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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MERCREDI 21 JUILLET 2004

COMMERCE, POLITIQUE ET RÉALITÉS FRANCO-TURQUES

On peut tout échanger avec les cannibales, hormis la viande

Lorsqu’elles reçoivent le Premier ministre turc M. Erdogan, les autorités publiques parisiennes croient faire de la grande diplomatie. Nous pensons qu’en fait, elles ne se livrent qu’à de petits marchandages.

Le Medef, de son côté, embouche la trompette de ce qu’il appelle son soutien aux efforts de la Turquie. S’il s’agit de faire des affaires, ce genre de commentaires devrait être considéré comme totalement inutile. Les Turcs ne sont pas des anthropophages. Or, on peut tout échanger, même avec des cannibales, hormis la viande. De plus une véritable organisation d’entrepreneurs devrait toujours agir en faveur du libre-échange. (1) Avec la Turquie, comme avec bien d’autres pays, l’Europe est très proche de la situation de libre-échange. Depuis l’accord d’association au marché commun, signé en 1963, beaucoup de chemin a été parcouru par Ankara, et l’Union douanière proclamée il y a maintenant 10 ans, devrait donc suffire.

Or, si nous avons bien compris le message du p. de la r. du 14 juillet, nous sommes entrés dans une phase de ratification d'une Constitution européenne. Il dit l’approuver. L’a-t-il lue ? Celle-ci répond à certaines caractéristiques, dont deux traits majeurs devraient clairement corriger l’idée que l’Europe puisse n’être qu’un simple espace de libre-échange. L’Europe n’est pas seulement une zone commerciale, elle n’est pas une réalité exclusivement économique, elle est devenue un projet politique (2).

Quels sont ces traits ?

1° Cette Europe sera politique, en effet, et fondée sur une communauté de culture et d’identité. On a voulu en gommer toute référence au judéo-christianisme, sans doute dans l’espoir de n’indisposer ni les musulmans (3) ni, surtout, les marxistes. Mais on se réclame de l’héritage grec et de la philosophie des Lumières. C’est dire combien la Turquie est étrangère à une telle filiation ! Ce n’est pas un déshonneur que de ne pas être européen : c’est un fait, dont les Chinois, les Japonais, les Iraniens, les Indiens, les Égyptiens, les Mexicains etc. semblent s’accomoder.

2° Cette Europe se propose d’établir une diplomatie commune. Conduite jusqu’ici par la troïka rotative des diplomaties nationales tournantes (présidence en titre de l’Union, présidence précédente, présidence à venir) elle va être confiée à un ministre des Affaires étrangères de l’Union, disposant d’un service diplomatique désormais communautaire.

C’est donc dire combien l’attitude consistant à négocier un dossier diplomatique petit État-Membre par petit État-Membre relève de La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf (4). La France ou l’Angleterre, considérées isolément, ne sont plus des empires mondiaux, mais seulement de petits États, de petites puissances sur l’échiquier mondial. Et vouloir revenir à une situation totalement périmée, celle de 1913 ou de 1938, — où l’on caressait au Quai d’Orsay comme au Foreign Office, comme à la Wilhelmstrasse le rêve de l’alliance de revers — relève du cauchemar.

Ou bien l’Europe négocie globalement ses relations avec la Turquie, ou bien M. Chirac trompe les Français en se posant en champion du texte élaboré jusqu’à l’été 2003 par M. Giscard et sa convention, et rectifié par le conseil européen de Bruxelles des 17 et 18 juin 2004.

Trompe-t-il les Turcs comme il trompe Français ?

Ce n’est même pas certain.

Le gouvernement du parti islamique conduit par M. Erdogan joue avant tout une carte politique intérieure. Il est en butte aux militaires laïcistes et kémalistes. Il se trouve également en désaccord avec le président de la République, lui-même plutôt proche de la social-démocratie européenne. En 1999, quand les sociaux-démocrates étaient encore au pouvoir, l’entourage du Premier ministre d’alors M. Ecevit avait été déjà très déçu de la manière dont M. Chirac officiellement alors principal avocat de l’adhésion turque avait géré le dossier : "Nos amis sont-ils vraiment nos amis" se demandait-on à Ankara ?

