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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
JEUDI 30 SEPTEMBRE 2004

FISCALISME FRANÇAIS SANS SURPRISE

Le Conseil des impôts trouve la fiscalité française excellente...

Mon premier réflexe, ce 28 septembre, en prenant connaissance du rapport du Conseil des impôts, et du commentaire du Monde, (1) avait été un haussement d'épaules. Je l'avoue, je suis un peu blasé. Certes, je trouve encore un peu de fraîcheur provocatrice aux embruns de L'Humanité. Ce torchon déficitaire a au moins ce mérite suranné de demeurer (presque) totalement kitsch au milieu de l'océan hypocrite politiquement correct. En revanche, les petites vaguelettes écœurantes du Monde ne me font sourire qu'à l'idée de l'effondrement de ce journal. Le quotidien de la mort lente mérite sa propre euthanasie, à laquelle préside, impavide, le mégalomane Colombani, entouré de sa petite cour de muscadins trotskistes.

Mais à lire ce 29 septembre, la première page du quotidien économique Les Échos, je dis halte là ! Le titre est en lui-même incroyable et absurde : "Délocalisations : Le Conseil des impôts crée la surprise". Et de nous asséner, comme si c'était vrai, un résumé du dossier en page 3.

Il est vrai qu'en page 1 figure également un graphique, très sommaire. Il se veut objectif. Et on pourrait presque s'en servir pour résumer la situation. À en croire ce tableau (c'est vrai je l'ai lu dans le journal) le taux d'imposition (des bénéfices) des sociétés serait

On pourrait presque s'en contenter pour retenir que la France est handicapée dans la concurrence fiscale par rapport au reste de l'Europe.

Mais il est à remarquer que même cette présentation schématique est trompeuse.

Tout d'abord une comparaison plus globale permettrait de comprendre que l'Union européenne elle-même est pénalisée par rapport au reste du monde, et notamment par rapport à de grandes puissances industrielles comme les États-Unis ou le Japon, sans parler de la Suisse.

Autre objection à ce tableau, le lecteur aurait gagné aussi à comprendre, au premier coup d'œil, que le gouvernement de Berlin a entrepris de baisser les impôts beaucoup plus rapidement que ne le fait celui de Paris. Les Français ont sans doute intériorisé, depuis de nombreuses années, leur alignement sur l'économie allemande et sur celle du Benelux. C'est la situation qui a conduit à justifier l'Union monétaire, le SME dans les années 1970, puis à partir des années 1990 la construction de la monnaie unique appelée euro.

Or, cette coopération monétaire renforcée sera mise en péril si la France et l'Allemagne ne procèdent pas rapidement

De plus si la France prend du retard par rapport à l'Allemagne, son gouvernement la met dans une situation encore plus dangereuse.

Objection fondamentale : on laisse à des technocrates le soin de penser pour les citoyens.

L'optique des magistrats de la Cour des comptes, aujourd'hui présidée par M. Séguin (3), comme celle du Conseil des impôts en sous-traitance, est celle de la haute fonction publique française. Elle n'est dépourvue ni de dignité, ni de rigueur, ni d'intelligence. Elle combine même ces trois qualités pour chercher à mettre un peu de logique, éventuellement suggérera-t-elle parfois un zeste de bon sens, dans la gestion interne du système étatique hexagonal.

Mais jamais la logique de l'entreprise ne pourra être la sienne. Car le moteur de l'entreprise c'est le profit et donc l'enrichissement de l'entrepreneur. Et la technocratie française a ceci en commun avec le communisme qu'elle déteste le profit, qu'elle dédaigne l'entrepreneur et qu'elle combat la concurrence.

Au XIXe siècle il était encore loisible de considérer ce profit comme méprisable, nuisible et de le dédaigner. Du point de vue de l'utopie, c'est une littérature immense qui condamne le Veau d'Or. Karl Marx, qui se réclamait d'une démarche scientifique, était déjà plus nuancé dans son analyse mais il a donné un corps de doctrine au rêve utopique.

Au XXe siècle, on a pu mesurer les effets irrémédiables de cette logique d'abolition du profit, dans quelque 25 pays communistes d'Europe, d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique (4), dont 6 ou 7 le sont encore pratiquement à 90 %. L'échantillonnage a été suffisamment large et diversifié pour être convaincant. Le champ de cette entreprise allait de petits pays d'Europe centrale ou balkanique, les uns avancés les autres traditionnels, à l'immense Chine, en passant par l'île tropicale de Cuba (5), en comptant des nations disposant, au départ, de ressources naturelles extrêmement riches et prometteuses comme celles de la Russie et de certains pays africains. Le résultat a été le même partout, des combinats aux agrovilles en passant par les kolkhozes ou les sovnarkhozes, tout a été désastreux, "the full catastrophy" (6).

Au XXIe  siècle, il n'est plus acceptable de considérer l'entreprise sans l'entrepreneur. Une fois pour toutes on doit cesser de la définir comme une simple unité de production, et cesser également de la désirer la plus gigantesque possible pour satisfaire à l'idée que des ingénieurs (très brillants et estimables) et des fonctionnaires (encore plus honnêtes) se font de la rationalité.

Or, en page 3 des Échos, quotidien français de l'économie, nous voyons un tableau intéressant d’impôts supportés par les entreprises, sans considération des charges pesant sur l'entrepreneur en tant qu'individu. C'est ainsi que "l'impôt sur le sociétés" voisine avec "la taxe professionnelle", mais on ne semble pas se préoccuper de la lourdeur (évaluée à 10 milliards) de la part d'impôt sur le revenu (autrefois appelé IRPP, des personnes "physiques") supporté par les individus, et on ne tient pas compte des droits de succession ou de l'ISF, puisque celui-ci n'est pas supposé frapper l'outil de travail.

