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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
JEUDI 2 DÉCEMBRE 2004
FAUX PAS DE VLADIMIR POUTINE
On doit se féliciter de voir une politique européenne (presque) claire.
En une semaine, en cette fin novembre, la situation politique en Ukraine s'est entièrement retournée, et elle n'a pas fini d'évoluer. Les organisateurs de la fraude électorale des provinces de l'Est, les oblasts de Donetsk, de Lougansk, de Dniepropetrovsk etc. se sont révélés des apprentis sorciers. Si au 1er décembre au soir, on ne saurait affirmer que Koutchma, Ianoukovitch et leur protecteur affiché du Kremlin avaient encore entièrement perdu la partie, au moins doit-on constater qu'ils ont en grande partie échoué vis-à-vis de l'Europe.
Il ne suffit pas de considérer en effet, que l'évolution strictement économique de l'Ukraine dépend des concours occidentaux. Ceux-ci ne sont pas négligeables (1), mais ils ne constituent pas la question essentielle. La fermeture de la centrale de Tchernobyl pose en elle-même le vrai problème : Kiev est en Europe. Et on doit donc se féliciter de voir, enfin, une politique européenne (presque) claire, se manifester dans cette affaire par la voix et la présence de M. Solana, nettement et vigoureusement soutenu par M. Barroso, président de la Commission.
Quelle que soit la raison de l'humilité soudaine des ténors de la diplomatie gouvernementale des États-Nations, ès Chirac, ès Schroeder, ne parlons même pas de Barnier, cette semaine aura marqué un grand pas dans l'avancée du rôle de la commission de Bruxelles comme exécutif européen et de la nécessité de transformer le responsable de la PESC en vrai Ministre des Affaires étrangères de l'Union.
Sans le vouloir M. Poutine a donc donné une légitimité et une impulsion à l'idée d'une Europe politique aboutissant à une Europe militaire.
Mi-novembre d'ailleurs, en laissant diffuser d'inquiétantes déclarations quant à son potentiel nucléaire, Vladimir Vladimirovitch Poutine nous aurait ramené 30 ou 40 en arrière, à l'époque des rodomontades de Krouchtchev ou des SS-20 de Brejnev. Il est vrai que tous ces dirigeants soviétiques étaient des Ukrainiens…
Depuis 1991, en se proclamant elle-même indépendante de l'Union soviétique, la Fédération de Russie avait délivré le monde d'une menace, celle de l'Imperium Mundi dont son messianisme révolutionnaire fut porteur pendant plus de 70 ans (2).
Il est à remarquer cependant, que l'héritage de léninisme et du stalinisme n'a pas été liquidé entièrement.
Ceci reste particulièrement vrai dans les relations bilatérales maintenues avec certains États voyous, comme Cuba et la Corée du nord, mais aussi dans ce que les bureaux du Kremlin appellent pudiquement l'étranger proche.
Le cas de la Biélorussie du dictateur Loukachenko peut être considéré comme caricatural : il est loin d'être unique. Le monde européen qui veut à tout prix fermer les yeux sur l'impunité postsoviétique, ignore volontairement qu'en Asie centrale, la Russie s'appuie, étrangement, sur ceux dont M. Poutine cherche à se défaire chez lui.
Ou bien il s'agit des nomenklaturistes d'hier devenus oligarques d'aujourd'hui. Ils assurent les régimes de dictateurs mégalomanes d'apparence sud-américaine dans des pays dont ils avaient été les fidèles premiers secrétaires de l'époque soviétique.
Ou bien la géopolitique et la diplomatie du Kremlin s'appuient, purement et simplement, sur des partis restés explicitement communistes. C'est le cas, par exemple, au Tadjikistan où l'on nous présente l'appareil communiste local comme un rempart anti-islamiste. (3)
Mais c'est aussi le cas dans des territoires plus proches. On l'avait vu en Géorgie jusqu'à ce qu'une révolution récente, — dont les Ukrainiens s'inspirent, — chasse les fraudeurs et les amis de l'ancien ministre soviétique Chévarnadzé.
Aux frontières de l'Ukraine, les nostalgiques du système soviétique ont instauré une république sécessionniste de Transnistrie, entièrement entre les mains de l'appareil communiste et dont Moscou se sert pour faire pression sur la Moldavie, etc.
