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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
VENDREDI 14 JANVIER 2005
AUTOUR DU TERRORISME
En écoutant le très remarquable juge Bruguière, j'ai quand même éprouvé un doute.
Ce 12 janvier 2005, le juge Bruguière, considéré mondialement, et d'abord par lui-même comme l'ennemi numéro 1 du terrorisme islamique en France, — un peu comme Michel Rocard que Mitterrand qualifiait un jour de meilleur économiste de Conflans-Sainte-Honorine, — donnait une fort intéressante conférence à l'Académie du Gaullisme. Cette association discrète se réunit régulièrement à la maison des anciens Français Libres à Paris pour écouter des orateurs, généralement bien informés, dont la ligne commune est, ordinairement, leur méfiance vis-à-vis des États-Unis d'Amérique.
Sur ce point M. Bruguière a probablement décontenancé son auditoire en évoquant la solidarité occidentale sans faille que requiert, à l'évidence, une lutte désormais radicale opposant, nos pays à ce que M. Bruguière appelle le salafisme.
Les informations qu'il apportait n'étaient pas, pour l'essentiel, des révélations. Peut-être éclairaient-elles utilement une partie de l'auditoire. Mais pour tous ceux qui ont tenu un peu documentées leurs archives et qui, surtout, n'ont pas oublié au bout de 2 jours les informations jetables entendues à la radio, on pouvait savoir ce qu'a dit M. Bruguière. Et cela paraît normal s'agissant d'un homme exerçant des responsabilités aussi sensibles.
Ce qui était, donc, le plus intéressant c'était sa manière de présenter, de faire le tri et même de sélectionner, parmi les faits, ceux qui éclairent, et même sera-t-on tenté de dire : ceux qui arrangent sa vision des choses.
La plupart des Français ont oublié (1) que l'attentat a priori incroyable de septembre 2001 contre le World Trade Center de New York avait été précédé d'une tentative elle-même assez spectaculaire en 1993, dont les instigateurs islamistes ont été jugés aux États-Unis.
Fixer ainsi, comme le fait M. Bruguière, la découverte de cette menace à 1997 est donc assez problématique.
Certes, avant 2001, les dirigeants américains savaient, — ou "avaient les moyens de savoir", et cette distinction n'est pas une simple nuance stylistique : tout est là — qu'un certain islamisme radical à la fois développait des moyens de plus en plus terroristes et, d'autre part, que le sol américain n'était pas à l'abri.
Dans le choix entre "savoir", "mesurer", "avoir la possibilité de comprendre", nous opinons objectivement pour la 3e hypothèse, tout simplement parce que l'Amérique est une démocratie, et que la structure de prise décision y est autre chose que ne l'imaginent nos machiavéliens européens. Le peuple américain et le gouvernement de Washington n'ont vraiment réalisé que le terrorisme islamique était le danger principal, pour eux et pour le monde occidental, qu'à la vue terrifiante des ruines des deux tours new-yorkaise.
La question peut sembler complexe mais la réponse en est simple. En face de gens aussi pragmatiques, existentiels et réactifs que nos cousins plus ou moins lointains du Nouveau Monde, il n'y a guère à hésiter quant à cette affirmation.
De ce point de vue j'adhère assez pleinement, pour ma part, à une partie des propos du juge Bruguière, celle où il dit qu'il faut distinguer entre d'éventuels débats, tout à fait légitimes entre alliés et amis, et une attitude de polémique constante.
Mais à la réflexion, en relisant mes notes prise au cours cette conférence stimulante, je constate des points très importants où le raisonnement de M. Bruguière pêche manifestement par excès d'estimation des raisons dont la France fait son quotidien.
Le spécialiste Bruguière invoque à juste titre une expérience et une continuité de plus 20 ans dans la lutte contre le terrorisme.
Mais il est assez clair aujourd'hui, et il le reconnaît lui-même, que rien ne l'y préparait quand il fut chargé, en tant que juge d'instruction, du dossier de l'horrible attentat contre le célèbre restaurant Goldenberg de la Rue des Rosiers en 1982. Je crois me souvenir d'un jeune gauchiste des années 1968 et suivantes à l'Institut d'Études politiques de Paris. En 25 ou 30 ans seuls les imbéciles ne changent jamais d'avis, on a le droit de faire du chemin. J'en ai fait moi-même. Mais précisément, quel chemin a fait Bruguière ?
Il me semble qu'il n'a fait que la moitié du chemin, et c'est heureux pour un homme qui donc jusqu'au bout pourra poursuivre la voie de la sagesse, et tant qu'il sera actif, chercher à être ou devenir ce qu'on appelle un "contemplatif dans l'action".
Il ne l'est en tout cas pas encore.
Peut-être a-t-il étudié les langues orientales. C'est ce que certains de ses propos permettent de supposer quand il dit "je pourrais vous le dire en arabe". Voila qui est encourageant : combien y a-t-il d'arabisants, d'iranisants, de turcisants, de lecteur de l'ourdou pakistanais, du farsi afghan, etc. parmi nos spécialistes du terrorisme islamique ?
Mais, par ailleurs, puisque tout le monde s'accorde à voir dans le terrorisme oriental au moins une déviance par rapport à l'islam, c'est bien que l'on s'éloigne sensiblement de cette religion musulmane honnête et sympathique répandue chez nos (ex) compatriotes algériens. Ne serait-il donc pas nécessaire de reconnaître que l'approche de cette déviation passe obligatoirement par une étude critique, et non par un simple survol complaisant du phénomène religieux dont il s'agit ?
