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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
MARDI 19 OCTOBRE 2004ESCARMOUCHES ET GALANTERIES
Autour des "réformes" en général et de l'ISF en particulier
Les rapports s'accumulent, hier c'était celui du forum économique mondial, aujourd'hui c'est celui de M. Camdessus. Tous confirment une évidence, celle du déclin de la France. Cette triste réalité se confirme, dans tous les domaines. Elle est hélas bien palpable pour qui prend la peine de s'informer, ou même simplement de voyager à l'Étranger.
Les docteurs Tant mieux, ceux que nous appelions les "teuladistes", à l'époque où le gouvernement Jospin s'employait à minimiser la crise des retraites, — "tous ceux-là, et beaucoup d'autres" comme dirait Prévert — ergotent pour camoufler la maladie, au patient et à ses proches, quelque temps encore.
En dénonçant naguère le "teuladisme", nous considérions que les discours d'un René Teulade étaient à la fois représentatifs et d'une idéologie et d'un groupe de pression économique, celui des Mutuelles attachées à sauvegarder leur petit trou dans le gruyère de la sécurité sociale monopoliste. Le personnage éponyme lui-même eut son heure de gloire, lorsqu'après de longues années à la présidence de la Fédération nationale de la mutualité française, le gouvernement Bérégovoy de 1992 en fit pour quelques mois un ministre. Il se révéla aussi calamiteux que les autres, — mais soyons honnêtes : pas beaucoup plus — à la tête de la sécurité sociale.
Aujourd'hui, pas la peine de chercher bien loin un homme symbole, de désigner un peu arbitrairement une sorte de tête de Turc, de se rabattre sur le successeur de Teulade à la tête des mutuelles, le dérisoire mégalomane Davant, pas la peine de partir en croisade contre des moulins à vent, inutile de forger de mystérieux néologismes.
Le "teuladisme", l'opposition forcenée à toute réforme courageuse, combiné aux puissantes et sordides considérations d'intérêts matériels d'une caste accapareuse et ruineuse, le teuladisme est à l'Élysée.
On peut, comme
le déclin
du pays, en observer quotidiennement la nuisance. Elle se manifeste dans
tous les dossiers.
Personne ne peut en douter, après la reculade misérable du
gouvernement ce 15 octobre, le pouvoir s'inclinant devant l'opposition
des bureaucraties syndicales subventionnées, et renonçant à la
réforme de la réglementation des licenciements économiques
et des restructurations. Avant tout, il ne faut pas désespérer
les trotskistes de Force Ouvrière. On a aimé Blondel, on
commence déjà à adorer Mailly.
Mais, maintenant, il va être question d'une autre réforme, également très "sensible", celle de l'Impôt dit de Solidarité sur la Fortune. Cet impôt frappe aujourd'hui 300 000 foyers fiscaux français de richesse inégale. Il s'agit d'une ineptie démagogique avérée dont l'effet le plus clair est d'inciter à la fuite des capitaux.
Il nous semble inutile de perdre du temps : ou bien on supprime l'ISF, qui rapporte fort peu au Budget de l'État, ou bien on se cantonne à des galanteries, qui donnent encore plus l'impression que, sur ce terrain, la droite a mauvaise conscience, qu'elle est "du côté des riches", donc par hypothèse marxiste qu'elle est "contre les pauvres".
Il en ira évidemment de même de toutes les mesures d'allégement fiscal : la gauche démagogique les présentera toujours comme des cadeaux fiscaux faits aux Français les plus fortunés. Un enfant de 10 ou 12 ans peut sans difficulté improviser sur ce thème un discours imitant la rhétorique de Mme Laguillier. "Travailleurs, travailleuses, l'État est, une fois de plus, au service des riches", etc.
Cet impôt existe depuis sa création, sous le nom d'IGF, par M. Fabius en décembre 1981. Il fut supprimé pendant une brève période de manière psychologiquement très maladroite. C'était en 1986. Le Premier ministre d'alors était un certain Jacques Chirac. Chat échaudé craint l'eau froide : notre animal en a conclu que son échec personnel à la présidentielle de 1988 était la conséquence de cette seule mesure.
Il est vrai que le Grand Orient de France, habituellement plus discret, — ou pour être plus exact : plus discrètement socialo-trotskiste, — avait condamné en 1987 cette abrogation (1).
Comment s'opposer à l'intégrisme égalitaire de tels pontifes républicains, aussi infaillibles ?