Quant aux charges sociales on les a tout simplement éliminées de tout le raisonnement, destiné à réhabiliter "l'image" de la fiscalité française.

Ces chiffres et cette logique sont ceux de la Cour des comptes et du Conseil des impôts.
Ceci ne veut pas dire que tout ce que disent ces respectables institutions serait absurde ou inutile .
Cela veut dire au contraire que l'on doit consulter leurs travaux, utiliser leur documentation, analyser leurs chiffres, mais remettre en cause leur logique propre, qui est celle des technocrates.

Par exemple dans les travaux du Conseil des impôts, de la Cour des comptes, etc. apparaît une intéressante pièce à verser au débat : c'est à la fois la diversité foisonnante des charges fiscales, et la part très lourde de la taxe professionnelle.

Voici les principaux impôts supportés en France par les entreprises, pour l'année 2003

Sur la question de la diversité, il y a beaucoup à dire.
Et par exemple ceci :
a) Cette diversité même empêcherait, s'il en était besoin, de prendre au sérieux la notion même d'harmonisation fiscale en Europe.
b) Ou bien, en effet, on imagine une Europe strictement "jacobine", centralisée, théoriquement égalitaire, qui poserait les mêmes taux de fiscalité partout, dans tous les domaines, et personne n'en veut. Ces serait d'ailleurs sûrement un désastre qui amènerait très vite à instaurer d'énormes dépenses de compensation des handicaps — le terme du jargon eurocratique est celui de "cohésion"— comme en connaissent les pays centralisés (7).
c) Cette hypothèse n'étant pas soutenable, l'harmonisation serait simplement superficielle. Elle ne tiendra aucun compte de taxes que l'on qualifiera de "mesquines". En France les entreprises supportent 3 milliards d'euros au titre de la taxe sur les ordures ménagères, etc.
d) On est en train de le voir avec le projet de réforme de la feuille de paye imaginée par le jeune ministre Dutreil, dans le cadre des vieilles idées de "simplification". Ces mesures effectivement "simplistes" sont des horreurs qui vont retarder encore la nécessaire mise en concurrence des caisses sociales.

C'est donc à juste titre que le Conseil des impôts remarque la lourdeur de la taxe professionnelle. Mais comme il raisonne en fonction des entreprises et non des entrepreneurs, ce qu'il suggère sera précisément insupportable pour les entrepreneurs individuels.

Au total l'objection majeure porte sur une interrogation qui serait légitime, la préoccupation de ce qu'on appelle les "délocalisations". Là aussi, poussé par la logique de la CGT, par les inquiétudes des Préfets, par les protestations des municipalités, les technocrates ne raisonnent qu'en fonction des grandes entreprises. Il faut "sauver Perrier", "sauver les bassins d'emplois", etc. Alors la réponse, d'une manière ou d'une autre, s'oriente toujours vers des politiques de subventions.

En réalité, si on veut bien tenir compte de notre propos, qui est de considérer l'entrepreneur individuel, ce sont toutes ces subventions, toutes ces compensations, toutes ces aides qui, alimentant la dépense publique et la charge fiscale et sociale, justifiant la réglementation la plus décourageante du monde industriel, poussent à l'exil ou au renoncement les Français actifs et créatifs.

Sur un point, paradoxalement, nous sommes prêts à donner raison aux technocrates français. Ce ne sont pas, en effet, seulement l'ISF, la taxation des plus-values boursières ou l'impôt sur les sociétés, qui découragent l'investissement et l'initiative en France. C'est un environnement d'ensemble, et c'est un discours dominant ; ce sont les innombrables entraves qu'ils créent, et c'est le discours d'autosatisfaction qu'ils inspirent. Autrement dit : c'est eux, qui poussent un nombre grandissant de Français, riches et pauvres, à voter avec leurs pieds.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) Le Conseil des impôts est une structure administrative sous-traitante. Elle est composée de 11 personnes dont 3 membres de la Cour des comptes et 8 hauts fonctionnaires. Depuis la Grande Charte anglaise du XIIIe siècle, et la convocation des premiers États Généraux en France aux XIVe siècle, il est couramment admis que la légitimité des impôts résulte du consentement et du vote de ceux qui les payent, et non de la contrainte de ceux qui les prélèvent.
(2) édition datée du 29 mise en ligne le 28 septembre
(3) dont les brillantes réussites ne se comptent plus.
(4) La lointaine Océanie est le seul continent à avoir échappé à la contagion.
(5) Cuba était un des pays les plus avancés du continent américain dans les années 1950. Avant 1948, il en allait de même pour la Tchécoslovaquie, et la partie centrale de l'Allemagne (l'ancienne Allemagne "orientale" est aujourd'hui polonaise ou russe, Dantzig est devenue Gdansk, Koenigsberg est devenue Kaliningrad, Memel est aujourd'hui Klaïpeda).
(6) L'inutilité de cette monstrueuse expérience prouve en elle-même la supériorité de l'approche "praxéologique" d'un Von Mises sur "l'empirisme organisateur" d'un Auguste Comte. Les faits historiques n'enseignent que ceux qui en reçoivent la leçon et en perçoivent la logique. Les défenseurs de l'utopie ne capitulent jamais. Je me souviens d'un Delors se mettant en colère sur le thème : "Qui vous dit qu'il n'y aura pas un pays qui saura un jour construire son socialisme ? En effet : rien ne le prouve pas.
(7) l'exemple le plus frappant et le plus coûteux est celui de l'unité italienne et du Mezzogiorno.

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