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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
LUNDI 27 SEPTEMBRE 2004

DU DANGEREUX DÉCLIN DE LA DÉMOCRATIE FRANÇAISE

L'autoritarisme des imbéciles peut faire descendre la France encore plus bas...

Le scrutin sénatorial du 26 septembre a conduit la plupart des médiats et des grands journaux à des commentaires conventionnels et automatiques. En particulier cette 4e défaite électorale, en moins de 12 mois, subie par la majorité présidentielle de 2002 semble suggérer, aux dictateurs de conscience de l'opinion officielle, l'idée que la gauche serait majoritaire en France ; ainsi sans doute l'arrivée de Robert Hue et de Dominique Voynet au sein de la haute Assemblée leur fait-elle croire que la gauche plurielle des années 1997-2002 retrouve des couleurs.

On pourrait rire, aujourd'hui, d'une telle illusion si elle n'était prémonitoire, peut-être, d'une réalité tout à fait plausible à l'horizon des scrutins présidentiels et législatifs de 2007, replongeant la France dans 5 années supplémentaires de socialisme et d'immobilité.

Mais en vérité depuis 1981, et malgré les déroutes et effondrements multiples du parti socialiste et de ses alliés communistes, à plusieurs reprises, en 1986, en 1993, en 1995 et en 2002, combien de fois le désir du peuple français de mettre un terme au socialisme n'a-t-il pas été déçu par les troubles équivoques du bonapartisme chiraquien ?

Il serait réducteur de ne s'en tenir qu'à la thèse, finalement assez floue, du pouvoir culturel.

Certes, celui-ci demeure sous le contrôle des idéologies de gauche, et même, s'agissant de la France, subit-il le quasi-monopole des centrales les plus démonétisées.

Nous ne devons pas non plus chercher à minimiser ce phénomène de tétanisation des prétendues élites technocratiques paralysées devant les oukases des revenants du marxisme et des nostalgiques du gauchisme.

Mais nous ne pouvons pas toujours ramener le débat politique à cette dimension, qui surestime elle-même la réalité des pouvoirs et de leurs réseaux. Et, si nous devions, d'ailleurs, analyser le pouvoir culturel en lui-même, ce qui frappe le plus en est la médiocrité, l'inanité, l'innocuité de son discours.

Les chrétiens d'aujourd'hui ne semblent plus beaucoup craindre l'enfer. On peut parfois le déplorer car cette menace incite à ne pas faire n'importe quoi...

Mais dans le débat actuel les professionnels de la bonne conscience démocratique, eux, ne craignent pas le ridicule. C'est parfois malheureux car cela les empêcherait de dire n'importe quoi.

Les exemples foisonnent. Le dernier en date que livre l'actualité vient de nous être fourni par Mme Guigou, élue de la Seine-Saint-Denis. Intervenant le 24 septembre sur la question de la candidature controversée de la Turquie à l'Union européenne, elle affirme sans rire : "L'argument religieux est irrecevable. Nous avons déjà beaucoup de musulmans sur le sol européen".

Personne n'a le droit de dire à Mme Guigou, au nom de la logique, que son argumentation est totalement contradictoire (1) donc risible.

Personne ne peut le dire car les tribunes démocratiques, les institutions démocratiques, les piliers de la démocratie sont en déclin, de manière dramatique dans un pays habitué à un demi-siècle d'autoritarisme, larvé mais bien réel, sous la Ve république.

Commençons par le paradigme du débat démocratique, la presse, pour la liberté de laquelle on fit au XIXe siècle des émeutes et des révolutions.
Juridiquement presque libre, la presse française est une des plus dérisoire en nombre de titres et en tirage des journaux, de tout le monde industriel.

Quand les quotidiens britanniques, allemands, américains, japonais, tirent et vendent à des centaines de milliers d'exemplaires, voire des millions, observons, au microscope, les plus gros journaux de la presse parisienne. Les trois principaux, ceux qui donnent le ton, ont vendu ces 12 derniers mois, en moyenne quotidienne, Le Monde 338 000 exemplaires (recul de 4,26 %), Le Figaro 335 000 (recul de 1,75 %), Libération 149 000 exemplaires (recul de 0,03 %). En 20 ou 25 ans, le recul global est de l'ordre de 50 %. Il est vrai que L'Humanité gagne 0,6 % avec 47 700 exemplaires vendus, au prix de pertes financières considérables. Le grand triomphateur est L'Équipe, journal qui progresse le plus (+ 11,65 %) avec 348 000 exemplaires vendus, sans doute grâce aux Jeux olympiques et à la coupe du monde de podosphère.

Ces chiffres sont autant de signes d'un rabougrissement constant que les autres pays industriels ne connaissent pas.

Autre inquiétant déclin : celui des tribunes parlementaires.

Tout le monde semble se moquer des débats de nos assemblées. Le pouvoir est manifestement ailleurs, dans les cabinets ministériels recrutés eux-mêmes dans des personnels qui paraissent inamovibles, indifférents aux aléas électoraux.

