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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MARDI 7 DÉCEMBRE 2004

M. HOLLANDE OU L'AVÈNEMENT DES POLITICIENS FONGIBLES

Le rouleau compresseur de la médiocrité chiraquienne leur a ouvert la route en arasant le terrain.

Le 6 décembre M. François Hollande, déclarant sur RTL qu'il "réfléchissait à 2007 pour le compte du PS", ajoutant qu'il n'aurait d'autre préoccupation que de choisir "le meilleur candidat pour gagner la présidentielle" montrait clairement les nouvelles données de l'équation politique française.

Jusqu'à cette opération de referendum interne au sein du parti socialiste, réalisée le 1er décembre, M. Hollande faisait figure de personnage plutôt insignifiant. Premier secrétaire de transition, doublure du premier ministre, propulsé figure de proue à la faveur du double désastre électoral de 2002, personne ne lui imaginait jusqu'au 1er décembre 2004, un destin national, et encore moins semblait-il promis à un vote européen.

Désormais le voici en selle. La Mitterrandie, la gauche caviar, ès Strauss-Kahn, ès Djack Lang, ès Aubry, a fait immédiatement son retour en force dans l'organigramme du parti. Mais précisément, puisqu'ils sont tous là, rivaux, divisés, le voici rassembleur.

Un tel constat est à la portée de tout le monde. Et la mesure de la surprise qui en résulte aujourd'hui indique bien la médiocrité dans laquelle patauge notre classe politique. Ce petit nounours gentillet éclipse donc d'un coup tous ceux qu'on appelle couramment les "éléphants" de son parti. Les voici remisés, sinon au cimetière du même nom, du moins au garage, qu'ils s'appellent Fabius ou Emmanuelli, voire même un DSK, pourtant considéré comme le principal inspirateur de la campagne pour le oui.

Il n'est pas anecdotique non plus que, le 4 décembre, on ait annoncé la rétrogradation du député maire d'Évry, le citoyen Manuel Valls, moins connu du grand public mais tout de même, jusque-là, n° 4 dans la nomenclature officielle. Il n'est un secret pour personne que Valls est, depuis de longues années, associé au destin maçonnique d'un personnage incontournable du paysage philosophique français M. Alain Bauer, ci-devant grand maître du Grand Orient de France.

Eh oui, même ce pilier incontournable de l'édifice républicain se voit ébranlé par un vote interne des encartés du PS : la "franc-maçonnerie" des hauts fonctionnaires, c'est-à-dire le réseau de pouvoir de ceux qu'on appelle très péjorativement les "énarques", semble ici l'emporter sur celle des petits, les instituteurs, les postiers, les lecteurs du Canard Enchaîné, les ronds de cuir.

Ne nous le dissimulons pas. Dans l'opposition à la constitution européenne, il y a bien sûr, des alluvions de toutes provenances.

Le non du parti communiste et celui d'une certaine extrême gauche n'ont, au moins en surface, pas grand-chose à voir avec le non des hommes de l'ouest, Le Pen du Morbihan ou Villiers de la Vendée.

De toute manière, ce qui devrait frapper le plus l'attention de l'observateur, depuis la campagne référendaire de 1992 autour du Traité signé à Maastricht en 1991, ce n'est pas le non des partis ou des personnalités protestataires. Le non d'un opposant ne devrait surprendre personne. C'est plutôt quand un contestataire habituel dit oui qu'il dérange. Au contraire, symétriquement, quand les gens des partis des gouvernements prennent position contre un axe majeur de la politique d'État, commune aux hommes politiques de droite, de gauche et du centre, c'est là qu'ils posent problèmes.

Or, un courant transversal, tout à fait extérieur aux extrémismes, sinon franchement hostile, du moins assez clairement distinct, de la droite nationaliste, est apparu au cours des années 1990 pour s'opposer sinon à la construction européenne en tant que telle, du moins à ce qu'on appelle sa dérive fédéraliste, au point d'importer du Québec un mot nouveau dans le vocabulaire de l'Hexagone, le mot de "souverainisme".
Il faut vraiment tenir à une vue purement intellectuelle et philosophique de la réalité, pour ne voir dans ce courant d'idées et de formulations politiques, qu'une continuation historique, selon les cas, du colbertisme ou du jacobinisme, du gaullisme et du bonapartisme.

Tous ces "ismes", souvent fabriqués a posteriori et sans références aux discours effectifs de leurs fondateurs supposés, n'expliqueront pas que des hommes politiques, dont toute la carrière, jusqu'alors, avait reposé sur une certaine forme de pragmatisme sinon de compromission, se soient investis dans un raidissement qui s'est révélé, d'ailleurs, contraire à leurs ambitions.

Sans citer MM. Chevènement naguère, ou Fabius tout récemment, auquel il est permis de prêter certaines convictions, pourquoi un homme comme Blondel, gestionnaire d'un appareil aussi biscornu que la centrale Force Ouvrière, pour ne citer qu'un exemple, est-il devenu à la tête de sa confédération syndicale un adversaire aussi résolu de la construction européenne ?

