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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
SAMEDI 16 OCTOBRE 2004LEUR TEMPS DES CERISES SAIGNE TOUJOURS IMPUNÉMENT
85 millions de morts est-ce un nombre suffisant ?
En cette fin de semaine faisons un tour du côté du pouvoir culturel. En cette circonstance, je voudrais, à la fois, remercier l'un des plus perspicaces et vigilants correspondants qui assure la veille du matraquage éditorial communiste et livrer à votre sagacité trois petites recensions du livre le Temps des cerises, de Suzanne Bernard.
1. Nous commencerons par le texte paru dans le Nouvel observateur du jeudi 29 avril 2004 - n° 2060
Le Coup de cœur de Jérôme Garcin
Une Chinoise à Paris « La Nouvelle Figuration »
De son extrême pauvreté, Suzanne Bernard, qui a du cran, de l’imagination et de la dignité, a fait une ascèse. Dût-elle en crever, elle a décidé de ne vivre que de ses romans. Elle prétend trouver dans son cher Moyen âge et dans sa seconde patrie, la Chine, assez de force pour supporter la misère dans un 23-mètres carré où, débranché, le réfrigérateur fait office de buffet. À sa situation d’écrivain précaire broyé par la société du livre-marchandise, elle a consacré, il y a deux ans, un terrible pamphlet, « Chair à papier ». Il a laissé indifférents les éditeurs qui roulent en Jaguar mais bouleversé les lecteurs, qui ont découvert le triste quotidien de l’auteur du « Roman d’Héloïse et Abélard ». Avec « le Rêve chinois », ils apprendront que Suzanne Bernard n’est pas seulement obstinée, elle est aussi fidèle. À une époque où l’apostasie est devenue tendance et où la repentance se porte à la boutonnière, cette ancienne maoïste continue de vivre, en 2004, sous un portrait du Grand Timonier. Elle raconte ici pourquoi, à la fin des années 1970, elle est partie pour Pékin travailler dans une revue littéraire et comment elle a aimé, là-bas, un homme à la peau de satin. De la Révolution culturelle, dont elle a condamné le régime dictatorial et l’atrocité des crimes, elle a conservé la haine du capitalisme et le tableau d’honneur socialiste des travailleuses modèles. Sa nostalgie de l’idéal communiste lui vaut la détestation de certains Chinois et les quolibets des Français. Elle s’en fout. Elle veut croire, malgré les leçons de l’histoire, à la révolution prolétarienne et au triomphe de l’amour. Du moins prouve-t-elle que, pour comprendre si bien la Chine, il faut avoir partagé ses utopies et ses rêves brisés.
La chronique littéraire de Jean-Claude Lebrun
Sous le titre : Suzanne Bernard "Sinalgie"
"Ostalgie", le terme est apparu ces derniers mois pour désigner le sentiment de perte éprouvé par des Allemands, de l’Est et de l’Ouest, depuis la réunification et la disparition de la RDA en 1990. Sans doute moins la nostalgie d’un système politique contraignant - loin d’un paradis, mais certainement pas non plus l’enfer ! -, Que de valeurs aujourd’hui laminées, comme une certaine lenteur de la vie, le respect du travail, l’importance attribuée à la culture, qui prit parfois la forme d’une censure pure et simple. Symbole de cette "ostalgie", le film émouvant et fin de Wolfgang Becker, Good bye Lenin !, a été vu en Allemagne par deux millions de spectateurs. Suzanne Bernard est assurément plus esseulée quand elle exhale sa "sinalgie" dans le Rêve chinois. Et pourtant.La romancière porte pareillement la Chine comme une part vivante d’elle-même. Non pas celle d’aujourd’hui, qui s’est lancée à corps perdu dans le capitalisme et se trouve en passe de devenir le terrain de chasse privilégié des groupes multinationaux. Ni même celle qu’elle découvrit en 1978, dans l’aveuglement enthousiaste de ses convictions maoïstes. Mais un troisième pays, mi-réel mi-rêvé, avec lequel ses aspirations profondes sont littéralement entrées en résonance. Qui n’a depuis lors pas un instant cessé d’orienter ses choix de vie et tient désormais lieu pour elle de référence utopique. Partie pour Pékin après la Révolution culturelle afin de participer, avec d’autres "travailleurs intellectuels", à ce qu’elle se représentait comme la concrétisation d’un idéal politique, Suzanne Bernard en est revenue littéralement possédée par une Chine introuvable, haussée à la dimension d’un mythe, en fait dessinée à l’exacte mesure de son désir. La ferveur maoïste s’était transmuée en un idéalisme farouche. La romancière n’a plus dévié d’un pouce, s’astreignant contre vents et marées à conformer son existence à cet idéal qu’elle s’est façonné. Pratiquant, autant par nécessité que par conviction, dans son minuscule logement parisien, une véritable discipline monastique, alors qu’au dehors tout ne semble que frénésie et tintamarre.
