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Conquête de l'Espagne par les Arabes
BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
VENDREDI 27 AOUT 2004
De fausses réformes peuvent être pires encore que des réformes différées
Avant de partir, je voulais, fin juillet, dresser un petit bilan des réformes entreprises, et à première vue, largement avortées et insuffisantes, du gouvernement Raffarin.
Cette ambitieuse velléité dépassait à la fois le cadre de cette chronique, et probablement, même sur une semaine de travail, les capacités de votre serviteur.
Et puis au fond, à quoi bon chercher, sur ce terrain, à se montrer exhaustif. Il est sans doute une question, strictement politique. Certains se plaisent à évaluer le devenir de notre Premier ministre et de son accouplement insolite avec l'un des plus calamiteux dirigeants qu'ait connu la république depuis, sans doute, Aristide Briand. C'est, en fait, depuis Londres, que nous semble être venue la meilleure analyse de cette énigme. Comme souvent The Economist (1) y répond très subtilement et de haut. Sauf à paraphraser cet article d'un journal anglais ordinairement si critique à l'endroit de notre pays, il n'y a rien à ajouter sur ce registre.
Notre préoccupation ne recoupe en effet que secondairement les pronostics relatifs aux plans de carrière personnels des hommes de l'État.
La vie politique mérite d'être appréciée seulement dans l'ordre des moyens, en fonction du service rendu au pays réel.
La politique comme art ou comme science ne peut ¬tre légitimement considérée qu'au regard des destinées historiques et des prospérités économiques d'un pays déterminé. (2)
Par conséquent c'est par rapport à la France, — à son adaptation au monde en devenir et à l'Europe en construction, — que nous devons juger l'écume du petit train quotidien gouvernemental parisien. The Economist n'est pas préparé à cet exercice. Sa pertinence d'observateur étranger n'est assurément pas en cause, mais son degré de bienveillance, faible quoique justifié, l'écarte de notre propos.
Si les Franëais veulent en effet sortir de leur lente évolution vers le statut de république bananière (3) c'est à eux, à eux seulement, d'entreprendre des réformes nécessaires.
Les idées forces en sont archiconnues. Ernest Renan en dessinait déjà les grandes lignes dès 1871. Hélas, en dehors d'une ébauche remarquable entreprise sous l'influence du rapport Rueff-Armand de 1958, à l'époque où Antoine Pinay était ministre des Finances, ou des écrits de Raymond Aron en 1968, notre pays fait, aujourd'hui encore, du sur place.
La France stagne dans un monde en pleine transformation.
Or, d'innombrables plans, lois-cadres, projets grandioses de sauvetages, interventions étatiques, restructurations administratives et modernisations technocratiques se sont nominalement succédé sans rien changer, sauf à aggraver le mal.
C'est dire combien de fausses réformes peuvent ¬tre pires encore que des réformes différées.
Ainsi en est-il de la prétendue Décentralisation.
Ainsi à l'heure même où le gouvernement Raffarin entendait faire voter fin juillet une loi de décentralisation en utilisant la procédure de l'article 49-3 de la constitution autoritaire de 1958, le Commissariat général au plan publiait une étude totalement hostile à l'autonomie financière des collectivités locales.
Certains se demandent sans doute à quoi peut servir un Commissariat général au plan dans un pays ayant, fort heureusement, renoncé à la planification. Ils perdent de vue le rôle idéologique essentiel de cet organisme, qui est de fournir des arguments aux nostalgiques de la Planification centralisée.
L'étude du Plan a été réalisée par deux chercheurs ayant statut de fonctionnaires du système central parisien : MM. Guy Gilbert, professeur à l'école normale supérieure de Cachan et à l'Université de Paris-VIII, et Alain Guegant, directeur de recherche au CNRS. Leur questionnement était de savoir si la répartition et la redistribution des ressources, par le biais des diverses dotations et subventions de l'État central français étaient bien de nature à permettre effectivement de "corriger les inégalités" entre régions, départements et communes.