Le sondage à balles réelles, opérés par voie d'un référendum interne au parti socialiste, sur la base d'un choix binaire [oui ou non, faut-il accepter la ratification de la constitution européenne] a fait apparaître plusieurs choses.

Il nous a d'abord redonné le nombre exact des adhérents au parti socialiste : ce sont 120 000 personnes. Est-ce beaucoup ou très peu ? Selon le point de vue dont on observe ce chiffre on le considérera contradictoirement. C'est sensiblement 2 ou 3 fois plus que le Grand Orient. Or depuis plus de 20 ans, il semblait acquis que l'idéologie du PS et celle de la maçonnerie laïciste forme une seule et même chose. On admet même en général que le grand-Orient est plus largement le temple de la république. Mais, d'autre part, ces 120 000 personnes deviennent à peu près exactement autant de mandats électifs. Ce parti représente donc à peu de chose près une sorte de maillage du pays réel par le pays légal. Il assure une sorte d'encadrement politique du pays, ce qui est très différent des partis de droite dont les dirigeants permanents et les secrétaires rétribués sont déconnectés d'une base d'adhérents beaucoup moins constamment responsabilisés dans l'État et les collectivités locales.

L'opinion du PS n'est pas très différente de celle du peuple de gauche non-communiste. Celui-ci croit à 70 % à l'Europe. Les adhérents encartés du PS n'y croient qu'à 70 %, comme la moyenne des Français. Or, dans la population socialiste, les 30 % manquant n'appartiennent, par définition ni au front national, ni au parti communiste, ni à la droite nationale catholique. Ils reflètent en partie cette France tout à fait singulière qui alimente le courant, apparemment étrange, et pourtant totalement logique avec lui-même, le courant d'exception jacobine et laïciste française.

Soulignons en effet, que l'un des grands leitmotivs des "nonistes" opposés aux 400 pages du traité constitutionnel européen et aux 55 pages de la très conventionnelle charte des droits fondamentaux, adoptée à Nice en 2000-2001, et incorporée au document (1) c'est que, dans tout cela, on ne figerait pas assez le laïcisme qu'ils pensent être une sorte de fondement philosophique de l'Europe, alors qu'il s'agit seulement d'un membre de phrase dans le préambule de la Constitution franco- française de 1946. Il ne leur suffisait pas d'avoir volontairement écarté toute référence aux racines chrétiennes de l'Europe, il leur en faut toujours plus. Et ainsi de suite, d'ailleurs, sur tout le programme social-démocrate. Ces forces, que nous avons l'habitude de tenir pour dominantes en France, ont donc échoué au sein du PS. Laurent Fabius opportuniste intégral qui n'a jamais été socialiste (2) est renvoyé au magasin des antiquités. Ce brillant cavalier s'est trouvé désarçonné.

Place donc à un petit bonhomme rondouillard, pas dénué d'humour, "sensuel et sans férocité comme les radicaux-socialistes", certes encombré d'une étrange pasionaria en la personne de sa compagne Ségolène Royal. (3)

Faut-il en conclure, dès maintenant, que le président de la république française sera en 2007, M. François Hollande ? Il est, bien évidemment, trop tôt pour le dire. Il semble en tout cas, désormais bien placé pour être le candidat du PS, soutenu par la majorité des Verts. Et le trouble manifeste d'une droite UMP, ébranlée le 1er décembre par la décision de l'appareil judiciaire, qui permettra à Juppé de concurrencer M. Sarkozy à partir du 1er décembre 2005, lui ouvre des horizons.

Voici donc l'avènement des politiciens fongibles, ceux auxquels le rouleau compresseur de la médiocrité chiraquienne avait préparé les Français en arasant le terrain.

Plus aucune tête politique ne dépassera. Plus aucun aristocrate de gauche à la Fabius, plus aucun romantique de la liberté ou de la patrie à droite, plus aucun Chevènement ou Jobert ailleurs.

C'est la victoire des sondages sur les convictions. L'opinion n'est plus en quête de vérité : elle est l'objet d'études de marché.

C'est une étape nouvelle qui s'annonce.

Il n'est pas certain que la société civile doive entièrement le déplorer.

Mais une autre ère, plus féconde, devra lui succéder. La génération suivante verra se lever d'autres grands hommes, au service de la liberté. Espérons-le, quand même. Espérons aussi que ces hommes de demain feront moins de mal que les purs technocrates d'hier et les politiciens fongibles dont l'avènement se précise.

JG Malliarakis

©L'Insolent

(1) Elle en constitue la partie II.

(2) Ceci me le rendrait plutôt sympathique je l'avoue, mais c'est aussi ce qui fait que 8 % seulement des sympathisants du PS le voient en présidentiable.

(3) Cette personne dit en général n'importe quoi. Mais là aussi "ça marche" dans la France d'en bas puisqu'elle a réussi à conquérir la région de Poitou-Charentes, fief de M. Raffarin.