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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
VENDREDI 12 NOVEMBRE 2004
LA FIN DE L'ÈRE ARAFAT
Une image du passé, une stratégie erronée... il avait tout pour plaire à M. Chirac.
(ci-dessus à Amman en 1970 quand il croit pouvoir balayer Husseïn de Jordanie)
Pathétique représentant d'un peuple pathétique, mourant à Paris loin de sa terre (1) compromise, Yasser Arafat l'aura donc incarné, jusqu'au bout, pathétiquement.
Il existe un mystère autour de la carrière de cet homme. Et cette question mériterait un peu plus d'attention, alors que la France officielle fait mine de saluer comme un grand chef d'État, ce révolutionnaire, chef de l'OLP depuis 1969, qui a toujours échoué dans toutes les batailles qu'il a menées, et qui les livrées principalement contre les autres dirigeants arabes, lesquels l'ont en général exécré.
Nous aurions donc tort de penser le mystère de ce personnage exclusivement en fonction d'Israël.
Certes, pour tous les pays occidentaux et démocratiques, et pas seulement pour les États-Unis, le droit d'Israël à l'existence et à la sûreté est indiscutable et constitue une préoccupation incontournable. Et, bien évidemment, pour toute personne sensée, le peuple israélien est une réalité. Il ne s'agira certainement jamais d'une minorité religieuse qui pourrait accepter un statut de dhimmis.
Parmi les erreurs grossières de la stratégie d'Arafat figure ainsi la sous-évaluation de cette évidence, du fait objectif que les Européens comme les Américains se savent débiteurs moraux vis-à-vis d'Israël.
Les droits des Palestiniens n'en sont pas moins reconnaissables. Le dire passait sans doute pour scandaleux en 1967, où le mot même de "Palestinien" était ignoré de la presse parisienne, — cette même presse qui aujourd'hui n'a d'oreilles et d'yeux que pour stigmatiser les Israéliens. Désormais tout le monde admet l'existence, symétrique à celle du peuple israélien, d'un peuple arabe palestinien.
Une fois passée la période de 40 jours de deuil et de prière qui suivent le décès de Yasser Arafat, on aura donc le droit de réfléchir et de poser certaines questions.
On pourra se demander par exemple pourquoi les 40 années de lutte d'Arafat n'ont réussi qu'à souligner l'impuissance des Arabes.
Commençons par un point qui peut paraître futile, et qui ne l'est aucunement. La première chose qu'on peut superficiellement évoquer, alors que l'Autorité palestinienne n'exerce plus sa souveraineté que sur un timbre-poste, une prison et un site internet, c'est que l'image du vieillard Arafat était depuis longtemps la première arme des ennemis de toute forme de compromis avec son peuple. Dans un monde de communication et dans une culture de l'incarnation, l'icône même d'Arafat a toujours eu le défaut de ne pas être très photogénique. "Il est pas beau le monsieur", voilà ce qui sort du cœur des petits enfants, clients de Disneyland et abonnés d’Hollywood. Les femmes préféreront toujours Paul Newman dans l'Arnaque ou Robert Redford dans Out of Africa à Kirk Douglas dans l'Homme qui tua Liberty Valance.
On pourrait se souvenir aussi de son commentaire sur les ruines fumantes de Beyrouth en 1982 : "la révolution n'est pas un pique-nique". Il était comme rayonnant en face de cette catastrophe, cette défaite écrasante, qui n'était certes pas la première et qui n'allait pas demeurer la dernière.
On gomme un peu facilement aujourd'hui l'affaire désastreuse et sanglante de septembre 1970, première bataille rangée de la guérilla palestinienne. Cette bataille fut menée contre le roi de Jordanie et elle aboutit à expulser l'OLP du royaume, après un copieux massacre. Idem pour la guerre civile libanaise, les Palestiniens étant vaincus en 1982, puis à nouveau à Tripoli en 1983, où ils se heurtent aux Syriens.
