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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
MARDI 14 DÉCEMBRE 2004
"FILS DE BYZANCE" ?
À propos de choses que M. Chirac ne semblait, jusqu'à ces derniers jours, guère partager...
(les jeunes femmes ci-dessus sont-elles des "filles de Byzance" ?)
Une passe d'armes, assez significative, a récemment opposé MM. Chirac et Le Pen, à propos de la Turquie en Europe. Le premier a cru pouvoir déclarer que "nous sommes tous les enfants de Byzance". Le second, lui a répondu en reprenant à son compte la prétendue querelle qui aurait opposé, au moment même de la chute de l'Empire, les théologiens de Constantinople à propos du sexe des anges. Cette légende, très répandue chez les faux lettrés, et même chez d'authentiques personnes cultivées, mérite d'être corrigée. Ce n'est certainement pas un "point de détail" de l'Histoire Universelle. (1)
Ami des Turcs, M. Chirac devait plutôt se dire, lui aussi, après tant d'autres esprits faux l'héritier du "préjugé anti-byzantin" d'origine voltairienne.
Car, en toute honnêteté, seuls pourraient se réclamer, d'une manière ou d'une autre, de la "filiation byzantine" que ceux qui acceptent précisément le sceau d'infamie, la "mauvaise réputation" de l'Empire romain d'orient que les descendants des "Francs" lui ont fabriquée après l'avoir si honteusement et traîtreusement pillé en 1204. Grosso modo, le "Douaire de Byzance" (2) recouvre les divers peuples orthodoxes, essentiellement en Europe balkanique et orientale, Russie comprise bien évidemment, le premier tsar Ivan IV revendiquant l'héritage de sa mère la princesse Sophie Paléologue.
Être aujourd'hui un "fils de Byzance", si cela possède une signification, cela devrait vouloir dire explicitement que l'on respecte ce legs millénaire plus ou moins représenté, aujourd'hui, par la religion orthodoxe ; c'est avoir en vue une Grande Europe incluant, un jour ou l'autre, la Sainte Russie, la vraie, jusqu'à Vladivostok. C'est probablement aussiêtre un lecteur de Dostoïevski. C'est également se reconnaître dans la rencontre historique entre Paul VI et Athenagoras de 1963. Bref, c'est un certain nombre de choses que M. Chirac, petit fils du vénérable instituteur, certes barbu comme un pope, de Brive la Gaillarde, ne semblait, jusqu'à ces derniers jours guère partager.
Accessoirement, il existe aussi un certain nombre de "fils de Byzance", Arméniens massacrés en 1915, Grecs expulsés d'Asie mineure en 1922 et de Constantinople en 1955, Chypriotes refoulés au sud de leur île par l'opération d'Attila de l'armée turque en 1974, mais aussi Assyro-Chaldéens, Alévis "crypto-chrétiens" (3) persécutés par l'islam turc d'État, etc. qui auraient leur mot à dire pour parler des assassins de Byzance et de leur estimable descendance qui, comptant aujourd'hui sur le Corne d'or, n'ont levé qu'à contrecœur le siège de Vienne en 1682 et qui considèrent qu'au fond, les "rayas" et "giaours" (c'est ainsi qu'ils nomment tous les chrétiens) ne leur ont repris qu'indûment les quelque 15 capitales délivrées du sud-est européen. (4)
"Fils de Byzance" étaient aussi les habitants de Belgrade. Au lendemain de la victoire de 1918, à laquelle ils avaient contribué, les "fils de l'occident" leur avaient imposé un mélange détonnant avec deux nationalités auxquelles ne les liait qu'un cousinage linguistique. L'époque des années 1920 était celle où l'on imaginait de "mettre la guerre hors la loi". On connaît la suite. Ou plutôt on ne la connaît pas assez : en 1944, un accord 50/50 aboutit à trahir la résistance serbe de Draga Mihailovitch au profit du communiste (vaguement) croate Tito. Expulsé en 1948 du Kominform par Staline le trotskiste Tito allait provoquer un découpage complètement artificiel de la Yougoslavie, charcutage administratif (5) dont la "doctrine Badinter" proclamera, 10 ans après la mort de Tito, qu'il établissait des frontières de droit national, inviolables et sacrés, entre les différentes républiques.
"Fils de Byzance", aussi les moines et les paysans serbes du Kosovo et de la Métochie allaient se voir démographiquement submerger par les descendants des serviteurs de l'Empire ottoman, les Albanais musulmans, sur un territoire attribué à la république de Serbie, tant par Tito que par Badinter, cette république devenant alors la seule où l'intangibilité des frontières ne compte pour rien. En 1999, M. Chirac fut (de son propre dire) l'initiateur d'une démarche auprès de Tony Blair d'abord et de William Jefferson (alias "Bill") Clinton pour faire bombarder les "fils de Byzance" de Belgrade et du Kosovo au profit des clans mafieux de l'UCK.
Que cette opération et ses conséquences soient demeurées impunies, c'est la loi d'une Histoire écrite par les vainqueurs.
Que le vainqueur d'un jour usurpe l'identité du vaincu et vole la pauvre dépouille de ses orphelins, voilà qui transgresse les lois élémentaires de la vérité et de l'honneur. C'est un transfert en Europe des pratiques habituelles aux cannibales.
Mais cela ne choque guère en regard des usages auxquels nous a habitués notre cinquième république.
JG Malliarakis
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(1)
Aucune source en effet, ne la corrobore, ni de près, ni de loin. Parmi
les remarquables humanistes, philosophes, scientifiques et théologiens
"byzantins" que l'État
des Paléologues a abrités, malgré son exiguïté [il
n'a d'Empire que le nom, réduit à un petit État exclusivement
grec] du XIIIe au XVe siècle, AUCUN ne s'est évidemment préoccupé d'une
pareille "question", totalement légendaire. On se reportera
au besoin au volume "Philosophie byzantine" par Emmanuel Tatakis
dans "l'Histoire de la philosophie" sous la direction d'Émile
Bréhier, pourtant passablement distanciée par rapport au christianisme
(324 pages, PUF, 1959).
(2) Titre d'un fort recommandable petit ouvrage de M. Thual.
(3) Sur les alévis de Turquie ou "Ali-ilahi", lire "L'Islam croyances et
institutions" par Henri Lammens pages 181-182.
(4) Certains se demandent aujourd'hui si la Crimée doit être ukrainienne
ou russe. Les dirigeants turcs actuels, nostalgiques de l'Empire ottoman et,
ne l'oublions pas, de l'Empire mongol des Tatars ont une autre réponse :
elle devrait réconcilier Européens, Russes et Ukrainiens.
(5) Dans son remarquable livre d'entretiens "Un Homme dans son époque" (Âge
d'Homme), le grand écrivain ex-communiste Dobrissa Tchossitch montre
quelles étaient les arrière-pensées révolutionnaires
et "internationalistes", largement mégalomaniaques, de ce
découpage qui est directement à l'origine des guerres de Yougoslavie
qui ont endeuillé les années 1990.
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