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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

LUNDI 20 DÉCEMBRE 2004

LE DÉBAT EURO TURC DURERA AU MOINS 10 ANS

Cette affaire peut et doit amener l'opinion européenne à se réveiller et à se mobiliser pour la cause des libertés

(ci-dessus : à Milan 50 000 personnes se rassemblent dans le pays supposé le plus favorable d'Europe...)

Ces lignes sont écrites au lendemain de cette décision historique du 17 décembre, fixant le principe de négociations en vue de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

Désormais, il faut d'abord voir les choses en face et constater l'évidence.

L'hypothèse chiraquienne d'une négociation technique paisible, menée, subrepticement, par les États, rassurante pour des opinions endormies, et qui se terminerait par un vote référendaire au bout de 10 ans ou 15 ans, est totalement simpliste et irréaliste. D'ores et déjà les opinions sont sensibilisées et ont commencé à se mobiliser. Les quelques centaines de personnes qui se sont retrouvées le 5 décembre au champ de Mars à Paris ont peut-être déçu, par leur nombre modeste, les organisateurs. Mais, en fait, il faut considérer ce chiffre (1) comme un commencement et non comme une fin. Notons qu'en cette fin de semaine à Milan ce sont plus de 50 000 personnes, ministres en tête, qui ont défilé pour protester (2). D'autre part, d'importants appareils de contestation vont se concurrencer, sur le terrain de la politique "pure" (ou plutôt impure), en agitant le problème. Cela aura pour effet, notamment, de mettre en évidence les processus de décisions européens, largement méconnus du grand public.

Les dirigeants européens ont accepté de suivre une procédure qui ne laisse que 3 possibilités

1° Ou bien l'Union européenne persiste à capituler devant les exigences et les faux-semblants d'Ankara. De la sorte, les gouvernements turcs qui se succéderont dans les 10 années à venir obtiendront tout ce qu'ils voudront. Les Européens ne voudront, dans ce scénario, tenir aucun compte du décalage entre les principes posés (par exemple "pas de torture dans les prisons") et les faits (c'est-à-dire la torture qui est théoriquement interdite se trouve pratiquement tolérée). Je ne crois pas à ce scénario, parce que parmi les 25 pays il se trouvera, soit au sein des opinions publiques, soit parmi les chefs d'États des gens suffisamment vigilants, sachant qu'un seul pays peut entraîner par son veto, le gel du processus d'adhésion.

2° Ou bien un certain nombre de forces interrompront, en Turquie même, le processus de candidature. Sachant que, depuis la seconde guerre mondiale, depuis l'introduction du multipartisme en 1946, 3 coups d'États militaires ont liquidé (1960, 1971, 1980) dans ce pays les institutions démocratiques, rien n'interdit d'en imaginer un quatrième, dès lors que les transformations demandées par l'Europe se révéleraient intolérables pour l'État-Major turc et pour le Conseil de sécurité nationale (MGK).

3° Il existe enfin une autre démarche possible, celle qui consistera à développer la vigilance et l'information en Europe, afin de faire pressions sur les négociateurs représentant chacun de nos pays.

C'est à cela que les défenseurs de l'Europe des libertés doivent s'attacher.

Car, contrairement à une idée reçue, ils en ont parfaitement les moyens.

Les éléments juridiques et politiques ne manquent pas.

Il y aura même bientôt, dans le cadre du Traité constitutionnel européen, s'il est ratifié, et quand il sera en vigueur, des barrières nouvelles.

A) Il ne faudra sans doute pas attacher trop d'importance à l'arme que constitue l'article 1er de la Constitution faisant référence aux "États européens". Bien entendu, une partie de l'opinion se cabrera à l'idée qu'un pays situé à plus de 90 % en Asie, au sens géographique, soit "européen" et on dissertera longtemps sur ce concept (2). Il faut de toute manière le brandir car il ne peut pas être question de faire adhérer à l'Europe d'autres pays comme le Maroc (qui a été candidat). Mais comme la Turquie fait partie depuis très longtemps du Conseil de l'Europe, de l'OSCE, etc., l'argument de son caractère extra-européen, s'il est de nature à réveiller la réflexion identitaire dans l'opinion, ne sera pas retenu par nos juristes laïcs.