Aujourd’hui, M. Erdogan peut se prétendre satisfait de sa visite à Londres puis à Paris, où, curieusement on n’a pas beaucoup entendu parler des épouses (voilées) (5) de ses ministres… Mais son contentement n’est peut-être pas aussi considérable que ne le prétend le clan gouvernemental parisien.

Il faut vraiment tout ignorer des traditions et de l’expérience diplomatique de la Turquie pour imaginer en effet qu’on n’y est pas capable de décortiquer la phrase officielle du communiqué élyséen attribuant à M. Chirac un jugement exceptionnellement nuancé : "L’intégration de la Turquie à l’Union européenne est souhaitable dès qu’elle sera possible". Le même homme avait cru pouvoir qualifier, à Istanbul lors du sommet de l'OTAN ce 29 juin, le processus d'adhésion de la Turquie comme étant "irréversible", et ceci depuis 40 ans !

Si nous nous livrons nous-même à l’analyse logique du propos, l’usage du futur est exclusif de celui du présent. Pour le moment l’intégration d’Ankara n’est pas possible.

Elle ne l’est pas pour des raisons qui tiennent globalement, dans la pratique, à ce qu’on appelle les droits de l’homme, incluant ceux de la femme, et qui ne se mesurent pas à la seule suppression juridique de la peine de mort. Qu’il s’agisse de la liberté religieuse, du droit de propriété, de la reconnaissance des minorités, non la Turquie ne les conçoit pas comme l’Europe !

Occupant illégalement et militairement une partie du territoire d’un petit État européen, depuis exactement 30 ans, la Turquie a explicitement demandé (6) que l’acquis communautaire ne soit pas applicable dans le nord de Chypre en cas de réunification.

Comment croire dès lors qu’elle pourrait appliquer vraiment le droit européen dans son propre territoire ?

Le raidissement systématique vis-à-vis du génocide arménien de 1915, dont le PS français croit habile de faire "sa" condition, a quelque chose de troublant. Que dirait-on d’un dirigeant allemand qui dirait "laissons l’Histoire aux historiens et autres expression du genre "points de détails" ? Avancerait-on en Europe aux côtés d’un tel partenaire ? Ces phrases qui se veulent habiles dénotent précisément le refus turc de toute "repentance". Preuve qu’on est très loin de l’Europe !

Sommes-nous très loin du territoire de l’économie ?

Sommes-nous très loin du commerce ?

On y revient, en découvrant l’étatisme profond de la démarche de marchandage de la diplomatie turque.

Elle fait miroiter l’achat de nos chers Airbus (50 % d’un marché de 40 avions qui représenteront 1,6 milliard d’euros) par la compagnie aérienne de l’État turc, ceci en échange des bonnes paroles du chef de l’État français. Là aussi promesses douteuses et plus encore : vision périmée et illusoire.

Ah ! Vous voudriez que l’Anatolie fasse partie de l’Europe ?

Ah ! Comme on aimerait que l’Asie mineure, et pourquoi pas l’Afrique du nord, et pourquoi pas l’Égypte reviennent à une appartenance qui fut longtemps celle de l’Empire romain ! Comme elle serait grande et prospère, alors, cette Europe que "la Méditerranée traverserait comme la Seine traverse Paris". Pour parler comme M. Chirac, cette Pax Romana sera souhaitable "dès que" la chose deviendra possible.

Ce ne sera pas pour l’immédiat.

JG Malliarakis

©L'Insolent

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  1. En fait, les organisations de producteurs sont toujours protectionnistes. Quant au MEDEF, rappelons quand même qu’il n’est pas un syndicat d’entrepreneurs mais un "mouvement" s’adressant aux (grandes) entreprises.
  2. Si cette évolution a été progressive, elle n’a jamais été subreptice. Dès 1950, la doctrine même de Jean Monnet était bien explicitement de procéder de la sorte.
  3. Qui représentent environ 1 % des 475 millions de citoyens de l’Union européenne, plus quelques millions d’immigrés non-citoyens.
  4. "Tout petit prince a ses ambassadeurs. Tout marquis veut avoir des pages."
  5. Il paraît même que M. Erdogan se serait déclaré partisan de la polygamie (cf. Le Figaro du 21 juillet) mais nous avons beaucoup de mal à le croire en l’absence de sources directes.
  6. Et elle l’a obtenu dans le principe : c’est l’essentiel de la logique du fameux plan Annan, refusé pour cette raison par la partie libre de l'île.

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