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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
JEUDI 27 JANVIER 2005
BRÈVES IMPRESSIONS SUR L'IMMENSITÉ CHINOISE
Comme derrière un gigantesque village Potemkine, gît encore la pouillerie communiste.
Pas possible de contourner cette obligation, revenant de quelques jours passés en Chine, de prendre en notes certaines observations, tout en sachant cependant leur caractère microscopique et instantané.
"Comment la grenouille au fond du puits pourrait-elle rêver l'immensité de l'océan ? Comment l'oisillon au fond du nid pourrait-il mesurer l'étendue de l'univers ?"
Ces deux proverbes étaient déjà invoqués, il y a 23 siècles, par les défenseurs de l'École des Lois confrontés à la restauration salutaire du confucianisme opérée par les Han. L'étatisme oppresseur chinois, sous-jacent à ces deux jolies métaphores, a ressurgi maintes fois au cours d'une histoire chinoise, à la fois millénaire et contrastée. Tantôt unifiée, tantôt morcelée, tantôt conquise, dominée par des dynasties étrangères, les Jin, les Yuan, les Qing, tantôt brillamment ouverte sur le monde comme à l'époque des Tang, la plupart du temps refermée sur elle-même, toujours fascinante, cette nation, ou plutôt cet empire, joue un rôle décisif dans l'équilibre instable du monde actuel, du monde de l'après-Yalta.
Comment l'apprécier ? Comment savoir si vraiment nous sommes en face d'une force amie ou bien d'un danger, — et donc, alors, d'un grand danger ? Bien évidemment, mon bref séjour, si divertissant et passionnant ait-il été, ne me permet pas de répondre, et surtout pas péremptoirement.
Depuis 1994, date de mon précédent voyage à Pékin, impossible de ne pas mesurer la transformation radicale de cette ville. Surplombant côté nord le grand axe est-ouest, lequel séparait autrefois la ville tartare de la ville chinoise, la vue, du même hôtel, est passée d'un immense chantier fonctionnant jour et nuit à un océan d'immeubles superbes, rutilants, surdimensionnés.
Inutile de souligner la distance séparant, encore plus, le Shanghaï du Lotus bleu de l'énorme mégalopole de 17 millions d'habitants s'apprêtant à recevoir l'Exposition Universelle de 2010. La rue du Sage Immense, le grand magasin de Mitsuhirato, ne sont même pas des souvenirs. L'ancienne concession française est un bel endroit branché. On se croirait à Dublin ou à Greenwich Village, très loin de la Corrèze, et plus encore à mille lieux du Zambèze.
En 10 années, l'évolution saute aux yeux de tout un chacun. C'est devenu une sorte de lieu commun et les pourcentages de croissance effraient nos économies stagnantes.
La prospérité de la Chine ne doit cependant pas être surestimée.
Comme derrière un gigantesque village Potemkine, gît une pouillerie millénaire.
On entend, par exemple, les bons esprits se lamenter sur la destruction des fameux hu-tong de Pékin, ruelles de la capitale, supposées significatives de l'âme populaire du pays. Cette destruction est certes massive mais elle demeure partielle. Eh bien, pour en déplorer la disparition il faut vraiment ne s'y être jamais promené librement, n'avoir jamais plongé son regard derrière les façades, ne pas en avoir respiré les odeurs, ne pas en avoir observé la crasse. N'accusons pas seulement le chauffage au charbon. (1)
Autre remarque : il est surprenant d'entendre nos protectionnistes hexagonaux terrifiés par le textile chinois. Une visite dans les grands magasins de la rue de Nankin à Shanghai devrait les rassurer. Ce qui n'y est pas cher, ne vaut effectivement pas cher. Et la seule désolation est de voir le peu de place dans les rayons pour les jolies vestes, ou les robes traditionnelles, un peu coquines, des Chinoises d'autrefois, et, au contraire, l'invasion des déplorables sous-produits mal imités de la confection occidentale.
Tout ce qui pue sent mauvais.
En Chine communiste, cela se vérifie particulièrement.
Et ce qui sent le plus mauvais, cela porte un nom : c'est la dictature impitoyable, sans partage et sans faille du parti communiste.
On a beaucoup parlé en occident de la répression consécutive au mouvement de 1989 place Tian An-men. Le gouvernement de Pékin a adopté à la suite de l'indignation générale, pendant environ 10 ans, une sorte de profil bas.
Cela convenait très bien à la discrète restructuration de sa diplomatie. Sur la scène internationale, le régime chinois, l'État chinois, demeure encore largement inexpérimenté. Il raisonna longtemps en fonction d'une géopolitique rustique : "les amis de nos amis sont nos amis". En Asie, l'allié traditionnel, remontant aux années de la confrontation avec l'Inde, c'était le Pakistan. Les amis des Pakistanais sont les Turcs. Les amis des Turcs ont toujours été les Allemands. De cette donne simpliste, pour ne pas dire infantile, subsiste concrètement aujourd'hui une seule conséquence : la préférence accordée dans les gros marchés d'État au fournisseur allemand. (2)
Depuis 1998, en réalité, la Chine n'a pas cessé d'améliorer ses relations avec l'Inde et avec la Russie. En 1999, durant la crise du Kossovo et pendant les bombardements de Belgrade le gouvernement de Pékin a clairement soutenu la Serbie. L'une des raisons en est la crainte de l'islamisme, assimilé hâtivement, à la contestation essentiellement nationaliste et pan-touranienne des Turcs Ouïgours du Sin-kiang (3).
