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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
MERCREDI 22 SEPTEMBRE 2004

L'INCORRIGIBLE MONSIEUR CHIRAC

On nous parle d'un impôt mondial comme s'il existait déjà une Constitution mondiale

Au lendemain des propos du chef de l'État à New York ce 20 septembre, il était évidemment tentant d'aller consulter sur le site des grands journaux internationaux l'impact de cette grandiloquente réapparition du tiers-mondisme français.

Première déception : ni le New York Times, pourtant bien placé, ni le Washington Post, plus attentif aux choses internationales, ni le Daily Telegraph de Londres ne semblaient y attacher la moindre importance.

Quittons donc les sites anglo-américains, certainement mal intentionnés, à l'endroit de la France éternelle.

N'ont-ils pas brûlé Jeanne d'Arc ?

Sur les sites de La Repubblica, 17 titres en page d'accueil (dont la reprise de l'entretien de M. Barroso au Monde), rien sur Chirac ; sur celui du China Daily, 24 articles (dont la visite du premier ministre au Kirghizstan), rien ; sur The Hindu de Bombay, 4 articles en page d'accueil et 9 en page international : toujours rien. Il faut aller sur le site du bon vieux Spiegel pour trouver, enfin, parmi 66 autres textes une évocation fort mitigée, de cette intervention en lever de rideau de la 59e Assemblée générale des Nations Unies. Cependant la photo montre le président brésilien Lula da Silva. Le partenaire Chirac n'est supposé être intervenu qu'à titre de soutien. Bref, la gloire mondiale qu'il en retire est limitée.

Les journaux parisiens de la pensée unique française sont plus prolixes.

Pour Le Monde : ce sont "à l'ONU, 110 pays prêts à se mobiliser contre la faim et la pauvreté". Sous-titre "En marge de l'Assemblée générale, un sommet a permis de faire avancer l'idée d'une taxe mondiale défendue par le Brésil et la France."

Pour Le Figaro : c'est "Chirac, champion de la solidarité avec les pauvres". Sous-titre : "Jacques Chirac a plaidé, hier à New York, pour la création d'un impôt mondial afin de financer l'augmentation de l'aide aux pays pauvres."

Pour Libération, c'est le dossier du jour ! 1er article : "Jacques Chirac se taxe de solidarité" sous-titre : "À New York, il a plaidé hier en faveur d'un impôt mondial pour lutter contre la pauvreté"; 2e article : "Des pistes pour doubler l'aide actuelle"; sous-titre : "Quels secteurs ponctionner pour collecter 68 milliards de dollars supplémentaires ?"; 3e article : "Une idée qui, petit à petit, sort du nid de l'utopie" sous-titre : "Autrefois méprisé, le concept de taxe internationale fait son chemin dans les débats d'experts"; 4e article : "Huit mois pour «briser un tabou»" sous-titre : "Mandatée par Chirac, la commission Landau a planché sur une fiscalité planétaire."

Vous avez bien lu : fiscalité planétaire. Eh oui, cet ectoplasme est en train de prendre forme dans les cerveaux fumants et fumeux des alter-mondialistes.

Les mêmes, qui vont probablement monter au créneau contre l'idée d'une Constitution européenne, sont en train de parler comme s'il existait déjà une Constitution mondiale.

Tel est bien entendu l'argument, qui n'est pas seulement "formel", et que reprend l'envoyée du gouvernement américain. Une taxation globale serait par essence antidémocratique : elle serait décidée par quelques États au profit de quelques oligarchies locales et quelques organisations internationales. Ce serait à l'évidence un accord entre bureaucrates, et la négation de tout ce qui a fondé la démocratie moderne depuis le XVIIsiècle et la révolte fiscale contre l'impôt arbitraire du roi d'Angleterre Charles Ier. Rappelons aussi à M. Chirac que la convocation des États généraux en 1789 avait pour enjeu essentiel la réforme fiscale, impossible dans la constitution de l'ancienne France sans le consentement des contribuables.

Autrement dit, non seulement la taxation revient en arrière par rapport à la démocratie élémentaire, mais elle est pour la France plus autoritaire et arbitraire que ne l'était la monarchie dite "absolue".