Si elle avait déjà évoqué cette règle et cette rigueur dans Chair à papier, son précédent récit, elle en montre maintenant les ressorts complexes. Le choix de se consacrer entièrement à l’écriture et de se tenir à un scrupuleux refus des palliatifs et des compromissions tient en l’espèce une place centrale. On sait le prix qu’il lui faut payer pour cela : la pauvreté, le renoncement à tous les " divertissements ", le combat pour faire paraître des livres qui ne répondent pas aux stratégies des éditeurs, la mise à l’écart. Continuer de vouloir vivre et écrire de cette façon, aujourd’hui en France, tient tout ensemble du prodige et d’une incroyable obstination. Suzanne Bernard apporte ici de nouveaux éléments au tableau accusateur qu’elle dressait dans Chair à papier. Un témoignage à la fois terrible et précieux, alors même que le champ éditorial, recomposé autour de trois groupes dominants, doit de plus en plus se conformer aux exigences dévastatrices du marketing. Voici donc l’écrivain et son idéal face à la jungle du marché.
Avec ce rêve de Chine, en guise d’affirmation d’une haute idée. À mettre sans aucun doute en relation avec l’autre passion, le Moyen âge. Là encore mythifié. Non pas celui des fureurs et des terreurs, des étripages et des ripailles. Mais l’univers ascétique des abbayes cisterciennes, où la vie s’ordonne tout entière autour de l’Idée. De Pékin à Cîteaux, de Mao au temps d’Abélard et de saint Bernard, Suzanne Bernard tend le fil de sa propre utopie, forgée au feu de la nécessité. À l’image de cet amour des années pékinoises, contraint par convenance et obligation à rester platonique, et peut-être pour cela aujourd’hui sublimé.
Elle réussit ainsi le tour de force de nous proposer un livre formidablement actuel, par son ancrage dans la révoltante réalité de notre siècle. Mais aussi extraordinairement inactuel, par ses valeurs spirituelles délibérément prônées, la pauvreté, le travail sur soi, le don total de soi à la tâche qui vous occupe : "Vivre pour écrire, écrire pour vivre, je n’ai jamais douté que cette aventure-là serait la mienne." Il y a là une grandeur, certains diraient une déraison, qui non seulement impose le respect, mais force à s’interroger sur le sens de ce que nous vivons et nous fixons comme fins ultimes. Depuis longtemps, Suzanne Bernard ne porte plus la casquette Mao. Quand on la rencontre, elle arbore une casquette américaine, à longue visière. Mais les couvre-chef peuvent changer, ils ne font qu’habiller aux couleurs du temps, quand le reste du vêtement ne varie pas, celle qui recherche "les envolées divines dans le paradis de l’écriture". En parfaite moniale de la littérature.
3. Que dire enfin de cet article élogieux sur "Le Rêve chinois" paru le 4 juin 2004 dans le n° 3523 de Valeurs Actuelles sous la signature de M. Alfred Eibel. Rubrique : Le Guide Livres
"Fascinée par la Chine, Suzanne Bernard a rompu les amarres parisiennes pour aller travailler à Pékin en 1978, engagée par la revue Littérature chinoise. Elle y restera huit ans et demi. Revenue en Chine plus récemment, elle dresse un bilan contrasté de la Chine du fric et d’un mode de vie à l’américaine. Était-ce mieux avant ? Il y avait, dit-elle, une protection du citoyen de base – études et soins gratuits, etc. – gâchée, il est vrai, par la tyrannie. Le virus de la Chine a pénétré Suzanne Bernard au point qu’elle ne pouvait échapper à un grand amour chinois : du bonheur en cascade, une trahison pour finir. Revenue à Paris, logée modestement, elle assume le statut d’écrivain pauvre avec stoïcisme. La douceur, la beauté, la pureté des choses et des gens, la vertu, l’honneur, autant de notions qui lui font oublier les tracasseries du quotidien. « Je suis passée à côté de la réalité comme un fantôme », note-t-elle. Vraiment ? Au contraire, son “rêve chinois” lui aura permis de recueillir les fruits de son lent mûrissement, d’affermir sa liberté, de lutter contre tout assujettissement aux normes officielles et à leur système de valeurs. L’écho de sa prose résonne longtemps après qu’on a refermé ce livre d’une franchise à couper le souffle"
Apparemment, aux yeux de certains bourgeois on se demande si les 85 millions de morts, nombre minimal évalué par les auteurs du Livre Noir du Communisme, représentent un nombre suffisant.
Vous avez dit : encore ?
JG Malliarakis