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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
MARDI 21 SEPTEMBRE 2004

RECUL DU SOCIALISME ALLEMAND

Les cercles dirigeants et technocratiques parisiens gagneraient à cesser de se raccrocher à cette branche

Les élections régionales du Land de Sarre ce 5 septembre et celles des deux Länder de Brandebourg et de Saxe le 19, ont donc occasionné le 10e échec des socialistes depuis la réélection de justesse de Gerhard Schroeder à la chancellerie à la suite des élections de 2002. Cette série de défaites n'a pas de précédent dans l'Histoire politique allemande.

De tels résultats devraient éclairer les Français quant à la solidité du partenariat Chirac-Schroeder. Elles n'ont hélas donné à nos commentateurs parisiens agréés que l'occasion de donner la mesure de leurs propres œillères, s'agissant de l'opinion allemande qu'ils ne savent regarder qu'en fonction de leur propre sentiment quant au modèle social (1). C'est ainsi que l'AFP du 20 septembre, après une première dépêche intitulée "Régionales : les Allemands de l'Est sanctionnent les grands partis" (Berlin, le 19 septembre) rectifiera le tir au cours de la journée suivante, sur le thème "Régionales en ex-RDA : malgré un recul, le SPD de Schroeder sauve les meubles" (Berlin, le 20 septembre). La "poussée des extrêmes", néostaliniens et nationalistes, devient une avancée du PDS, d'une part, et une inquiétante progression du NPD, d'autre part, sans aucune corrélation.

Le PDS, nostalgique de l'Allemagne de l'est, doit être accepté en France comme un partenaire plausible dont les sociaux-démocrates allemands pourraient bien voir besoin un jour ou l'autre.

Reprenons d'abord les chiffres.

Ces résultats sont contrastés ; ils reflètent des situations géographiques, des héritages culturels et des configurations politiques locales entièrement différentes :

Sarre
La petite région frontalière est située au centre de la vielle Europe carolingienne, entre la France et le Benelux. Le Land a donné au socialisme allemand dans les années récentes l'un de ses plus gauchisants dirigeants, M. Oskar Lafontaine. Mais il est gouverné par une majorité chrétienne-démocrate, comme le sont la plupart des régions à dominante catholique. La défaite de la sociale démocratie ne se traduit pas par la perte d'un Land, mais par une érosion électorale que l'on retrouve depuis des mois dans la plupart des régions allemandes.
En Sarre, malgré leur position de parti dominant et malgré le taux de chômage, les chrétiens démocrates gagnent 2 points, ainsi que les libéraux et les verts. Les socialistes en perdent 14. Enfin, l'extrême droite, représentée par le NPD, obtient un score plus important qu'à l'accoutumée, soit 4 % des voix. Mais cela ne lui permet toujours pas d'accéder à l'assemblée régionale, où la barre est fixée par la loi allemande à 5 % des voix, ce qui avait écarté dans la mandature précédente aussi bien les Grünen que le FDP.

Saxe
La CDU y enregistre un important recul électoral dans ce Land de 4,4 millions d'habitants, qu'elle administre depuis 1990, où elle entreprend une politique de déréglementation et où le chômage est inférieur à la moyenne de l'est. On peut y voir la conséquence de l'usure de son pouvoir. M. Georg Milbradt, chef du gouvernement régional sortant a cependant le choix entre le parti libéral FDP, qui ayant dépassé le seuil des 5 %, fait son entrée dans le Landtag — et ce qu'on appelle une "grande coalition" avec le SPD qui n'a fait qu'un lamentable score, inférieur à 10 %, le plus mauvais score jamais réalisé par les sociaux-démocrates à une élection régionale depuis 1949.
Un an après l'échec d'une tentative interdiction devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, le NPD, gagne 8 points, et il rentre pour la première fois depuis 1968 dans un parlement régional.
Le PDS néocommuniste, lui, gagne 1 point en Saxe, passant de 22 à 23 %.

Brandebourg
Dans cette région de 2,6 millions d'habitants et où le taux du chômage est de 19 %, le PDS héritier de l'ancien parti communiste est-allemand se pose en deuxième force régionale. Il gagne 5 points, passant de 23 en 1999 à 28.
Une autre formation de droite nationaliste la DVU, obtient 6 % (+1% par rapport à 1999) et siégera au Landtag.
Dans le Brandebourg, le SPD perd 8 points, avec 31 % des voix contre 39 % en 1999). Le chef du gouvernement régional sortant Matthias Platzeck ne pourra être reconduit qu'en choisissant entre l'alliance avec le PDS ou le maintien de la "grande coalition", à condition que la CDU locale s'en accommode après avoir perdu 7 points par rapport à 1999.

"Bien sûr que ces résultats font mal", a reconnu le 19 septembre au soir la présidente de la CDU, Mme Angela Merkel.
Elle les met au compte du "sentiment d'insécurité" dans l'ex-RDA.

Le seul point commun aux 3 résultats régionaux est la déroute des socialistes.

Rappelons en effet que pour la CDU, les résultats de l'Ouest (Sarre) sont favorables. L'image de "grande coalition" avec les socialistes est donc probablement dangereuse au plan fédéral. Ce concept de "grande coalition" sent un peu trop la pensée unique.

Les Verts, partenaires du SPD au gouvernement, et dont l'alliance a permis à Schroeder de se maintenir à la chancellerie en 2002 partout 1 ou 2 points mais ils ne siègent toujours dans aucun parlement est-allemand. La participation reste médiocre inférieure à 60 %.