Cet aventurisme, perpétuellement mis en échec, prioritairement contré par des pays arabes, doit-il être mis au débit des Arabes en général, dont les Palestiniens dispersés sont ordinairement supposés représenter les couches les plus instruites, les plus ouvertes aux technologies occidentales ?
Je ne le pense pas.
Au
moment, en effet, où nous voyons les Palestiniens
de Cisjordanie comme de Gaza dans leur détresse matérielle
et psychologique poignante, il n'est pas inutile de nous interroger sur les
stratégies
politiques des dirigeants arabes, et d'abord sur la capacité d'intervention, éventuellement
positive, intelligente ou bienfaisante, de la finance arabe.
La finance arabe a été assise à partir des années
1920 marquées par la première révolution interne au
monde arabe (2), sur l'incroyable flux mondial de la rente du pétrole,
avec l'appui des puissances occidentales, États-Unis en tête.
Si elle avait la moindre efficacité au service de la justice et de
la liberté, cela se saurait depuis longtemps. Le problème palestinien
serait réglé depuis longtemps, et les réfugiés
de 1948 auraient de longue date reconstruit leur vie, comme l'ont fait par
exemple les chrétiens, Arméniens, Grecs, ou Assyro-chaldéens,
chassés par le kémalisme de Cilicie, de Smyrne, de Chypre-Nord,
de Constantinople, de Trébizonde ou d'Antioche, sans le centième
des fonds dont disposent aujourd'hui, les émirs de l'or noir.
En 1967, le monde occidental, l'opinion publique naïve et bernée n'aurait pas découvert ce peuple des camps des réfugiés, cette nation dont le nom même était interdit, si les barbelés n'avaient pas été installés par les Arabes eux-mêmes pour recueillir et parquer ceux qu'ils ont l'impudence d'appeler leurs frères.
Écartons au besoin la problématique du "trésor de guerre d'Arafat". Dans les années 1980, celui-ci était estimé autour de 10 milliards de dollars ; aujourd'hui on ne parle plus "que" de 5 ou 6 milliards. Néanmoins le magazine Forbes en faisait encore en 2004 le 6e chef d'État le plus riche du monde. On comprend que, tant du point de vue politique que patrimonial une bagarre de succession puisse avoir pour enjeu le contrôle de ces capitaux, investis dans le monde entier. Mais cette fortune ayant été amassée pour la cause de son peuple, et son détenteur n'en ayant semble-t-il guère tiré de dépenses somptuaires personnelle, l'opinion ne s'en indignera pas, — du moins tant que cette fortune ne sera pas détournée par tel ou tel membre de son entourage.
La vraie dimension du mystère Arafat semble ailleurs. Il apparaît à la fin des années 1950, quand l'Union soviétique, qui avait été en 1948 le premier État à reconnaître Israël, entreprend de jouer la carte de l'anti sionisme. À partir des années 1970, il donne au mouvement palestinien une orientation résolument axée sur le terrorisme, dans lequel il appliquera des méthodes de plus en plus radicales et inédites : détournements d'avions, massacre d'athlètes aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, voitures piégées, opérations suicides. Les crimes du FLN algérien, qui posait des bombes dans les grands magasins d'Alger, se voient surclassés : on s'attaque à des cars scolaires, on tue des enfants "ennemis" et on envoie à la mort des gamins fanatisés etc. Les attentats islamistes des années récentes sont de la même veine, ils grandi à cette école.
En
1988, — on est en pleine perestroïka de l'ère Gorbatchev, — Arafat
annonce qu'il renonce au terrorisme. Puis il annonce que le projet de destruction
de l'État d'Israël (3) "c'est caduc" (4). Ce qui est
caduc alors, c'est surtout le bloc soviétique. On s'achemine donc
vers les accords d'Oslo, signés comme leur nom ne l'indique pas à Washington
en 1993, alors que les États-Unis apparaissent comme l'unique superpuissance.
Arafat est donc rentré en 1994 dans cette Palestine où il avait
très peu vécu, et où il présidera pendant 10
ans l'Autorité palestinienne.
Entre 1996 et 2000, le "processus de paix" aurait pu l'emporter sans son intransigeance, en septembre 2000, sur la question de la fameuse esplanade des mosquées, supposée lieu saint de l'islam (5).
