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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
LUNDI 11 OCTOBRE 2004

LE MODE DE dÉcision DES TECHNOCRATES

Désolant s'agissant de nos petits pays, il devient dramatique appliqué aux destinées européennes...

Les récents développements de la prise de décision au sein de l'Union européenne ne devraient pas seulement interpeller les opinions publiques sur le fond des procédures en cours. Ils amènent aussi à s'interroger quant au mode de gouvernement.

Il nous semble à tous, en effet, que la question la plus grave, — mais elle n'est pas la seule, — demeure, et demeurera probablement pendant de longues années encore, la candidature de la Turquie. Bien entendu, notre point de vue est plus que réservé, quant à la pertinence d'une réponse positive dans l'immédiat. C'est le moins qu'on puisse en dire.

Mais, quitte à surprendre, et peut-être à choquer dans un premier temps, nous avons le devoir de nuancer ce refus, ou plutôt de le définir. Il faut savoir à quoi nous sommes amenés à dire "oui" ou "non". Car il n'est guère possible de dire définitivement "non" à une question tant qu'elle n'est même pas posée de manière précise et adéquate.

Pour ne citer que quelques contre-exemples, quelqu'un a-t-il jusqu'ici considéré que la participation de la Turquie au Conseil de l'Europe ou à l'OTAN constituait, par elle-même, une raison suffisante pour exiger que la France s'en retire ?

C'est que ces organisations internationales ne touchent pas, formellement, à la souveraineté de leurs membres.

Certes, la Cour européenne des Droits de l'homme s'ingère indiscutablement dans le droit interne des États. Telle est même sa fonction essentielle.

Certes, le Pacte atlantique de 1949, dirigé contre la menace soviétique, a conduit non seulement à une vassalisation indéniable des alliés de l'Amérique, mais il a permis aux adversaires de l'effort de défense, dans chaque pays, d'accélérer la baisse des moyens militaires dont chaque nation dispose, affadissant d'autant et l'indépendance de chacune et la force globale de l'ensemble. Mais une telle critique, qui est la nôtre et que nous regrettons de voir si peu partagée, n'a jamais entraîné de la part des anti-Turcs d'aujourd'hui la moindre velléité de campagnes anti-atlantistes.

Il en va autrement, car nous sommes bien au-delà du cas de ces organisations internationales, avec ce que l'on appelle l'Union Européenne, depuis le traité négocié à Maastricht en 1991. La campagne de ratification référendaire de septembre 1992, en France, avait clairement démontré que l'on se prononçait alors sur une évolution très nette vers une Europe de type pour le moins confédéral.

Certains gouvernements font encore profession de ne l'avoir pas compris. (1)

Dès lors, selon qu'il s'agira de faire entrer la Turquie, ou bien dans une Europe de type confédéral, ou bien, au contraire, dans un ensemble de type intergouvernemental résultant du seul traité de Rome de 1957, ou même de l'Acte Unique de 1985, la question ne serait pas la même, et la réponse la plus appropriée ne le sera pas non plus.

Certains gouvernements, comme celui de Londres, — mais aussi même celui d'Athènes, ce qui surprend plus, — étant convaincus que l'Europe demeurera durablement un club d'États souverains pratiquant le libre-échange (2), eh bien : leur appréciation de la candidature turque, non seulement la dédramatise, mais encore lui trouve bien des avantages.

Ce sont au contraire ceux qui croient à l'Europe, ceux qui, sans trouver parfaits ni le traité de Maastricht ni le projet de Constitution européenne, en approuvent les avancées vers une situation clairement confédérale qui sont, globalement, les plus réservés quant à l'adhésion de la Turquie. (3)

Les sachants, qui nous disent, par exemple, que "dès l'accord d'association de 1963 "l'Europe" avait donné sa parole au gouvernement turc de l'époque", se trompent d'Europe, se trompent d'époque et se trompent de Turquie. Ils confondent le Marché commun d'alors et l'Union Européenne d'aujourd'hui. La CEE fonctionnait de façon d'ailleurs critique. Le fameux compromis de Luxembourg date de 1962. À l'époque, le général De Gaulle avait obtenu qu'on y vote à l'unanimité.

