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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
MARDI 28 DÉCEMBRE 2004
AU BONHEUR DES DÉMAGOGUES
Acccuser les hypermarchés de "tuer le petit commerce", de "détruire les emplois", de "favoriser l'inflation", "d'étrangler les producteurs" de "museler les médias" de "défigurer les villes" n'est-ce pas occulter les vrais problèmes de la création d'entreprises en France ?
L'heureuse libération des deux journalistes français, libérés si gracieusement 2 jours avant Noël, par la prétendue Armée islamique en Irak, a donné l'occasion de redécouvrir à quel point la presse française est devenue la plus servilement unanimiste du monde. Elle répercute les mots d'ordre du pouvoir avec une docilité dont les anciens régimes de censure, antérieurs à la loi de 1881, avaient toujours rêvé sans parvenir à leurs fins. Mais si la censure des anciens pouvoirs produisait des Pascal au XVIIe
siècle, des Voltaire au XVIIIe siècle ou des Paul-Louis Courier au XIXe siècle, habiles à la contourner, le système aseptisé d'aujourd'hui ne produit plus rien.Rien, sauf des petits malins ou des gros roublards comme M. Jean-François Kahn.
Cet habile entrepreneur, après avoir été un journaliste non dénué de talent, a compris de longue date qu'il avait matériellement moins à espérer de son métier proprement dit, dès lors que le quasi-monopole occupé par un "Canard" de moins en moins "enchaîné" lui laissait sinon un boulevard de protestation institutionnelle, de populisme à bon marché et de contestation gratuite, au moins une part de ce marché.
D'où Marianne.
Je l'avoue, d'emblée, ayant travaillé plusieurs années dans l'urbanisme commercial, je demeure réservé quant à certains types de grandes surfaces. Par curiosité, je me suis donc procuré pour 2,50 euros, le numéro 400 de Marianne, daté du 18 décembre, alléché que je fus par un titre consacré au "Livre Noir" des hypermarchés. Voilà des moulins à vent que j'ai entendu tant de Don Quichotte de Tarascon prétendre combattre, que c'est toujours avec plaisir que j'observe les nouvelles armes en fer-blanc avec lesquelles de nouveaux poujadistes se proposent de partir pour une telle croisade.
L'enjeu n'est pas innocent actuellement.
En prétendant "dénoncer" les hypermarchés, on entre joyeusement dans un combat politicien interne à la droite : Sarkozy est stigmatisé très nominativement. Le voici "complice" de Michel-Édouard Leclerc, dont on ignorait jusqu'ici qu'il fût délinquant. Et Marianne, journal prétendument de gauche, va jusqu'à trouver des mérites à la "loi Raffarin" abaissant à 300 m2 le seuil des autorisations administratives, soumises au vote d'une Commission départementale, nécessaires pour la création d'une surface de vente dans notre beau pays. (1)
S'agissant de stigmatiser les hypermarchés, on remarquera que tout y passe. L'architecture, par exemple, en est certainement laide : mais que dire du maître d'ouvrage public, que dire des grands ensembles, que dire des pavillons individuels ? Finalement, les espaces commerciaux des 50 dernières années sont presque aussi laids que les autres. C'est certainement dommage, mais le mauvais goût est la chose la mieux partagée du monde. Les hypermarchés ne font pas exception.
Curieusement les vraies nuisances ne sont pas dénoncées.
Le journal de JF Kahn voit, ou fait mine de voir, dans les hypermarchés, les responsables de la ruine du commerce traditionnel et de nous assener les chiffres, terrifiants c'est vrai, du déclin du nombre des boucheries, des boulangeries etc.
En gros, alors que la population de la France, de 1966 à 1998, est passée de 46 millions à 60 millions d'habitants, soit un gain de 30 % le petit commerce a perdu selon les métiers, de 10 % (libraires et marchands de journaux) ou 43 % (commerces d'électroménager) à 71 % (boucheries) voire 84 % (épiceries, alimentation générale) en nombres boutiques.
Ceci est globalement fort dommageable pour la vie de nos quartiers.
Mais la relation de cause à effet n'est pas nécessairement ce que semblent croire nos démagogues et ce que dénonçait, bien avant JF Kahn, dès 1968 le Cidunati d'un certain Gérard Nicoud.
Ce sont, en réalité, d'autres causes qui expliquent la baisse des créations d'entreprises commerciales. Et si la France à partir des années 1960 a vu se créer une formule commerciale inédite, appelée "hypermarché", comprenant plus de 2 500 m2 de vente en libre-service à dominante alimentaire, ce qui n'existait pas alors aux États-Unis, c'est en raison de la faiblesse de l'offre traditionnelle.
Ce n'est pas parce que les consommateurs périurbains accomplissent des trajets de 20 à 25 minutes en voiture hors de ville, afin de s'approvisionner en produits principalement alimentaires, que les centres villes meurent : c'est parce que diverses réalités urbanistiques, sociales, culturelles économiques, fiscales et même strictement juridiques (2) entravent le développement ou le renouveau des centres ou des commerces de quartier, que la distribution s'est transférée vers les implantations périphériques. Ne serait-ce que les difficultés de création de parcs de stationnement, difficultés aggravées par l'ivresse administrative, tout concours à ce déclin des centres.