Bien plus, il semble clair qu'Arafat n'a jamais vraiment rompu avec les réseaux terroristes. Ceci est la conviction de la CIA comme du Mossad (passablement infiltré auprès du vieux leader, qui est finalement mort dans son lit) et c'est aussi l'argument des adversaires de toute négociation.
En 1969, prenant la direction de l'OLP, Arafat dénonçait "la création d'un prétendu marché commun moyen-oriental que dominera forcément Israël".
Il me semble en toute honnêteté que la clef du "mystère Arafat" est bien là. Nous sommes dans l'univers post-soviétique du mouvement baassiste "socialiste", qui a tant fait contre la "renaissance arabe" dont il se réclamait pourtant. C'est en cela, malheureusement, que la sympathie de M. Chirac se comprend : nous avions affaire à un José Bové proche oriental, qui a endossé le treillis du guérillero et le keffieh du Bédouin, mais qui partage l'univers mental des technocrates français en complet veston.
Arafat en était resté à l'époque des années 1950, époque révolue où un Renaud de Jouvenel pouvait parler des "bottes de sept lieues du socialisme" à propos de l'Albanie, époque oubliée où le président des Amitiés franco-albanaises était le grand-maître du grand orient de France, Jacques Mitterrand et où les khmers rouges faisaient leur apprentissage à la Sorbonne.
Arafat en était resté à l'époque où les moyens les plus sanglants étaient justifiés par l'objectif historique révolutionnaire : peu lui importait la réprobation de l'occident, puisque le capitalisme lui semblait voué aux "poubelles de l'Histoire".
Dans l'intérêt même des Arabes en général et des Arabes palestiniens en particulier, on ne pourra que se féliciter de la fin de l'ère Arafat, le jour où elle sera politiquement assurée.
JG Malliarakis
(1) Nous postulons bien sûr que Yasser Arafat est de nationalité palestinienne. Le Parisien du 12 novembre publiait en page 3 un surprenant document. Il s'agit de l'acte de décès N° 964, enregistré le 11 novembre 2004 par l'officier d'État Civil de la Ville de Clamart (Hauts de Seine). Contrairement à ce qu'indique ce document, Yasser Arafat n'est pas né à Jérusalem mais au Caire, en 1929. Le fait est suffisamment notoire pour qu'on puisse s'interroger sur les raisons de cette "erreur".
(2) Pour comprendre les fractures successives du monde arabe au XXe siècle il faut d'abord avoir une notion de l'Islam. Assez régulièrement, dans les médiats, les spécialistes de l'orient compliqué nous assènent quelques imbécillités magistrales et péremptoires. Il faut donc évoquer la conquête de La Mecque par les wahhabites, si longtemps soutenus par l'Amérique.
Muhammad ibn Abd il-Wahhâb (1703-1792) a commencé à diffuser sa doctrine qui se donne pour plus monothéiste que l'islam ordinaire, dans le Nadjd. La famille des Saoud, seigneurs de la région, s'allie dès l'origine avec le réformateur, elle adopte son message, s'engage à le diffuser et à revenir aux sources de l'islam. Muhammad ibn Abd il-Wahhâb intervient pour démolir les mausolées qui ont été bâtis sur les tombes de saints pour leur rendre un culte qui, aux yeux des wahhabites, contredit le monothéisme.
Si les wahhabites, par exemple, dénoncent ce culte des tombeaux ce n'est pas sans rapport avec le fait que, depuis le Xe siècle les tombeaux de la famille du prophète étaient sous la garde du chérif de La Mecque.
