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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
LUNDI 3 JANVIER 2005
À QUOI SERVENT LES VŒUX OFFICIELS ?
Considérons les propos du p. de la r. du 31 décembre avec objectivité : sans trop de miel, ni, non plus, trop d'aigreur.
Au sein d'une petite communauté, qu'il s'agisse de nos familles, de nos amis proches ou même d'un groupe informel ouvert, comme celui des lecteurs de l'Insolent, les vœux annuels obéissent à une logique parfaitement sincère et légitime.
Ainsi quand je dis à ceux qui me font l'amitié, gratuite donc véritable, de consulter, occasionnellement ou régulièrement, cette libre feuille électronique, combien je leur souhaite une bonne année 2005, quand je remercie, ici même et aujourd'hui, ceux, fort nombreux, qui me l'ont exprimé par des messages personnalisés, j'éprouve le sentiment de dire quelque chose de banal, certes, mais de sincère et de fort, dans notre culture et dans nos mœurs.
Quand je constate l'habitude anglo-américaine d'adresser annuellement, par voie postale des cartes, pas toujours très jolies, entre décembre et février, à tout son carnet d'adresse, j'admets volontiers qu'il s'agit d'une gentille coutume étrangère. Elle me paraît respectable. J'observe en revanche qu'elle doit se révéler bien encombrante pour la Poste française, compte tenu de la part archaïque des contrats de travail fixes de ce qui demeure, si largement encore dans notre cher Hexagone, une administration, autrefois performante, et un monopole coûteux, qui aura rapporté pas mal d'argent à l'État pendant trois siècles (1).
Quand, au contraire, un chef d'État nous impose son discours de fin d'année sur les ondes hertziennes, aucune pitié surérogatoire à son endroit ne devrait être de mise. C'est aux frais des contribuables en effet qu'on dresse la table des princes et qu'on sert leur souper. Tant vaut leur grâce, telle sera notre bienveillance.
Pour ce qui est de M. Chirac, et de la malédiction qui, visiblement ou secrètement, semble s'acharner à l'enfoncer dans sa médiocrité, notre indulgence sera obligatoirement très courte. Il coûte assez cher comme cela pour que nous acceptions de gaspiller à son endroit ni trop de miel, ni, non plus, trop d'aigreur.
Considérons le propos du président de la république avec objectivité, induisant suffisamment de mépris naturel, pour ne pas y rajouter une quelconque nuance de haine (2), qui serait étrangère à notre culture et à notre nature.
Le chef de l'État le 31 décembre a développé ses "vœux" en 3 points.
Répondons-lui en 3 points.
Premièrement M. Chirac a cru nécessaire d'accomplir un petit numéro compassionnel avec emphase sur les catastrophes épouvantables subies par divers pays de l'Océan indien. Nous voulons croire qu'il était sincère. Hélas, la matérialisation de cette intervention médiatique s'est révélée défectueuse. La lecture sur prompteur entraînait, par exemple, ses dommages ordinaires. Nous avons donc été amenés, bien involontairement, à ressentir qu'il y avait quelque artifice dans ce texte. Pour tout dire, cela sentait la communication officielle : la veille, 30 décembre "France-Soir", journal que fort heureusement personne ne lit plus sauf les éditorialistes, en avait donné la consigne, critiquant "le mutisme au sommet" de l'État. Le lendemain de cette injonction, Kouchner lui-même donnait la leçon (3). Ce professeur de compassion médiatique jugeait que "les dirigeants français auraient pu parler. Si certains ne le sentent pas, tant pis pour eux". Mais, au vrai, l'État français n'a pas été si pingre que cela, si on compare son geste spontané à celui de grands pays, comme les États-Unis dans leur premier mouvement de générosité. On se demande si, accusés d'indifférence lors de la canicule de l'été 2003, nos dirigeants, ou leurs conseillers, n'ont pas estimé indispensable d'en faire, cette fois-ci, hélas, un peu trop. Ah ! Comme c'est dur pour un comédien de faire dans le naturel. Trop de communicationnel compassionnel tue le communicationnel compassionnel.
Bien entendu, sur le fond de l'action généreuse (4) en faveur du drame de ce tsunami, personne de sensé n'ira critiquer l'action de la France, on peut se demander si le chef de l'État a bien réfléchi au sens de ses paroles quand il ose dire "Chacun ressent aujourd'hui à quel point, par-delà les distances, nous formons une seule et même humanité, dont le destin ne se distingue pas de celui de notre planète".
Ou bien nous sommes dans une tautologie, qui n'échappe à aucun biologiste, et nous n'avons certes pas attendu cet évènement pour savoir que l'espèce humaine est une.
Ou bien on envisage cette affaire comme la justification d'un gouvernement mondial.
Alors, que M. Chirac donne la parole le 31 décembre et le 14 juillet à l'excellent Koffi Annan. Au moins cela nous changera d'une communication d'État ridiculement franco-française.
Que
dire de la proposition "d'une
force humanitaire de réaction
rapide comme nous avons su le faire, pour la paix, avec les casques bleus" ?..
Sinon que les casques bleus ne sont pas précisément un exemple
bien probant de la prévention des conflits.
Pour tout dire cet horrible séisme asiatique montre à la fois
l'existence d'un vrai courant de solidarité, dont nous devons nous féliciter
en vertu des valeurs dont se réclame l'occident, mais en même
temps il démontre combien hasardeux se révèle une fois
de plus tout raisonnement "globalisant".