Aujourd'hui, soit 40 ans plus tard, les choses ont quand même beaucoup évolué, en particulier sont apparus des accords et des réalités tangibles, tels que

qui changent tout.

Incidemment, la Turquie comptait 20 millions d'habitants en 1950. Elle en compte 70 millions aujourd'hui. Et l'hypothèque islamiste ne pesait ni sur ce pays ni sur nos sociétés.

L'importance logique de ces réserves et de ces ambiguïtés nous amène à mieux mesurer les contresens dans lesquels pataugent, aussi bien, le débat, soi-disant démocratique, que le mode de décision, dans chacun de nos pays.

Ainsi en est-il de la non-décision de la Commission européenne en date du 6 octobre.

Chacun a compris que la recommandation portant le numéro COM-2004-656, communiquée par la Commission (sortante) au parlement européen le 6 octobre, représente, dans la pratique, un "Oui" décisif en faveur de la candidature turque. Or, très peu de gens ont lu les 22 pages de ce document, encore moins ont-ils lu ou se préparent-ils à consulter les 58 pages du dossier de travail de la Commission elle-même, au sein de laquelle les résistances ont été beaucoup plus intenses qu'on le dit, encore moins s'intéressera-t-on aux 189 pages du rapport 2004 sur les évolutions de la Turquie. Tout cela est pourtant disponible en français sur internet. Tout cela est daté du 6 octobre. Tout cela est supposé enrober la prise de décision.

La lecture un peu attentive de tous ces textes montre que la Commission se garde bien, contrairement aux apparences médiatiques et aux conclusions péremptoires, de prendre elle-même une décision.

Elle raisonne, ou plutôt elle fait semblant de raisonner, comme si une Europe vertébrée pouvait parvenir à faire respecter des évolutions internes, qui seraient effectivement radicales, à ce pays, qui serait le plus grand de l'Union, et qui dispose notamment de la plus grosse armée. Ces textes en reviennent à décliner, très logiquement, très honnêtement, la conclusion selon laquelle si la Turquie devenait réellement européenne, elle pourrait, en effet, devenir membre de l'Union européenne.

Fallait-il ces 269 pages de Rapport, de Dossier de travail et de Recommandation, pour en arriver à une tautologie du type bien connu : si ma tante en avait quatre ce serait un autobus ?

Inutile pensera-t-on à première vue !

Eh bien, non ce n'est pas inutile. Car, dans le mode de gouvernement technocratique, cela permet d'ouvrir les parapluies de l'irresponsabilité et de contribuer à imposer, hypocritement, une décision que personne n'a formellement prise, et qu'au contraire toutes les réserves écrites, en l'occurrence dans les 22 pages de la "recommandation" du 6 octobre tendraient plutôt à déconseiller... si on les lisait ! Mais personne ou presque ne les lira !!!!

Les petits hommes gris de la Commission renvoient les chefs de gouvernements, qui se réuniront le 17 décembre dans le cadre du Conseil européen, à ce qu'ils appellent leurs responsabilités.

Ces responsabilités, en fait personne ne les prendra, personne ne les assumera.

S'agissant de nos petits pays, un tel mode de décision se révèle déjà consternant.

Appliqué aux destinées européennes, il devient littéralement dramatique.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) Précisons que l'Angleterre n'est pas seule en cause. La perfide Albion a bon dos.
(2) Plus quelques subventions… Ce que — d'une part les Grecs, mais aussi les agriculteurs français, et quelques autres — et, d'autre part, les Britanniques, n'apprécient pas de la même manière, mais qu'ils observent identiquement. Les uns acceptent, en général très gentiment, de recevoir, ce que les autres rechignent à payer.
(3) Citons notamment, au sein de l'établissement politique, MM. Giscard, Madelin, Hollande et surtout Bayrou.

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