B) Plus intéressant est le principe de procédure de l'article 58 de la Constitution, toujours si celle-ci est adoptée, car alors, si les conditions de l'adhésion négociée ne conviennent pas, on peut imaginer une bonne douzaine de campagnes référendaires, dans différents États-Membres de l'Union, dont une au moins aboutirait au rejet de cette candidature.

C) Quant à la Charte des droits fondamentaux, partie II de la Constitution, elle prend une fonction qui pouvait paraître imprévue. Au départ, en effet, ces 22 pages assez fades nous semblaient plutôt de nature à inciter au refus de ratification du document d'ensemble. Cela n'aurait d'ailleurs pas changé grand-chose que de récuser la Constitution au gré de la Charte puisque, adoptée à Nice en 2000, cette déclaration fait déjà partie du corpus doctrinal dont se réclame le pouvoir judiciaire communautaire.

En effet, la plupart des idées vagues exprimées par la Charte des droits ressortissent du bla-bla politiquement correct (il sera interdit de pratiquer la discrimination, l'Union pratiquera "un haut niveau" de défense de l'environnement et de protection sociale, "nul ne pourra être condamné à mort ni exécuté" — sauf évidemment les victimes).

Mais de cette bouillie tiédasse giscardo-sociale-démocrate, on peut quand même extraire 2 ou 3 principes forts dont l'application serait de nature à transformer radicalement, si elle devenait effective, la société turque et notamment :
- la liberté religieuse, incluant le droit de changer de religion
- le droit de propriété, comprenant l'usus, le fructus et l'abusus.

Selon le degré de sérieux avec lequel les 85 000 pages d'acquis communautaire seront, ou ne seront pas, appliqués en Turquie (3), le problème de l'adhésion d'Ankara ne se posera pas de la même manière. Sur ce point, on peut reprendre le propos de M. Chirac.

Il est donc prévisible que l'ombre de cette candidature surnuméraire et exotique se projettera désormais en permanence sur tout le débat européen, et ceci pendant au moins 10 ans.

Mais en même temps cette affaire peut et doit amener l'opinion européenne à se réveiller et à se mobiliser pour la cause des libertés.

JG Malliarakis

©L'Insolent

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(1) Ce jour-là, un dimanche pluvieux de décembre, environ 500 personnes se sont déplacées à l'appel de 3 ou 4 associations indépendantes de tout parti politique ou de toute structure communautaire, "France Europe Avenir" de M. Francis Demay, le "club Courbet" de Mme Douce de Franclieu, Europaegentes, etc.

(2) Cette manifestation était organisée par la Ligue Nord. Elle est présentée par M. Berlusconi comme le commencement de la campagne électorale. C'est déjà un signe que l'opinion italienne est moins favorable qu'on le dit à l'adhésion de la Turquie. D'autre part un sondage présenté pour démontrer l'assentiment des Italiens, par l'institut Eurispes donne 34 % de "pour", 28 % de "contre", et 37 % d'indifférents. Dans la même étude ("l'Europe que nous voulons", réalisée le 23 décembre), 42,5 % des Italiens se prononcent pour l'adhésion de la Russie, 37 % sont indifférents et 20 % sont "contre".

(3) En vérité il nous semble qu'un pays européen c'est d'abord "un pays chrétien". Ainsi en est-il de l'Arménie et de la Géorgie. L'Albanie n'est aujourd'hui européenne qu'à 30 %. L'objection est alors : qu'en est-il de la France ? Euh...

(4) Ainsi que dans la zone de Chypre actuellement sous occupation militaire illégale, où le "plan Annan" refusait aux Chypriotes grecs non seulement la propriété de leurs biens spoliés mais même celui d'acquérir des maisons, droit reconnu aux militaires britanniques, cela va de soi. Ne parlons même pas des 82 églises qui existaient en 1974 dans cette zone et qui ont toutes été désaffectées et dont 67 ont été transformées en mosquées.

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