils n'intervenaient guère dans les domaines régaliens, ceux-ci demeurant du ressort des États-Membres et des gouvernements nationaux.
Or, une autre évolution vient d'intervenir ce 13 juillet. Elle est beaucoup plus importante qu'on a bien voulu le dire en France à la veille de la Fête Nationale. Il s'agit de l'arrêt de la cour de Luxembourg, présidée en assemblée plénière par M. Skouris, tranchant dans le litige (affaire C-27/04) entre la Commission (requête du 27 janvier 2004) et le Conseil des ministres des finances (vote du 25 novembre 2003), montre bien le déclin des conceptions intergouvernementales.
L'espèce est, elle aussi, cruciale. En théorie, dans la procédure par étapes à l'encontre des déficits excessifs (article 104 du traité consolidé) le pacte de stabilité prévoit, au stade où en sont parvenus actuellement les deux gros États, l'État central français et l'État fédéral allemand, ils encourent toujours une amende fort lourde, égale à 0,3 % de leurs PIB respectifs, au cas où ils persisteraient dans des déficits, prévus autour ou au-dessus de 4 % cette année, et où ils ne prendraient pas de mesures vraiment crédibles pour revenir à l'équilibre budgétaire.
M. Chirac a eu beau une fois de plus tonner lors de son allocution du 14 juillet contre l'application que l'on peut qualifier de "bête" (3) de cette règle, désagréable mais nécessaire, elle n'est toujours pas corrigée. Et si elle doit l'être, si le pacte de 1997 est revu, ce ne sera pas dans le sens qu'il imagine. La règle devra être, et sera un jour ou l'autre, affinée : elle n'en sera peut-être que plus dure pour les gouvernements et les gros États faibles, démagogiques et déficitaires. (4)
Du point de vue institutionnel, l'annulation de la décision du conseil Écofin de novembre 2003 remet à l'ordre du jour la question de l'équilibre et de la séparation des pouvoirs en Europe : Qui détient le "pouvoir législatif" ? Quel est la nature et le détenteur du "pouvoir exécutif" ?
Au moins nous connaissons le(s) siège(s) du "pouvoir judiciaire" : c'est à Luxembourg, en effet, que siège la cour européenne de Justice, quoique la cour européenne des Droits de l'Homme siégeant à Strasbourg ne soit pas non plus à négliger sur certaines questions.
Le bon sens commanderait que la Commission soit clairement et définitivement désignée pour l'exécutif communautaire (5). On n'en est pas encore là, notamment du fait du président de l'Union, inventé par le projet Giscard comme dernier surgeon de l'Europe intergouvernementale, et qui ferait figure de chef de l'exécutif. La solution la plus digne nous semble être de le faire évoluer vers une fonction symbolique (6), laissant le pouvoir de gestion exécutive au président de la Commission.
Il est d'ores et déjà acquis que le président de la Commission est proposé par le conseil des États et investi par le parlement, qui dispose du pouvoir de censurer la Commission. Ce double vote décrit bel et bien un régime parlementaire bicaméral classique.
Quels seront, en effet, de plus en plus, les pouvoirs du Conseil (7) et du Parlement, dans le système européen actuellement en gestation ?
ils votent les normes juridiques, qui s'appelleront "lois européennes" et non plus directives, dont la Commission de Bruxelles conserve l'initiative. Au sein du Conseil, les États-Membres disposeront encore du droit de veto sur certaines questions sensibles et on doit se féliciter qu'il en soit ainsi de la fiscalité et des charges sociales, pour des raisons maintes fois expliquées.
La bataille politique annoncée en France par le p. de la r. et qui devrait se dérouler entre le 29 octobre 2004, date présumée de l'adoption du projet par le Conseil européen et l'automne 2005, date possible du référendum, risque d'être à la fois passionnante sur le fond, obscure pour une partie de l'opinion, psychodramatique pour les "souverainistes". Ceux-ci éprouveront, peut-être à juste titre, le sentiment de tirer leurs dernières cartouches.
Si la France votait non, elle n'en retirerait pas grand-chose pour elle-même. Le texte étant signé par Valéry Giscard d'Estaing, l'influence des cercles politiques parisiens reculerait encore sur le continent. Mais cela dispenserait, provisoirement, l'Angleterre d'avoir enfin à trancher entre son appartenance européenne, ses exceptions rudement ou habilement négociées (8) et ses réticences insulaires.
On peut donc imaginer que les eurosceptiques anglais se battront, dans cette affaire, jusqu'au dernier souverainiste français.
Mais, qu'on se rassure. Les choix binaires apparents ne sont pas toujours aussi décisifs qu'on veut bien nous le dire. Dès maintenant 10 pays ont choisi la voix référendaire.
Si même le traité constitutionnel devait échouer, le traité de Nice serait applicable. Plus favorable à nos amis espagnols et polonais, il n'est pas très différent de son petit frère. Et l'Europe avancera, espérons-le, malgré les embûches, sur le seul chemin raisonnable, qui est celui de l'Europe des libertés.
JG Malliarakis
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- Qu'il est tentant le commentaire : "il y a du bon et du nouveau ; ce qui est bon n'est pas très nouveau, ce qui est nouveau n'est pas très bon."
- Qu'il est, là aussi, tentant et paradoxal de pouvoir citer ici Napoléon : "Une constitution doit être courte mais obscure Une bonne constitution est l'oeuvre du temps" (apophtegme étonnant, n'est-ce pas, de la part de l'homme qui a rédigé, et violé, le plus grand nombre de constitutions dans l'Histoire de l'Europe !!!)
- Il est un peu excessif de dire que M. Prodi aurait dénoncé le pacte de stabilité, en lui-même, comme "stupide", qui, en français, a un sens beaucoup plus dur que "stupid" en anglais ou "stupido" en italien.
- N'oublions pas qu'à l'époque de la négociation de ce qui allait être traité d'Amsterdam, le ministre allemand des Finances était M. Théo Waigel qui suggérait, à juste titre, qu'il ne faudrait pas dans l'avenir envisager de dépasser 1 % du PIB comme déficit. C'était à ce prix seulement que l'Allemagne accepterait de renoncer à son excellent deutsche mark et les Pays-Bas à leur brillant florin.
- On hésite à écrire ici "confédéral", car l'Europe n'ose pas se penser officiellement encore comme une confédération en gestation.
- Ce mot ne veut pas dire "dérisoire". Si l'on veut aller jusqu'au bout, on devrait convenir de la nécessité d'un prince, dont nous préférerions qu'il soit issu de la maison de Habsbourg. Le rôle "symbolique" de la reine d'Angleterre est beaucoup moins "décoratif" que ne le croient les Français. Les Français sont probablement les seuls à croire en Europe qu'il convient d'élire le chef de l'État au suffrage universel direct, et de lui confier le pouvoir exécutif.
- sous ses deux formes : conseil des ministres et conseil européen des chefs de gouvernements.
- La Commission ose aujourd'hui s'en prendre, au bout de 20 ans, à la ristourne financière britannique, négociée en 1984 aux temps de Mme Thatcher. Mais, au fait, pourquoi est-il prévu dans le texte constitutionnel de M. Giscard d'Estaing que le traité ne s'applique pas dans les bases anglaises à Chypre et dans les îles anglo-normandes (article IV-4 § b et c page 223) etc.?
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