François Mitterrand réélu en 1988 rétablit aussitôt l'impôt sur la "fortune" en assurant habilement qu'il allait servir à financer l'institution Revenu Minimum d'insertion. Rebaptisé désormais Revenu minimum "d'activité" (ça change tout) cet honorable dispositif d'assistanat a pu "fêter" en 2004 le dépassement du million de clients. Mais, en toute honnêteté, on ne nous a toujours pas démontré que la prospérité des 300 000 contributeurs de l'ISF a un lien de responsabilité quelconque avec la situation d'exclusion de 1 000 000 de RMistes. Même la théorie marxiste de la plus-value n'est ici d'aucun secours puisque les exclus sont en fait privés du droit de travailler, leur valeur ajoutée potentielle étant probablement inférieure à celle du SMIC.
À la vérité, nous sommes ici en face d'un tabou.
Saluons donc les quelques courageux députés qui ont osé le rompre, et qui ont entrepris d'amender le projet de loi de finances pour 2005. Déposé par M. Sarkozy, le texte gouvernemental se garde bien, d'ordre élyséen, d'abroger l'ISF, ni même de réduire les taux d'imposition. Un groupe de parlementaires réformateurs a déposé ainsi 29 amendements, dont 3 seulement ont été retenus par le gouvernement en commission. Le pouvoir exécutif laisse généreusement aux législateurs la latitude de débattre de deux ou trois points de cette complexe fiscalité. En particulier la question des plafonnements, supprimés par M. Juppé, est urgente si l'on ne veut pas voir la France condamnée par la Cour de Strasbourg pour le cas des assujettis dont l'ISF est disproportionné à leurs revenus.
Intéressantes escarmouches !
Mais n'oublions que la loi est élaborée en synergie par les deux assemblées et que le rôle du Sénat se révèle plus important qu'on ne l'imagine, dès lors qu'on attaque des problèmes délicats.
Ainsi en 1996 le vieux crocodile Fourcade avait réussi à faire capoter, par le jeu du calendrier, non seulement des dispositions très importantes de la Loi Thomas sur les fonds de pensions, mais aussi la loi elle-même dont le gouvernement Juppé s'ingénia à ne pas adopter les décrets d'application.
Dans l'affaire de l'ISF le Sénat a publié une "note de synthèse" qui certes peut être tenu pour intéressante puisqu'elle se propose de "comparer" la fiscalité française résultant de l'ISF avec celle des autres pays européens.
Le fait est cependant qu'à ce jour un impôt de cet ordre existe, en dehors de la France dans seulement 5 pays de l'Union européenne : l'Espagne, la Finlande, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède. Au total 6 pays sur 25 pratiquent un impôt sur le capital, lequel existe aussi dans certains cantons suisses. Un observateur attentif comprend d'ailleurs que ces impôts ne sont pas de même nature. Au Luxembourg, comme en Suisse il s'agit tout simplement d'un impôt conservateur sur le capital, pas plus idiot que l'impôt sur le revenu, etc. En France, l'impôt de solidarité sur la fortune s'additionne aux impôts locaux, aux droits de successions (2), etc. Et ces impôts patrimoniaux viennent en aval d'une fiscalité écrasante subie par les revenus.
On remarque aussi que, pour faire paraître moins exceptionnelle, aux yeux du lecteur distrait, l'existence d'une réglementation française maintenue, le document du Sénat disserte longuement sur les dispositions de la fiscalité allemande. Or, ce qui est évoqué là, décrit le régime qui était en vigueur avant 1995. À cette date, une jurisprudence de la cour constitutionnelle de Karlsruhe a constaté le caractère expropriateur de l'impôt sur la fortune. Depuis lors, aucun gouvernement, ni celui de Helmut Kohl avant 1997, date butoir fixée par la Cour, ni, depuis 1998, celui de M. Schroeder malgré de vagues promesses, n'ont osé rétablir l'équivalent de l'ISF Outre-Rhin. Il y a donc quelque supercherie à maintenir dans ces conditions une comparaison avec cet impôt allemand, puisqu'il n'existe plus depuis bientôt 10 ans !
Comparer ce qui n'est guère comparable, et ne pas tenir compte du fait que l'écrasante majorité des pays européens ont renoncé à de telles formes d'impôts, c'est alimenter l'exception française, la fuite des capitaux comme celle des cerveaux, c'est-à-dire en fait les deux composantes majeures du déclin français.
JG Malliarakis