Si M. Delanoë, par exemple, parvient à conquérir un deuxième mandat municipal, compte tenu de la médiocrité et de la division de ses adversaires, et si son équipe municipale poursuite sa "brillante" politique, on pourra constater clairement le même phénomène à Paris, que la chalandise fuira de manière substantielle. Ce ne sera pas la faute des hypermarchés : il n'y en a pratiquement pas à Paris.
Ces 30 dernières années, en effet, n'ont pas été caractérisées par la "création des hypermarchés" mais par l'existence de la stupidissime loi Royer de 1973 tendant à ralentir, à faire contrôler par des commissions départementales, le rythme de ces créations.
Cette loi a été applaudie et soutenue par tous les démagogues dont le journal JF Kahn rejoint la cohorte. La "loi Raffarin" a été son dernier renforcement.
Et parallèlement, personne dans les milieux médiatiques, n'a voulu faire alors attention à ce que cette loi Royer "d'orientation du commerce et de l'artisanat" mettait en place un système de protection sociale, à la fois monopoliste et pseudo-corporatiste, extrêmement coûteux pour les entrepreneurs indépendants, extrêmement pénalisant, extrêmement dissuasif de la création d'entreprises, régime social que toutes les "réformes" successives ont aggravé, y compris les mesures discrètes prises depuis 2002, dans l'indifférence générale, sans que personne n'y trouve à redire, même pas chez les prétendus défenseurs du "petit commerce".
Il est assez affligeant de voir ainsi le débat accaparé par les lobbies respectifs du dirigisme d'État et du maillage des chambres corporatives et des caisses sociales, le MEDEF croyant intelligent de s'appuyer sur ces petits réseaux sordides et reprenant à son compte les contre-vérités de leurs bureaucrates.
Il est vrai que le monde patronal institutionnel s'intéresse surtout aux grosses entreprises. Il est également vrai que les défenseurs attitrés des "petits", je les ai suffisamment côtoyés pour en parler, sont forts décevants et qu'ils sont prêts à s'articuler sur les pires démagogues, dès lors qu'ils entendent certains mots-clefs parmi lesquels figure en bonne place la sacro-sainte critique de ces "méchantes grandes surfaces".
On devrait mieux prendre en considération l'adage attribué à un humoriste anglais pour qui "la politique est l'art de prendre l'argent des riches et le suffrage des pauvres sous prétexte de les protéger les uns des autres". Les partis politiques et les chambres de commerce ont en effet reçu beaucoup d'argent, depuis 30 ans de "loi Royer", provenant des caisses noires de grands groupes de distributions. Le prétexte en était de mieux faire avancer leurs dossiers dans les commissions départementales de l'équipement commercial. Il leur est donc nécessaire de voir, aussi, de temps en temps, des bouffées de démagogie "anti grandes surfaces" bouffées justifiant les bureaucraties corporatistes.
Si l'on veut vraiment donner leur chance, dans notre pays, au renouveau des entreprises indépendantes, familiales, à taille humaine, ce ne sont pas les mafias corporatives qu'il faut encourager, c'est le libre choix de la prévoyance sociale, du rythme de l'épargne et de l'initiative individuelle. L'entrepreneur JF Kahn devrait réfléchir à sa propre expérience avant de foncer tête baisser dans les campagnes de justification des réglementations arbitraires et des interventions étatistes les plus funestes pour ceux qu'il souhaite défendre.
JG Malliarakis
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(1) Dans d'autres articles de la même livraison, le journal attaque si copieusement le Sarko qu'on a comme irrésistiblement envie de le défendre, tant les arguments sont gros. Sarkozy, dont nous avons toujours critiqué, par exemple, les inquiétantes ouvertures en direction des islamistes, est ainsi présenté comme l'homme du "lobby israélien". Allez-y comprendre quelque chose ! Il faut d'ailleurs reconnaître que, dans la logique démago de JF Kahn, M. Sarkozy est, évidemment, supposé faire figure aussi de diable "ultra-libéral". JF Kahn et ses fins limiers ne semblent pas avoir remarqué que lors de son passage au ministère des Finances toutes ses interventions ont été d'inspiration dirigiste (sauvetage d'Alstom, soutien aux fusions gigantistes, manipulations en faveur d'un nouveau contrôle des prix, etc.)
(2) Ceci inclut le statut franco-français du bail commercial remontant à l'âge d'or du poincarisme des années 1920 où on se proposait de protéger les anciens combattants, et, au départ les commerçants français contre les étrangers. Il est significatif de constater que de tels dispositifs protectionnistes ont eu les mêmes effets à long terme, après 40 ans de fonctionnement hasardeux, que les mesures natalistes imaginées à partir des années 1940.
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