En Ukraine, les élections législatives de 2002 ont certes fait tomber dans tout le pays l'influence électorale du parti communiste ukrainien à 19 %. Mais les communistes obtenaient entre 30 et 40 % dans les oblasts de l'est et du sud, ceux précisément qui ont voté à plus de 90 %, nous dit-on, pour Ianoukovitch et ceux dont on a agité la menace de sécession.
Officiellement le 22 novembre, les communistes n'ont pas donné la consigne de voter pour Ianoukovitch parce qu'il est ce qu'on appelle un "oligarque", un homme qui s'est servi de sa position d'apparatchik pour profiter de la privatisation (4). Si on se donne la peine de lire l'Humanité en France, on réalise que les communistes français disent, eux aussi, du mal des "oligarques" — en entretenant la confusion.
Mais le 30 novembre, lors premier du vote de défiance contre Ianoukovitch, les 65 députés communistes l'ont bel et bien soutenu à la Rada de Kiev, alors qu'ils s'étaient donné la coquetterie de ne pas prendre ouvertement son parti lors du scrutin du 22 novembre. Il est en effet contradictoire de s'implanter chez les mineurs de fond en se donnant pour des défenseurs des grandes conquêtes de l'État prolétarien, et de soutenir explicitement les gens qui se sont approprié les mêmes mines, à la faveur des privatisations truquées lors de la décomposition du fameux paradis coco.
Dans cette affaire, M. Poutine a donc commis, à de nombreux égards, un faux pas qui risque fort de ternir son image et celle de ses amis en Europe. Ce n'est pas le premier et ce ne sera pas le dernier tant que l'habitude de mépris total pour l'interlocuteur occidental ne sera pas changée chez les survivants du soviétisme. La hausse des cours du pétrole en 2004, plus une ou deux mesures heureuses, notamment sur le plan fiscal en 2000, ont permis à l'économie et aux finances de la Russie de mettre le nez hors de l'eau, avec un taux de croissance enviable de 7 %. Il serait cependant contre-productif, pour ce grand et beau pays lui-même, que ses dirigeants s'en croient autorisés à regarder de trop haut les "petits bourgeois européens". Car, si Kiev est en Europe, Moscou et Saint Petersbourg font également partie de notre continent. Il est intéressant de remarquer d'ailleurs que l'arrogance héritée du soviétisme se manifeste indistinctement et peut être même plus nettement vis-à-vis des gens qui seraient portés à des gestes de sympathie. Les brutes anciennement communistes ne sont (peut-être) plus communistes, mais elles restent des brutes, voilà ce que l'on est tenté de considérer ou contraint de constater.
On n'en relit donc qu'avec plus d'intérêt "Les Démons" (5) de Dostoïevski qui, 50 ans avant la révolution russe, avait tout prévu, jusqu'à ce qu'il appelle "l'ivresse administrative".
Il et vrai que, de cette ivresse-là, les Russes n'ont pas le monopole. !
JG Malliarakis
(1) Ils demeurent cependant notoirement insuffisants de l'aveu même du patron de la BERD le technocrate français Lemierre.
(2) Quelques années auparavant, dans son livre "Comment réaménager notre Russie", Soljénitsyne avait recommandé la fin de l'Empire soviétique en ramenant la sphère d'influence de Moscou à une "Union slave" englobant précisément la Biélorussie, l'Ukraine et la partie majoritairement russe du Kazakhstan. Toute la question est de savoir sur quelle base cette "union" a vocation à fonctionner, et s'agissant d'un pays comme l'Ukraine si les liens, certes très forts, qui l'unissent à la Russie sont exclusifs de relations avec le reste de l'Europe.
(3) On se demande d'ailleurs pourquoi les partisans de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ne militent pas aussi pour l'entrée du Tadjikistan. Est-ce parce que les Tadjiks parlent, eux, une langue indo-européenne ?
(4) Comme le firent les Thermidoriens et autres acquéreurs de biens nationaux ancêtres de nos "dynasties bourgeoises". Profitons de ce 2 décembre, deuxième centenaire du "sacre" de Buonaparte à Notre Dame, pour rappeler que ce glorieux militaire fut d'abord le conservateur des propriétés frauduleusement acquises pendant la Terreur.
(5) L'édition de la Pléiade préfacée par Pierre Pascal est remarquable. L'édition du Livre de Poche intitulée "Les Possédés" est affublée d'une introduction de Pierre Boutang, qui doit être très belle, mais qui est écrite dans une langue que je ne comprends pas.