La campagne électorale a été marquée par 6 semaines de manifestations systématiques contre la réforme du marché du travail et les "ABM" (Arbeitmaßnahmen). Le gouvernement de Berlin prévoit notamment une réduction du montant des allocations de chômage de longue durée. Et cette mesure a alimenté l'agitation en Allemagne de l'Est. Ce programme dit "Hartz IV" est imputé à l'influence de Peter Hartz, directeur des ressources chez humaines chez Volkswagen qui avait "sauvé l'emploi" dans l'énorme firme automobile en 1993 (2), y instaurant, par une convention d'entreprise avec IG Metall, la semaine de 4 jours. Ce "magicien" a hélas inspiré, sans le vouloir, aux socialistes français l'idée qu'une réglementation autoritaire du partage du temps de travail — ce qui n'a évidemment rien à voir — pourrait, par extrapolation, résorber le chômage en France. Et cela a abouti aux misérables lois liberticides du gouvernement Jospin sur les 35 heures. Aujourd'hui, M. Hartz est devenu la référence sociale du gouvernement Schroeder qui s'attaque à l'assistant.

Seulement il se trouve que cette politique aggrave l'effondrement du socialisme allemand, déjà fort ébranlé en 2002.

Le pessimisme et la désillusion semblent forts à l'Est, 15 années après la chute du Mur. 60 % des Allemands de l'est ont compris, d'après les sondages, qu'il faudra "plus de dix ans" pour rattraper le niveau de l'Ouest.

La raison en est que lors de la réunification, le niveau de productivité du travail est-allemand était inférieur de plus de 65 % à celui de l'Ouest et que les syndicats de l'Ouest, avec le concours du gouvernement de Bonn (3), ont obtenu l'égalisation des salaires. Il s'en est suivi que 90 % des emplois existants à l'est ont disparu assez rapidement. Aujourd'hui cependant sur 49 grands projets industriels conçus par le Land de Brandebourg, 2 seulement ont échoué. On peut donc considérer, tout compte fait, comme une réussite relative le fait que le taux de chômage soit "seulement" de 20 % dans les Länder de l'est. Il est vrai qu'un lent mouvement de migration de l'ordre de 1 % par an pousse les jeunes Allemands qui veulent travailler à s'installer à l'ouest.

La comparaison, qui saute aux yeux désormais, est celle du Mezzogiorno italien.

En 15 ans, l'économie productive de l'Ouest a injecté plus de 1 200 milliards d'euros vers l'est, et bien entendu une part considérable de ces milliards a été engloutie en pure perte en transferts sociaux. Les Étrangers hésitent à investir à l'est de l'Allemagne car les salaires de l'Europe centrale voisine et le niveau des prix sont bien plus favorables. La France est le premier investisseur extérieur dans les "nouveaux Länder" allemands. C'est ce que les Lecteurs de Lucky Luke désignent comme le syndrome de Rantanplan, le chien le plus bête du Far West.

Reconnaissons quand même que les raisonnements de la presse parisienne font un peu douter du caractère cartésien de la patrie de Descartes.

1° la défaite électorale des socialistes allemands en Sarre, c'est-à-dire, dans un Land caractéristique de l'ouest, ne peut pas être imputé au malaise des seuls Ossis, ressortissants de l'ancienne Allemagne de l'est. En effet le taux de chômage outre-Rhin est de l'ordre du double, 18 %, dans les Länder de l'est, par rapport aux anciens Länder, où il est inférieur à 9 %.

2° la poussée des divers partis de droite en Sarre (CDU, FDP) et d'extrême droite en Saxe et Brandebourg (DVU et NPD) et la décrue du vote socialiste ne peut pas s'expliquer par l'idée que Gerhard Schroeder serait considéré comme "pas assez à gauche", voire "ultra-libéral". Le mot est lâché.

Pourquoi ne pas évoquer aussi la "question turque" qui inquiète beaucoup d'Européens.

Les commentaires franco-français, tendent, en fait, à sauver le modèle hexagonal, pâle importation du modèle social démocrate allemand.

La réalité est que le socialisme allemand connaît une sorte d'effondrement historique, sous la direction d'un homme politique particulièrement douteux et illusoire. Les cercles dirigeants et technocratiques parisiens gagneraient à cesser de se raccrocher à cette branche.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) On a pris l'habitude d'appeler modèle "rhénan" les législations et réglementations existant en France et en Allemagne. Par exemple on entend souvent dire que le "système Bismarck" des années 1880 serait celui de la sécurité sociale française de 1945. Les similitudes sont, en réalité, souvent formelles.

(2) Le groupe Volkswagen compte 337 000 salariés dont 176 000 en Allemagne, essentiellement à l'ouest, en Basse-Saxe et en Bavière (40 000 emplois dans la filiale Audi). S'inspirer de la réussite d'une telle entreprise n'augure pas le succès s'agissant des petites unités de production et des initiatives individuelles. On notera qu'aujourd'hui le problème de Volkswagen est que ses coûts salariaux sont supérieurs de 15 % à eux de ses concurrents européens. La direction estime à 30 000 le nombre de postes de travail qui seraient menacés faute d'un accord avec le syndicat IG Metall. Or, depuis sa création, en 1938, jamais Volkswagen, — la "voiture du peuple", — n'avait connu de licenciements collectifs.

(3) Le chancelier Kohl avait fait du deutsche mark — modèle de l'euro — l'instrument monétaire de la réunification politique.

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