Depuis 1989, les équipes dirigeantes ont changé. Le maître nominal du pouvoir, Hu Jin-tao, semble certes avoir accompli un "sans-faute". Mais la vraie question sera celle des conditions dans lesquelles le pays abordera les Jeux Olympiques de 2008. Destinés à propulser l'image d'une Chine grande puissance, ils ne doivent pas laisser indifférents, en Europe, les partisans de la liberté.
On ne pourra pas, en effet, laisser de côté indéfiniment des questions politiques aussi claires que l'existence de vrais syndicats, la liberté religieuse effective du christianisme et du bouddhisme, le statut de l'opposition politique y compris à Hong Kong et à Taïwan. Cessons d'accepter sans réagir aux pressions et au chantage constants pesant sur l'île nationaliste.
Ne fermons pas non plus les yeux sur la monstruosité de la limitation artificielle imposée aux naissances. Elle résulte d'une vision totalement archaïque du rapport au territoire. La population de la Chine est certes officiellement de 1,3 milliard d'habitants mais elle st répartie sur un territoire de 9,6 millions de km2 : soit 18 fois le territoire de la France. Pour des raisons culturelles, seulement 13 % de cette surface est cultivée. Il est cependant ridicule d'en conclure que la terre chinoise serait insuffisante pour nourrir la population. La limitation de la famille à un enfant par couple est illégitime et destructrice de la culture chinoise elle-même. Ses nombreuses conséquences pratiques désastreuses vont apparaître de plus en plus. Pourquoi l'occident refuse-t-il de souligner cette absurdité ?
Le cynisme des relations d'État se révèle ici contre-productif, contraire aux vrais intérêts nationaux, ceux des Chinois comme ceux des Français.
Le charme de la culture chinoise n'a rien à voir avec la réalité de l'État communiste, fût-il tempéré par un affairisme débridé et une frénésie de consommation. Le Communisme de marché lancé en 1978 par Deng Xiaoping, cela tue heureusement moins de monde que l'horreur maoïste. Si la Chine devait seulement passer du communisme au national-socialisme (4) on voit mal l'avancée en résultant pour l'Europe des libertés.
Ayons l'honnêteté de le dire ici. Certains persistent à "planter en rêve des tessons de bouteilles sur la grande muraille de Chine" (5). Ils se fourvoient. La Chine a beaucoup de choses à apporter au monde, à condition d'être un pays libre et pacifique. Nous devons donc l'aider à trouver sa voie propre vers plus de démocratie, plus de fédéralisme, plus de respect du droit des gens, plus de dignité humaine et de considération pour la vraie culture, à commencer par la sienne.
JG Malliarakis
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Apostilles
(1) La pollution, notamment celle des rivières, frappe tout le pays. Pas seulement les villes.
(2) Au voyageur français, on cherche à faire valoir une sorte de statut punitif infligé à notre pays pour avoir aidé Taïwan. Si cela était vrai, nous pourrions en tirer quelque fierté, la vraie Chine étant celle du Kouo-min-tang. Mais l'imaginer serait faire hélas beaucoup trop d'honneur pour le gouvernement de Paris.
(3) Cette région était autrefois appelée Turkestan chinois (le "Turkestan russe" correspondait aux actuelles républiques d'Asie centrale). Pour la désigner de nos jours, nous devons préférer la graphie francisée de Sin-kiang à celle officiellement de Xinjiang imposée par la romanisation pinyin. Il en va ainsi pour tous les noms connus en français. Il paraît ridicule d'écrire en français, et plus encore de prononcer, "Bei-jing", "Xiangang" au lieu de Hong Kong, "Guangzhou" au lieu de Canton, etc. Hélas ce pédantisme dérisoire se répand, et l'on doit lui faire quelques concessions, en acceptant, par exemple, de dire Taïwan pour Formose. Désignant ce dernier territoire nous préférons parler de la République de Chine nationaliste.
(4) Sur les rayons des grandes librairies de Pékin, celles de l'avenue Wangfujin notamment, la philosophie occidentale est représentée par 20 mètres de linéaire consacrés aux œuvres de Marx, Engels, Staline plus, désormais, un mètre de traductions de Nietzsche. Je n'ai pas voulu partir sans acquérir pour 15 yuans (1,50 euro) une traduction de "La Volonté de Puissance" mais je doute fort que l'interprétation chinoise de notre cher Fritz soit la bonne, c'est-à-dire l'interprétation d'un Nietzsche libéral, d'un Nietzsche déplorant, au bout du compte, dénonçant à l'avance et anticipant la montée du nihilisme européen. Comme tous ses non-lecteurs, comme tous ses faux-lecteurs et comme tous ses lecteurs superficiels, il y a fort à parier que le Nietzsche pris en considération par ses traducteurs chinois est seulement celui des étincelantes formules à l'emporte-pièce, celui des slogans provocateurs, ayant permis de lui construire une réputation usurpée de "fasciste". Pour comprendre ce que Nietzsche entend, et dénonce, dans la montée du nihilisme européen, il faut notamment avoir présent à l'esprit les sources de la pensée européenne. De ce point de vue il apparaît aujourd'hui encore que les Chinois, même lettrés, ne connaissent ni la démarche socratique et platonicienne ni l'empreinte du christianisme. Compte tenu de la qualité de l'interlocuteur, cela fera dans les temps à venir du dialogue eurochinois une aventure intellectuelle du plus haut intérêt.
(5) cf. Jacques Prévert "Dîner de têtes à Paris-France".
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