Première question qui demeurera sans réponse : pourquoi faut-il à tout prix"corriger les inégalités" entre les territoires ? On peut la formuler de manières diverses, et notamment se demander si la disparité économétrique et financière incorporant des facteurs très nombreux, le climat, l'âge ou les diplômes des populations, etc. peut-être compensée si on neégalise pas aussi ces facteurs déterminants. Une commune de montagne peuplée exclusivement de vieillards sans enfants, retraités de la MSA ney ayant pratiquement jamais cotisé, peut-elle, doit-elle, désire-t-elle même, recevoir les subsides de telle commune active, de pointe, jeune, prélevant d'importantes taxes professionnelles ?
On mesurera l'honnêteté statistique de nos eux chercheurs à la comparaison qu'ils font entre les 1 % de communes les plus riches aux 1 % de communes les plus démunies. Le mode de comparaison fait apparaître un écart prodigieux de 1 à 44. Il est dommage vraiment que l'on n'ait pas préféré le rapport entre les 0,1 % plus riches et les 0,1 % plus pauvres : la mesure de l'inégalité eût été plus impressionnante encore. Il est vrai que l'habitude statistique tend plutôt à évaluer ce qu'on appelle le rapport interdécile, soit à comparer les premiers et les derniers 10 %.
Mais la première constatation, une fois que l'on renonce à débattre de la pertinence de la redistribution territoriale, dans son principe, c'est que l'absurdité de la méthode effective des dotations et subventions saute aux yeux.
Les 36 000 communes de France dépensent en tout environ 38 milliards d'euros. 50 % de cette masse provient globalement de l'État central.
Les 95 départements franëais dépensent environ 19 milliards d'euros : 60 % de cette somme résultent de redistributions étatiques.
Quant aux 23 régions le total de leurs budgets s'élève à moins de 4,2 milliards d'euros : 92 % viennent du pouvoir central.
On se trouve donc dans une situation rigoureusement inverse à ce que devrait ¬tre une véritable régionalisation.
Car, bien évidemment, depuis 30 ans la lente aggravation de tous les mécanismes redistributifs s'est opérée au détriment de l'autonomie financière des collectivités locales.
Dans le m¬me temps, depuis les lois Defferre de 1982, on a développé le pouvoir dépensier des communes, des départements et des régions.
À cette tendance sont venus se superposer deux autres phénomènes :
- d'une part, l'apparition de collectivités grises, déconnectées du suffrage universel : "intercommunalités" et "pays".
- d'autre part le délestage progressif de certains budgets de l'État vers les collectivités locales
Les passages de la gauche au pouvoir laissent sans doute des traces redoutables que la droite se garde bien d'effacer, étalées sur 20 ans, de lois Defferre en lois Chevènement puis Gayssot, de "solidarité urbaine".
Par ailleurs la droite dans son genre sait aussi faire pire.
Certes, elle ne prépare pas, étant dans l'opposition, les bases programmatiques d'une véritable alternance.
Mais elle est toujours capable d'aller plus loin, sous prétexte de "réformes".
En insérant par exemple dans la loi fondamentale (article 72) le principe de péréquation financière, sous prétexte d'étayer la "réforme" décentralisant la république, on a fait certes un grand pas : on l'a fait hélas dans le sens du jacobinisme ou plus exactement d'un socialisme territorial. On en arrive à la redistribution entre les régions et les départements, complétant le socialisme égalitaire entre les citoyens. Il est vrai que, dès le départ, l'aménagement du territoire, dans son principe m¬me, ne visait pas à autre chose.
Quand nous entendons donc le mot
"réforme", s'il n'est pas accompagné de la mention nécessaire quant au sens,
aux objectifs, aux
principes, aux mesures concrètes, il convient de demeurer sur ses gardes...
JG Malliarakis
(1) N° du 31 juillet pages 25 et 26.
(2) Ce problème n'est pas nouveau. Ainsi Aristote après avoir étudié quelque 173 constitutions répondait à ceux qui lui demandaient laquelle était la meilleure : dis-moi d'abord pour quel peuple et pour quelle époque.
(3) évolution que Winston Churchill faisait remonter à 1815.
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