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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

JEUDI 28 OCTOBRE 2004

RETOUR À LA CASE SÉCU

La solution ne viendra pas des politiques mais plutôt de chefs d'entreprises courageux et novateurs.

Je dois l'écrire ici d'emblée. Après avoir milité pendant de longues années au sein d'un syndicat contestataire (1), ayant consacré pendant plus de 10 ans une chronique quasi quotidienne le plus souvent aux questions de sécurité sociale, je n'espère plus d'aucun homme politique du système, et surtout pas de la prétendue droite, qu'il accorde aux Français un véritable libre choix de l'assurance-maladie ou de l'épargne retraite.

Oui, la sécurité sociale est le véritable mal français (2) et, constatons-le désormais, disons-le clairement, elle n'est pas réformable.

L'examen du Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 le prouve une fois de plus. Sans doute, ce PLFSS 2005, c'est son gracieux sigle administratif, le fait à un degré qui n'avait jamais été atteint jusqu'ici.

Comme d'habitude, le public est focalisé sur la question des soldes comptables ; ainsi, les Échos (26 octobre) publiaient-ils, une fois de plus, un tableau d'origine étatique, montrant l'évolution des seuls résultats des grandes branches du régime général.

Pour schématiser le désastre, on remarquera qu'entre 1994, année dont les chiffres, connus en septembre 1995, déclenchèrent le Plan Juppé, et 2004, le déficit global du régime général s'est multiplié par 2,

Autrement dit, depuis 10 ans, le système social français actuel

On parle pour 2004 d'un déficit annuel de 14 milliards d'euros du régime général. Autrement dit, ce système produit, désormais en un an, le déficit cumulé auquel l'instauration de la CADES et de la CRDS prétendait faire face, avant que l'on propose d'en finir une fois pour toutes par un nouveau type de loi : ce devait être, à l'origine, une "loi d'équilibre" de la sécurité sociale, mais la réforme Chirac-Juppé de février 1996 introduisit une nuance, évidemment décisive, puisque l'on parle d'une "loi de financement"(4).

Les braves gens sont couramment incitées à confondre, en France, sécurité sociale et assurance-maladie. En prétendant sauver le système, on leur présente donc couramment des épluchures d'économies de bouts de chandelles sur les dépenses maladie. "Il n'y a pas de petites économies" disait ma (chère) grand-mère. L'opinion adore ce genre de faux bon sens quand il sort de la bouche des hommes politiques. Ainsi, pour faire encore plus sérieux, le Douste pose, devant le photographe, avec des lunettes.

Mais, en fait, M. Douste-Blazy, porte-parole des services de Bercy, se moque gentiment du monde en "fixant" à 3,2 % le niveau de l'Ondam, pour l'année à venir. Cet ubuesque concept était avancé par les technocrates dans les années 1990. En tant que "taux directeur" il serait voté par le parlement. La belle affaire ! Il a été introduit dans la loi en tant qu'Objectif National des Dépenses d'Assurances Maladie. Ça pue le planisme, façon inspecteur des finances roi de Vichy. Et, bien évidemment, cet "Ondam", en dix années d'existence légale, n'a jamais été observé. Ne perdons même pas notre temps à ironiser sur les rognures de dépenses rêvées par les services : un euro de franchise sur les feuilles de soins pour "responsabiliser" les patients ! On prend vraiment, à Bercy, les Français pour des enfants de 12 ans, à qui on retient sur leur argent de poche !

Attention aussi à la rhétorique comptable selon laquelle le déficit de chaque branche, maladie, vieillesse, famille, accident du travail serait respectivement de 13, de 0,1, de 0,2 ou 0,5 milliard.

Autant de faux concepts. Non seulement les comptes sociaux français ne répondent à aucune norme comptable reconnue, mais les branches ne sont pas autonomes.

Tous les chiffres prévisionnels pour 2005 sont faux, comme était faux le concept de "trou de la Sécu" désignant hier le déficit de trésorerie cumulé de l'ensemble du système.

La seule manière d'envisager, et encore, la comptabilité des systèmes de protection sociale français était au cours des années 1980 et 1990, la différence entre les cotisations perçues effectivement ou réputées fictives (pour le système vieillesse des fonctionnaires) et les prestations versées au cours de la même période.

Ce déficit cotisationnel était colossal au moment du plan Juppé : il était supérieur à 300 milliards de francs, 45 milliards d'euros. Cette somme équivalait pratiquement au déficit des administrations publiques de la France, à la veille de l'Union monétaire.

Or, à partir du fameux plan Juppé,

on a soigneusement rendu presque impossible tout examen sérieux des comptes de la protection sociale, en développant l'usine à gaz comptable de la CSG, et en "basculant les cotisations maladie sur la CSG", créant une opacité quasi définitive des comptes, là où l'on prétendait y apporter de l'ordre.

Mais alors où est "la" solution ?

Elle réside dans la mise en concurrence, le libre choix, la fin des subventions déguisées.

Je préfère dire franchement que, selon moi, la solution ne viendra pas des politiques mais plutôt de chefs d'entreprises courageux et novateurs.

Au moins les dirigeants de Buffalo Grill ont-ils eu le courage de lancer le débat dans le grand public au travers de la proposition faite à leurs salariés, scandale évoqué par le Parisien du 22 octobre, sous le titre "Le patron de Buffalo Grill défie la sécu".

Enfin un groupe crédible représentant 5 500 salariés et pas loin de 200 restaurants franchisés prend l'initiative de demander l'application des Directives 92-48 et 92-96, plus ou moins introduites dans la loi française, mais qui permettraient, si leurs dispositions concurrentielles étaient reconnues par les tribunaux français, de rendre immédiatement, par la mise en concurrence et le libre choix, plus 20 % de leur pouvoir d'achat net aux salariés assujettis aux monopoles français.

Buffalo Grill est évidemment soutenu par le Mouvement pour la liberté de la protection sociale de Claude Reichman, qui va jusqu'à poser crânement la question "Douste, Bertrand, et Gaymard devant la Cour de Justice" (6).

Qu'on ne vienne pas dire qu'ils "incitent" au non-paiement des cotisations, et que ce serait, depuis 1991, un délit.

Si incitation à ne pas payer il y a, elle ne vient ni de Claude Reichman, ni de Buffalo Grill, elle vient de la réalité désastreuse de notre système monopoliste.

Il est hautement symbolique en effet que les petits textes répressifs émanant de Bianco, ministre oublié de la sécurité sociale de 1991, aient été introduits dans le droit français, pour interdire "l'incitation au non-paiement", exactement 200 ans après la liquidation du dernier privilège d'ancien régime, celui des corporations.

JG Malliarakis

©L'Insolent

  1. Le CDCA.
  2. J'emprunte cette expression au titre d'un livre publié par Claude Reichman, qui centre sa critique sur l'assurance-maladie.
  3. Une telle norme juridique relève évidemment d'un type inconnu dans le monde, et depuis quelque vingt-cinq siècles, depuis l'époque où l'Antiquité s'interrogeait sur la différence entre "nomos" et "thesmos".
  4. Contrairement à ce que la réforme de Mme Veil en juillet 1994 avait timidement tenté d'introduire dans la loi. Le plan Juppé a liquidé cette velléité.
  5. Ce plan fut salué alors, empressons-le de le rappeler par toute la presse bourgeoise et bien-pensante.
  6. Gros titre du Parisien 4 jours plus tard, le 26 octobre.