M. Chirac, connaissant le personnage Douste-Blazy, ne doit guère avoir l'habitude de faire attention à ce que proclame le ci-devant maire de Lourdes. Eh bien, pour une fois, il devrait remarquer que le ministre de la Santé a bel et bien "communiqué", lui aussi, mais que ses déclarations allaient dans un sens quelque peu différent du mondialisme à la Chirac. Se démarquant de ce qu'on appelle aux États-Unis "globalisme", Douste-Blazy demande d'abord "une évaluation de la situation sur le terrain" car celle-ci "varie beaucoup selon les pays et les régions" et il conclut en disant : "il ne faudrait pas que, à côté d'ONG efficaces, il y ait une énorme machine institutionnelle qui ne le serait pas".
L'appréciation du ministre nous semble moins délirante que celle de son président.
En tout cas, ils ne peuvent pas avoir raison simultanément.
On remarquera enfin que, parmi les pays concernés, l'Inde est le moins anecdotique. Or, l'Inde n'a pas du tout les réactions de M. Chirac. L'Inde ne veut pas de l'aide "globale" du mondialisme. C'est un peu ennuyeux si l'on veut démontrer à tout prix que nous constituons "une seule humanité". Certains seraient-ils plus humains que d'autre ?
Rabattons-nous donc, deuxièmement, sur un aspect plus proche de nous, à défaut d'être actuellement aussi tragique : l'Europe. N'est-ce pas notre part "d'humanité" ?
Il y aura beaucoup à dire, tout au long de l'année à venir, sur ce terrain qui va faire l'objet d'un référendum désormais annoncé pour la première partie de l'année 2005, après avoir été promis pour la seconde. La raison de cette accélération du calendrier semble bien résider dans l'inquiétude de voir se retourner en quelques mois une opinion publique, qui était évaluée comme favorable à 65 ou 70 %, début décembre, au lendemain du referendum interne au parti socialiste. En votant au printemps 2005, plutôt qu'à l'automne, on espère limiter la casse. Mais, manifestement l'érosion résulte en très grande partie de l'ambiguïté du discours officiel français relativement à la candidature de la Turquie, dont personne ne veut vraiment en France, sauf M. Chirac et le grand orient de France.
Nous constatons aujourd'hui encore que Chirac n'a toujours pas analysé sérieusement le texte de la Constitution européenne qu'il prétend nous faire ratifier. S'il l'avait étudiée, il pourrait mieux rassurer les Français. Il devrait consulter plus souvent l'Insolent, en particulier notre chronique du 20 décembre. La Constitution, en effet, du jour où elle sera ratifiée, permet de poser la question turque de manière tout à fait différente.
Troisième point, troisième réponse : M. Chirac évoque le chômage et la croissance. Or, le taux officiel du chômage était approximativement de 9 % en 2002, il est passé aux environs de 10 %. Ce n'est pas une stabilisation, c'est une aggravation. D'autre part, M. Chirac parle comme le gouvernement qu'il pilote avait pour politique de diminuer effectivement les monstrueux prélèvements obligatoires hexagonaux. En réalité, il les a indiscutablement augmentés. M. Chirac promet de persister dans sa politique : pour une fois nous pouvons craindre qu'il tienne cet engagement.
J'ignore donc à quoi servent, en général, les vœux que formulent à nos frais les hommes de l'État. S'agissant de M. Chirac, je déplore qu'ils aient pour fonction de persister dans l'artifice et dans l'erreur, peut-être même de s'enfoncer dans le mensonge.
JG Malliarakis
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Apostilles
(1) Il faut cesser de ne dire d'un monopole, ou d'un impôt, que ce qu'il est supposé rapporter ou coûter "en lui-même". Il est en effet indispensable de préciser, chaque fois, si ce "résultat" est envisagé du point de vue exclusif de l'État ou du point de vue des particuliers. Dans certaines relations en effet le profit est mutuel, et telle doit être la caractéristique du libre contrat. Dans d'autres, il est unilatéral. J'avoue être en cela intrinsèquement, indécrottablement "libéral", et j'accepte sur ce point cette qualification ambiguë, en cela que le "profit unilatéral" me semble constituer la tare essentielle des systèmes basés sur la contrainte monopoliste. Ce "profit unilatéral" me semble conduire par ailleurs, à terme, à une destruction, à une perte générale de substance, aussi bien pour le monopoleur voleur lui-même que pour son "client" spolié.
(2) Chacun sait, ou devrait savoir, que M. Chirac, s'il invente une "priorité" par semaine, a "probablement [une] seule haine", la "haine du fascisme" (cf. ses déclarations au journal "Elle" en novembre 1976, jamais démenties ni rétractées ni compensées). Ce mot de "fascisme" ne désigne guère autre chose que l'anticommunisme poussé à son paroxysme ; plus certainement encore, il est le qualificatif que les communistes donnent à leurs adversaires. Et comme Chirac, au cours de sa (longue) carrière, n'a jamais relevé que le communisme a tué au total infiniment plus de monde que le "fascisme", (ne serait-ce que parce qu'il a sévi plus longtemps que les régimes qualifiés de "fascistes", et qu'il a sévi dans un plus grand nombre pays, et qu'il sévit encore) il n'est besoin ni de mépris ni de haine, mais de la plus froide des objectivités, pour comprendre la logique liberticide intime du personnage qui squatte de temps en temps les écrans de télévision, lisant de plus en plus péniblement, sur un prompteur mal placé, des choses dont on se demande s'il les comprend bien lui-même, personnage prétendant nous dire "au nom de tous" ce que nous devons penser.
(3) dans "Libération" du 31 décembre.
(4) pour cesser d'être seulement occasionnelle et conditionnée, notre générosité devrait se préoccuper d'abord de malheurs non médiatisés. Ayons une pensée, par exemple, pour les orphelins de la police.
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