De ce Sénat que l'on vient de renouveler, la grande autorité morale du socialisme français (2) qu'est M. Lionel Jospin, a osé dire un jour qu'il était une "anomalie".

Là aussi personne, ou presque, n'est venu rappeler à M. Jospin que l'anomalie dans un régime démocratique ce n'est pas l'existence d'une Haute assemblée, c'est au contraire le monocamérisme qui demeure l'idée fixe des gens de la gauche française, héritage suranné de ses diverses expériences constituantes et révolutionnaires.

En 1945 encore "on" voulait supprimer le Sénat et si la Constitutions de 1946 l'a maintenu, c'est sous le nom de "Conseil de la république" doté, il est vrai de pouvoirs plus grands que ceux du Sénat de la Ve république. Celui-ci se trouve depuis près d'un demi-siècle cantonné, ligoté par le texte de MM. Capitant et Michel Debré plébiscité en 1958, à un rôle d'amendements discrets, qu'il remplit d'ailleurs beaucoup mieux qu'on le pense.

Dans un monde où partout les défenseurs des Libertés s'attachent à maintenir et même à développer le bicaméralisme, l'exception française a quelque chose d'inquiétant.

Certains croient pouvoir tirer argument du fait que le Sénat français, qui, constitutionnellement a pour fonction de représenter les collectivités territoriales, est issu d'un mode d'élection donnant beaucoup de poids aux municipalités, donc à la ruralité. — Est-ce d'ailleurs un mal ?

L'argument est faussé par le fait qu'une Haute assemblée n'est jamais supposée reproduire le mode d'élection des députés : ni le Bundesrat allemand, ni le Sénat américain, ni (encore moins) la chambre des Lords anglaise, etc. Si l'on veut faire évoluer le mode d'élection sénatorial, ce ne pourrait être qu'en faisant évoluer la France vers un régime plus fédéraliste donnant plus de poids aux autres collectivités territoriales, aux régions ou, même, aux départements (3).

Les discours anti-sénatoriaux que l'on a encore entendus en ce mois de septembre sont donc le reflet d'une inquiétante tendance à la liquidation des libertés.

Il est remarquable d'ailleurs que cette tendance se retrouve d'abord à la Chambre des députés, qualifiée significativement d'Assemblée nationale, ce qui suppose que l'autre assemblée n'est finalement que secondaire. L'actuel président de cette Assemblée n'est notoirement qu'un docile relais de l'Élysée, d'une envergure intellectuelle fort limitée. Et le parti archi-dominant, l'UMP disposant de 365 députés, s'était même doté d'un président de groupe parlementaire M. Jacques Barrot adepte de la procédure des ordonnances (4)…

Il est vrai qu'après avoir prétendu maintenir l'existence de courants, l'UMP est en train de se doter elle-même d'un nouveau sauveur qui proclame inutile tout débat interne. "À quoi bon des chapelles quand on a une cathédrale ?" demande publiquement M. Sarkozy ? N'étant pas des intégristes du laïcisme, cette métaphore religieuse ne nous fait pas peur. Et elle nous semblerait "recevable" sur le principe, si elle était pertinente dans les faits : l'expérience montre, à l'évidence, qu'elle ne l'est pas. M. Sarkozy et son entourage gagneraient à savoir que, sans des chapelles vivantes, actives, et parfois discrètement concurrentes, les cathédrales se vident. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se passer à l'UMP, au détriment des droites dans leur ensemble.

Ceci n'est pas sans nous rappeler que, seul pays européen ayant effectivement supprimé la droite et l'alternance pendant les 3/4 du XXe siècle, "coupant court aux débats interminables", la Russie actuelle en est encore, aujourd'hui, à chercher à se guérir de l'héritage de 70 ans de socialisme.

La France n'en est qu'à 23 ans de socialisme, sans véritable alternance… L'autoritarisme des imbéciles peut encore la faire descendre plus bas.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) Car si "l'argument religieux est irrecevable" c'est que le fait religieux est ignoré, par conséquent on ne saurait savoir si nous comptons beaucoup de "musulmans" sur le sol européen. Et si l'argument religieux n'est pas "recevable", pourquoi reçoit-on l'islamiste Erdogan et son épouse voilée ?
(2) À défaut d'avoir été sa grande réussite
(3) À moins que l'on considère que la seule collectivité territoriale méritante soit la "banlieue".
(4) En 1996 il avait été le signataire des ordonnances du fameux (et calamiteux) plan Juppé. Et dès que l'on a commencé à parler du 17e projet de réforme destinée à "sauver" l'assurance-maladie il déclarait (La Tribune 22 janvier 2004) que l'idée de "légiférer par ordonnances" "coupe court aux débats interminables". Avec des défenseurs de cette qualité le parlement n'a pas besoin d'adversaires. Aujourd'hui récompensé de sa docilité par un siège de commissaire européen à Bruxelles, M. Barrot ne va certainement pas être de ceux qui contribueront à combler le "déficit démocratique" tant reproché aux institutions européennes.

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