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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
MERCREDI 17 NOVEMBRE 2004
LE NOUVEAU COMBAT DES CHEFS
La vie politique entre dans un jeu de Plic et Ploc ridicule.
Il faudrait une bonne dose d'ingénuité pour l'ignorer : la droite française, ou ce qui en tient lieu, est entrée dans une phase qui risque d'être confuse et dévastatrice où veulent s'opposer, dans tous les domaines M. Chirac et M. Sarkozy.
Selon les moments, ce sera des duels à fleuret moucheté, des polémiques directes ou des affrontements par disciples interposés.
On aurait tort de négliger les ravages présomptibles qui en découlent.
Mais on ne saurait, non plus, confondre cette querelle avec une sorte de grande bataille cosmique, un Mahabharata parisien. Ce ne sera pas comme en Italie pendant quelque 500 ans, les guelfes d'un côté, les gibelins de l'autre.
Tout d'abord ce n'est qu'une guerre civile, et elle ne se déroule qu'au sein de l'UMP. De tels conflits sont redoutables, cruels. Mais en règle générale, ils se terminent par des réconciliations, des paix d'Augsbourg, des édits de Nantes, des reconstructions. N'oublions pas que, par le passé, le parti gaulliste dont MM. Chirac et Sarkozy sont issus l'un et l'autre a connu des déchirures, lorsque Georges Pompidou se mit, contre le général De Gaulle (1), "en réserve de la république" en 1968-1969 ou lorsque Chaban-Delmas, candidat malheureux en 1974 dut faire face à une défection de 70 députés conduits par Chirac, (2) ou, entre 1993 et 1995, lorsque Balladur parut éclipser son ami de 30 ans.
Pour l'instant, les démêlés judiciaires de M. Juppé, et l'image assez floue de M. Raffarin font de M. Sarkozy le seul successeur plausible de président de la république au sein de son propre parti, ce qui enrage les chiraquiens. Mais rien n'indique que le suffrage universel devrait désigner en 2007, obligatoirement, le représentant d'une force qui recueille au total moins de 20 % des voix.
De 2002 à 2004, à l'Intérieur et aux Finances, M. Sarkozy s'est construit une image plus sécuritaire et libérale. Il est incontestablement plus populaire chez les syndicats de police et auprès des dirigeants du Medef. Il y a bien un "concept Sarkozy". Mais rien ne nous garantit de l'identité du "concept" et du personnage.
Une certaine gauche pourfend le "concept" : ainsi le gauchiste SNUI syndicat national unifié des impôts accuse Sarkozy d'avoir voulu, sournoisement, baisser le nombre de fonctionnaires du ministère des finances. Si c'est vrai, est-ce grave docteur ? Mais est-ce vrai ?
Nous serions presque d'accord avec le SNUI quand il dénonce "l'accumulation des effets d'annonces".
Attention aussi à ne pas s'immiscer dans les territoires sensibles de la paranoïa des deux clans.
La vie politique française en effet risque fort de vivre, de 2004 (ou ce qu'il en reste) à 2007 dans un jeu de Plic et Ploc ridicule. Si Plic dit blanc, Ploc ne peut que dire noir. Et toute couleur vraie, qu'elle soit bleue, rouge ou jaune sera cataloguée en fonction du blanc et du noir. Vous dites bleu ciel ? Vous êtes un agent camouflé de Plic. Rouge foncé : ah ! Mais vous roulez pour Ploc.
Par exemple M. Sarkozy a cru intelligent de remettre en cause en pratique (par l'organisation subventionnaire du culte musulman) et en théorie (dans son livre) la loi de séparation de l'Église et de l'État de 1905.
Immanquablement le clan Chirac a répondu que c'était très dangereux. Or, le débat est complètement faussé. Même lorsque M. de Villepin parle du "financement privé" de l'islam en France, le 16 novembre, il y a tromperie, car ce financement ne sera pas "privé" : il résultera de dispositions administratives et fiscales, artificielles et arbitraires.
Nous serions portés à dire que la loi de 1905 est historiquement très critiquable mais qu'il est, en effet, dangereux d'y toucher dans un contexte politicien et suspect. Ne confondons pas laïcisme et laïcité. Si le laïcisme s'est révélé persécuteur, la laïcité est admise aujourd'hui par la grande majorité des croyants chrétiens. Allons-nous troquer l'ère constantinienne révolue, celle du christianisme d'État, pour un islamisme d'État ? Répondre "non" à cette question ce n'est pas dire "non", personnellement et définitivement, à Sarkozy, et c'est encore moins dire "oui" à Chirac.
Constater que, depuis sa nomination au ministère des Finances, M. Sarkozy a été le plus efficace "privatisateur" des 50 dernières années, ce n'est pas prendre parti, c'est faire un constat objectif. Que ce constat plaide en sa faveur, et en faveur de son très astucieux confrère Patrick Devedjian, c'est le point de vue des libéraux. Les socialistes ne l'entendent pas de cette oreille. Autre dimension : le délabrement des finances publiques de la France héritées du socialisme, les déficits publics imposaient ces privatisations, dans un contexte boursier difficile.
En revanche, l'intervention industrielle en faveur du gigantisme (fusion Sanofi-Aventis, sauvetage d'Alsthom, rapprochement Eads-Thalès, etc.) tout cela est à mettre au débit de MM. Sarkozy et Devedjian. C'est en effet, un retour en arrière. La France officielle revient à l'époque du "meccano" industriel et de toutes les joyeusetés de la technocratie. Impossible d'applaudir.
Mais l'entourage de Chirac n'est-il pas plus lamentable encore dans ce registre ?
Les querelles politiques, qu'elles soient internes à la droite ou qu'elles opposent les Dupond UMP aux Dupont PS, ne doivent jamais faire perdre de vue les graves problèmes de la France.
Le nouveau combat des chefs va, hélas, occasionner une grande perte d'énergie ; alors qu'il serait urgent de baisser radicalement les prélèvements, on ne cesse de les augmenter, etc.
Plus grave encore : en même temps que les décisions utiles ne seront pas prises, on risque fort d'occulter les débats de fonds. On posera la question "qui est le plus capable de conduire les réformes", sans s'interroger vraiment sur les réformes pertinentes, sans s'inquiéter des fausses réformes et sans débattre quant au rythme de la décrue fiscale, nécessaire pour redresser la France.Il est clair par conséquent que l'on ne doit soutenir exclusivement que les propositions salutaires pour la patrie et la liberté, indépendamment des hommes qui les formulent, pour autant que, toutefois, ces hommes soient crédibles.
JG Malliarakis
(1) cf. "Le duel De Gaulle-Pompidou" par Philippe Alexandre (Le Livre de Poche)
(2) Rallié à Giscard, le "traître Chirac", ministre de l'Intérieur du gouvernement Messmer ne put alors être exclu du parti gaulliste. Il n'avait jamais adhéré..