La question ne sera même pas posée ; elle est souverainement incorrecte. Elle est évidemment prématurée puisqu'aucun gouvernement occidental ne l'a encore avalisée. Et comme le dit M. Bruguière : nous sommes des démocraties, des terres de liberté. Pas question dans ces conditions, chantait autrefois Guy Béart, d'abandonner les comptoirs de l'Inde. Pas question disent aujourd'hui nos intégristes laïcs de prendre en considération un phénomène religieux.
On a presque honte de rappeler qu'autrefois quand ils savaient, ou quand ils croyaient savoir, qui était leur ennemi, les Français, et d'abord bien sûr les élèves de Saint-Cyr, en apprenaient la langue. Aujourd'hui qu'ils n'en ont plus, du moins le croient-ils, ils n'apprennent plus qu'une seule langue étrangère, celle avec laquelle d'ailleurs ils se trompent quand ils s'imaginent pourvoir se faire vraiment comprendre des Japonais, des Latino-américains, des Chinois ou même des Indiens etc.
Le secrétaire général de l'Académie du gaullisme, M Gilles Bachelier, posa poliment une vraie question : M. le juge vous combattez les conséquences, et vous les combattez bien. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur les causes du phénomène ? Cette question (2) excédait manifestement l'horaire et la déontologie du magistrat.
Un des points les plus nets de ses affirmations consistait cependant à nous dire que "si, depuis 1996, en France, nous n'avons pas suivi d'attentats islamistes, ce n'est pas par hasard. C'est parce que nous sommes bons, très bons, probablement les meilleurs au monde dans le système lutte antiterroriste. Manque de moyens de nos services ? Défauts de la cuirasse franco-française ?
Complicités
logistiques de l'islamisme dans l'Hexagone ?
Toutes ces hypothèses, toutes ces questions, sont balayées d'un
revers de main.
Pensons aux propos passés de quelques autorités incontestables, comme ceux de Maxime Weygand en 1939 (pour ne citer qu'un exemple), encourageant, par la mâle assurance de leurs discours officiels, les politiciens de la IIIe république finissante, mais aussi le malheureux gouvernement polonais, à fermer les yeux sur le rapport des forces.
C'est aussi parce que des militaires brillants légitimaient leur propos que les politiciens français pouvaient finir par croire ce qu'ils disaient en proclamant : "Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts".
Attention aux surestimations (2) optimistes des experts et des spécialistes. Un vrai service de renseignements a toujours pour méthode de communiquer de préférence sur ses propres faiblesses. Sa devise n'est jamais "cocorico".
M. Bruguière refuse de faire la guerre à l'islam. Il a sûrement raison. Mais il devrait dire alors à quel adversaire il a, et nous avons, affaire, et la définition ferait sérieusement avancer le sujet.
Signalons que si les Français ne sont pas informés de ce que les spécialistes entendent, exactement, par "islamisme", "salafisme", "islamisme radical", "fondamentalisme" et autres précisions, qui sont autant de néologismes, nos concitoyens seront amenés légitimement à prendre ces mots pour de simples litotes. Et ils seront conduits à penser que ce sont des termes pudiques pour désigner les musulmans en général, comme on dit des "jeunes" pour désigner un certain type de voyous.
Il est donc un peu dommage, dans ces conditions, d'entendre un homme chargé de telles responsabilités que le juge Bruguière, nimbé de l'auréole républicaine que lui confère son appartenance présomptible à une confrérie de bienfaisance laïque, répéter, une fois de plus, cette contre-vérité selon laquelle il y aurait, en France, 5 millions de "musulmans". À quoi les reconnaît-il ?
Si l'on confond ainsi Maghrébin et "musulman", on s'expose, symétriquement à cette équation, que certainement les laïcistes combattent, entre Européen et "judéo-chrétien".
C'est certainement ce que M. Bruguière voudrait éviter.
JG Malliarakis
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Apostilles
(1) À quand faut-il faire vraiment remonter l'expérience française en matière de terrorisme et de lutte antiterroriste ? À la bataille d'Alger, gagnée, contre le terrorisme urbain, par l'Armée française en 1957 ? À la campagne victorieuse de Maurice Challe en 1959 contre les bandes armées ? M. Bruguière ne veut certainement pas remonter aussi loin, l'académie du Gaullisme non plus. La machine à remonter le temps ne va au-delà de la mort déplorable de JF Kennedy que pour évoquer, pour les uns, le discours du 18 juin, et pour les autres, le débarquement de 1944.
(2)
Pensons aux propos passés de quelques autorités incontestables,
comme ceux de Maxime Weygand en 1939 (pour ne citer qu'un exemple), encourageant,
par la mâle assurance de leurs discours officiels, les politiciens
de la IIIe république finissante, mais aussi le malheureux gouvernement
polonais, à fermer les yeux sur le rapport des forces.
C'est aussi parce que des militaires brillants légitimaient leur propos
que les politiciens français pouvaient finir par croire ce qu'ils
disaient en proclamant : "Nous vaincrons parce que nous sommes les plus
forts".
(3) Comme d'autres non moins pertinentes, comme celles relatives à la part de l'islamisme, du panturcisme et du terrorisme islamique dans les guerres de Yougoslavie, etc. .
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