Celui-ci appartenait jusqu'en 1926, année de l'entrée victorieuse d'ibn Séoud à La Mecque, à la branche "hachémite" des chérifs de La Mecque, issus de Moussa Ier El-Djawn, "le Noir". Ces successeurs un peu lointains sinon mythiques (il existe un sérieux trou dans la généalogie entre Muhammad Abou Numayy II cherif de La Mecque au XVe siècle, fondateur de la dynastie des hachémites proprement dit, et son descendant supposé Dhawu Barahat co cherif de La Mecque 1772-1827) de l'imam Hassan (624-669, fils d'Ali, 4e calife. Son frère l'imam Husseïn fut le fameux vaincu de la bataille de Kerbala) ont été imaginés par les amis du fameux colonel Thomas Edward Lawrence pour régner sur une sorte d'empire arabe qui aurait, peut-être, vu le jour sans les fameux accords Sykes-Picot de 1916, elle-même confortée par la déclaration Balfour de 1917.
Au lendemain du traité de Sèvres de 1920, tendant à dépecer l'Empire ottoman, naquirent sous protectorat anglais au Hedjaz (Ali jusqu'en 1925), en Transjordanie (Abdallah Ier) et en Irak (Fayçal Ier), des royaumes dits hachémites, dont seul subsiste le royaume actuel de Jordanie (Abdallah II depuis 1999). Tout descendants qu'ils se disent de Muhammad, d'Ali et sa charmante épouse Fatima, les princes hachémites ont très vite déçu les partisans du nationalisme arabe, et c'est de cette déception qu'est né dans les années 1930 le mouvement Baath (parti socialiste de la renaissance arabe) dont le Fatah de Yasser Arafat fait figure de section palestinienne.
À noter que le Baath, sympathisant des régimes totalitaires, est, depuis l'origine, le rival régional d'un autre mouvement, apparu en Égypte, celui des Frères Musulmans, plus traditionalistes, encouragé (au départ) par l'Angleterre. En 1958, le Baath irakien contribue à renverser la dynastie hachémite de Bagdad et en 1970 le Baath palestinien dirigé par Arafat avait pratiquement entrepris de faire de même à Amman où il s'est heurté, de façon sanglante et dramatique pour le mouvement palestinien, à la résistance improbablement victorieuse de leur cousin le "petit roi" Husseïn de Jordanie. Toutes ces fractures dynastiques, religieuses et politiques, étonnamment durables, rendent le projet d'unité arabe entièrement utopique.
On consultera pour une approche de base, outre l'Islam de Henri Lammens, Le "Mouvement national palestinien" et "Les Frères Musulmans" d'Olivier Carré (Collection Archives Gallimard Julliard) ainsi bien entendu que "Les Sept piliers de la sagesse" de TE Lawrence (Payot). J'admirais beaucoup, étant jeune, les divers ouvrages de Jacques Benoist-Méchin. Je suis aujourd'hui beaucoup plus réservé, sauf pour la part de rêve.(3) Dans le discours arabe, à l'existence actuelle d'une "entité sioniste", évoquée comme s'il s'agissait d'un épiphénomène passager, il a longtemps été opposé l'idée d'une future Palestine unifiée et "démocratique", où cohabiteraient musulmans, chrétiens et juifs. Cette rhétorique "fraternelle", si séduisante soit-elle sur le papier aux yeux de certains, ne tient pas compte du fait qu'il n'existe rien de pareil dans le monde. Même le Liban heureux, d'avant la guerre civile de 1974, guerre civile qui a bel et bien eu lieu, n'était pas exactement le lieu d'une telle cohabitation, car les Juifs quoiqu'ils y aient été tolérés n'étaient présents qu'à titre symbolique.
(4) Cet avis ne semble pas partagé par le président actuel du parlement palestinien M. Rawdi Fattouh.
(5) Il s'est évidemment heurté alors à la position israélienne. Sans doute cette dernière est, elle aussi, d'origine religieuse. L'emplacement est également celui du temple de Salomon, dont la reconstruction est le rêve de beaucoup de sionistes. Des deux temples, il ne m'appartient pas, en tant que chrétien, de trancher sur le point de savoir lequel est le plus légitime. Historiquement, cependant, le règne de Salomon semble plus attesté que le songe de Mahomet, si poétiquement et pieusement retranscrit dans le Coran. Mais comme il y a, en France et dans le monde, plus de musulmans que de juifs, la démocratique loi du Nombre tend à l'emporter sur la science biblique.