Le deuxième argument américain est un peu plus dangereux.

C'est l'argument, ambigu, de la non-faisabilité.

Deux représentants de la Commission européenne sortante, dont M. Pascal Lamy rédacteur du traité de Maastricht et commissaire français, l'ont repris et même amplifié. Cela fait dire à la presse que "l'Europe" est sceptique. S'en tenir à cette impossibilité alléguée, tout en soulignant que l'on trouve légitime l'idée d'une taxe globale (1) est à double tranchant.

En effet ce qui frappe, en examinant l'état actuel du dossier, c'est le foisonnement de "pistes", une bonne trentaine, examinées et soupesées par les fiscalistes. Le gouvernement français trouve sans doute que la fiscalité n'est pas assez forte dans notre pays. Il les a donc fait étudier par un comité Théodule pendant plusieurs mois. "Paris" tient pour la taxe dite "Tobin". Mais les 3 autres initiateurs de la campagne, le Brésilien Lula Da Silva, le Chilien Lagos et l'Espagnol Zapatero, ont chacun avancé, ce 20 septembre, une proposition différente. Sur le moment, cela faisait un peu désordre.

Mais il viendra un jour ou l'autre, où l'on trouvera facile, hygiénique, écologique, ou profitable à tel lobby bien en cour (2) d'employer l'une ou l'autre des solutions proposées. Sans doute, la plupart sont jetables. Cependant certaines peuvent parfaitement se mettre en place. On a ainsi proposé, dans le lot, outre une taxe sur le kérosène et sur les voyages aériens, une taxation des retraits par carte bancaire : qui sait si certaines banques, plombées par des personnels pléthoriques et privilégiés, n'y verraient pas un utile petit profit qui consisterait à mettre une taxe pour l'État (mondial) et une (petite) commission pour la corporation des banques, — elle aussi a ses frais — une bouchée pour papa, une bouchée pour maman, ceci pour ne donner qu'un exemple.

Alors, la vraie question est celle de l'efficacité positive d'une redistribution en faveur du Tiers-monde.

Et la réponse est claire : ces programmes ont fait beaucoup de bien aux organisateurs ; c'est une efficacité négative, car ils ont fait très peu de bien aux peuples supposés bénéficiaires. Les deux grands pays qui sortent actuellement de leur situation misérable des années 1950, l'Inde et la Chine, doivent extrêmement peu, pour ne pas dire rien du tout, à ces transferts bien-pensants. Plutôt que de donner du lait en poudre et de l'eau minérale mieux vaut enseigner à creuser un puits. Et cela ne coûte pas les milliards de dollars que l'on envisage de distribuer aux bureaucrates et aux despotes qui, en général, sont les plus grands responsables de l'arriération de leurs propres peuples.

Plus grave encore, pour la France, cette légitimité affirmée de la taxation renforce les courants d'idées fausses qui souhaitent maintenir dans notre pays un taux élevé de prélèvements obligatoires. Ces courants sont, en principe, ceux contre lesquels M. Chirac s'est toujours fait élire depuis qu'il compense sa propre pauvreté par une participation au festin de la république, c'est-à-dire depuis quelque 40 ans qu'il pollue la droite française. Mais ce sont aussi curieusement ceux dont, sur la scène internationale il tient toujours le discours. Avant-hier à Monterrey, hier à Johannesbourg, aujourd'hui à Manhattan.

Hypocrisie diront certains.

Quand l'hypocrisie n'est que l'hommage rendu à la vertu par le vice, elle n'est que demi-mal.

Quand il s'agit, au contraire, de faire l'apologie de la perversion sous prétexte de se faire applaudir par 110 gouvernements, dont une bonne centaine de dictatures, nous sommes en présence d'un mal absolu, et nous devons, s'agissant de ce patient, le tenir pour probablement incurable.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) Il vaudrait peut-être mieux dire littéralement "mondialiste", "global" étant le mot américain pour "mondial"
(2) Y compris aux États-Unis, n'en déplaise à ceux de nos amis libéraux qui croient que l'Amérique a toujours raison.

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