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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
JEUDI 14 OCTOBRE 2004LA REPTATION DE PÉKIN
Tant qu'on demeure au garde à vous devant les drapeaux rouges, on n'est pas un commis voyageur, on n'est jamais qu'un pigeon voyageur...
Il ne me semble pas indifférent, que le p. de la r. revienne d'Extrême Orient au moment même où son ancien collaborateur préféré passe en jugement devant la cour d'Appel de Versailles. De cet événement dépend, dit-on, l'avenir politique de ce personnage, comme si les Français n'en savaient pas déjà suffisamment sur lui et comme s'ils avaient besoin du nouveau verdict des magistrats pour voter, ou ne pas voter, en faveur l'ancien responsable des affaires financières de la ville de Paris.
En effet, dans un livre au titre assez prétentieux, la Tentation de Venise, M. Juppé décrit cette étrange sensation qu'il éprouva un jour, mais seulement un court instant à la vérité, de vivre honnêtement de sa plume et non d'argent public.
Cette tentation-là, M. Chirac l'a peut-être rencontrée, mais il ne l'a jamais avouée.
Simplement au cours de ses quelque 40 ans de participation aux centres de décisions et réseaux de pouvoirs, l'actuel chef de l'État n'a pas manqué d'observer que le gros argent avait quelque chose à voir avec les grosses entreprises. Cela n'en fait, évidemment, ni de près ni de loin un quelconque adepte de la libre entreprise, seulement un défenseur de l'économie accaparée.
Depuis qu'il joue aux trains électriques son modèle d'entreprise c'est la SNCF, étatisée en 1937 par le gouvernement Chautemps (1), mais dont les composantes recevaient déjà des concours publics, notamment en raison du plan Freycinet voté 50 ans plus tôt.
Il était donc bien naturel que son déplacement en Extrême-Orient ait eu pour finalité essentielle, ou, à tout le moins, comme conséquence la plus notable, de permettre à Alstom de vendre, encore à perte très probablement, des locomotives aux Chinois. Mais, qu'on se rassure, comme sur les 60 automotrices Emu commandées par le partenaire chinois Chang-chung Railways, 51 seront fabriquées sur place, on peut espérer que cette affaire ne sera pas renouvelée.
Bien sûr, nous schématisons, nous caricaturons : mais nous sommes fondé à le faire, puisque jamais on ne nous dit, des 4 milliards d'euros de "contrats" passés dans le cadre du voyage de M. Chirac en Chine communiste quelle part de bénéfice on en attend. On ne nous dit d'ailleurs jamais non plus quel type de comptabilité analytique permettrait d'établir le niveau de rentabilité des investissements des fameuses grandes entreprises nationales, ces féodalités économiques modernes dont on éprouve le sentiment d'avoir juste le droit d'applaudir à leurs prouesses techniques sans pouvoir contester les dysfonctionnements, et encore moins le coût, de leurs prestations mirifiques. Quand on aime, on ne compte pas.
Il est, d'ailleurs, heureux qu'enfin apparaissent, grâce au passage de Francis Mer au Ministère des Finances et d'Alain Lambert au Budget, des comptes établis par une agence publique d'évaluation et de gestion des participations de l'État. Depuis 1936, cela n'avait pas été fait. Cette tâche était probablement jugée indigne du corps des Inspecteurs de Finances. Il est à prévoir que cette évaluation sera d'autant meilleure, et moins discutable, que son objet disparaîtra enfin. Comme Tristan Bernard, on pourra dire alors de l'État actionnaire, qu'il sera "mort guéri".
Mais
fallait-il, pour sauver Alstom au bord de la faillite,
pour assurer quelques miettes de commandes à Airbus,
pour entrevoir le jour où l'industrie
française livrera, peut-être, des centrales
nucléaires
et plus probablement, des transferts de technologie à la
Chine, s'aplatir comme les représentants du gouvernement
de Paris le font depuis 1966 devant les crimes et les excès
du système autoritaire
de Pékin ?
Fallait-il montrer une fois de plus que la France est
le maillon faible de l'Europe ?
La réponse est non.
La France demeure le 14e fournisseur de la république populaire de Chine, y exportant 4 fois moins que l'Allemagne de M. Schroeder. Celui-ci n'est certainement pas une lumière. Mais il ne se donne ni le ridicule de prétendre incarner à lui seul les Droits de l'Homme, ni le déshonneur de lâcher la petite démocratie taïwanaise, fonctionnant sous l'égide des nationalistes chinois et dont la réussite économique est autrement plus impressionnante que celle du continent. M. Schroeder, quand il se rend en Chine, c'est-à-dire tous les ans, est accompagné de beaucoup plus d'entrepreneurs que M. Chirac n'en supporte. Pour la délégation française qui s'est rendue à Pékin, on prétend que le critère retenu aura été la qualité de sponsor d'une prestigieuse manifestation culturelle : "l'Année de la France en Chine"
M. Chirac se veut une sorte de "commis voyageur" de l'industrie française.
Ce serait un métier fort honorable, une reconversion enfin utile au pays.
Mais pour postuler valablement à un tel emploi, il faut une formation, des références et un sérieux qui n'apparaissent ni sur son curriculum vitae ni sur sa photo ni sur sa lettre de motivation. Dans la vie des affaires, par exemple, il faut savoir tenir ses engagements. Les électeurs français ont payé pour savoir ce qu'il en est des promesses de celui que les Guignols de l'Info surnomment Super Menteur. Croit-il que le secret d'État en aurait été si jalousement et affectueusement gardé par le patriotisme des citoyens, à tel point qu'il ne se serait jamais ébruité hors de nos frontières ?
Signalons lui que les pays occidentaux les plus performants dans les relations avec la Chine sont les États-Unis et le Japon. Ce sont précisément parmi ceux qui se révèlent les plus rebelles à tout inutile exercice de reptation envers les débris de la dictature chinoise, et ceux du communisme en général.
Tant qu'il demeurera au garde à vous devant les drapeaux rouges, on n'est pas un "commis voyageur", et M. Chirac fait surtout figure de "pigeon voyageur".
JG Malliarakis
(1) Voir à ce sujet les travaux de Beau de Loménie, et particulièrement, sur la "nationalisation", le Tome V "Du Cartel à Hitler", et sur l'héritage du plan Freycinet, le Tome II "De Mac Mahon à Poincaré".
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