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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
LUNDI 31 JANVIER 2005
NOS DIRIGEANTS ONT-ILS LU LE PROJET DE CONSTITUTION ?
M. Barnier a été membre de la Commission européenne : est-il satisfaisant de le tenir seulement pour un sot ?
L'annonce du projet de transfert du Quai d'Orsay nous alerte de façon tant soit peu anecdotique.
Bien évidemment, dans une telle affaire, on scrutera les effets sur la ville de Paris, si souvent charcutée et malmenée depuis la fondation de la Cinquième république. On prendra en considération les riverains et les usagers de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul. On s'interrogera légitimement, aussi, sur la nature juridique de l'Assistance publique des Hôpitaux de Paris "APHP" : ses terrains appartiennent-ils à l'État ? Le gouvernement a-t-il le droit de disposer de la sorte des biens d'une telle structure un peu mystérieuse, apparemment destinée à la bienfaisance ? Le conseil d'administration de l'APHP n'avait-il pas validé, en 2002, le projet de création à Saint-Vincent-de-Paul d'un centre médico-social du handicap ? etc.
Mais l'affaire peut aussi s'envisager sous un autre angle : celui de la pertinence d'une telle opération, tendant à déployer un ministère parisien, voué au dépérissement dans le cadre européen.
Certes, rassurons certains de nos lecteurs, et désolons peut-être en même temps une partie non négligeable des Français. L'Europe n'a pas encore décidé de gommer les souverainetés diplomatiques. Le traité constitutionnel, en cours de ratification par les États-Membres, n'est nullement fondateur d'un système fédéral. Il en est encore seulement au stade de l'amorce d'une Confédération.
Mais, tout de même, l'un des points forts de ce texte, l'une de ses novations par rapport au traité négocié à Nice en décembre 2000, c'est l'apparition d'un Ministre des Affaires étrangères de l'Union. De plus, comme si cela n'allait pas de soi, une Déclaration précise figure dans les 80 pages d'annexes du document, et elle prévoit de doter ce ministre des moyens nécessaires à son action. Ceci entraînera donc l'existence d'une administration. À court terme, bien évidemment, cela veut dire aussi, amoindrissement des tâches du Foreign office britannique, des ministères correspondants italien, allemand, belge, etc. — et de notre bon vieux Quai d'Orsay.
Si, en revanche et provisoirement, le gouvernement de M. Raffarin éprouve le besoin d'étendre les bureaux du ministère des Affaires étrangères, il dispose d'une autre solution. S'il désire absolument opérer une extension du quai d'Orsay, il peut, et même il doit, le faire au détriment d'une autre administration. S'il ne procédait pas de la sorte, il démontrerait l'inanité de son récent propos prétendant diminuer la dépense publique. Nous lui suggérons donc, par exemple, de constater la vacuité du Commissariat général au Plan, créé en 1946 dans le contexte de la reconstruction d'après guerre, désormais entièrement inutile. L'hôtel de Martignac lui tend alors les bras et ses locaux seraient infiniment plus proches du célèbre quai… À vrai dire, le choix est vaste. Car si l'on devait faire la liste des bureaucraties hexagonales inutiles et contre-productives, on se trouverait en face du 8e des travaux d'Hercule !
Aussi s'en tiendra-t-on aux principes.
Ou bien on veut absolument démontrer le danger d'un Super État bruxellois, ou bien on adhère à l'idée, à l'échelle de l'Europe, d'une forme de gouvernement plus souple, moins coûteuse, moins prétentieuse, générant un tribut plus léger.
L'Europe des libertés correspond, bien évidemment au second terme de l'alternative. L'Europe super-étatique, personne n'en veut.
Il n'est donc pas anecdotique de s'arrêter à considérer l'identité du Ministre actuel des Affaires étrangères. M. Barnier, porteur du projet de déplacement, donc d'alourdissement du ministère franco-français, a été pendant plusieurs années, membre nommé par le gouvernement français de la Commission européenne.
Il serait trop commode, trop tentant peut-être, de dire simplement de lui : c'est un sot. Ne succombons pas à cette facilité. La pauvreté présomptible de sa capacité de jugement ne lui interdit aucunement de connaître l'existence, en Europe, d'un courant de transfert des souverainetés des États-Nations. Ce mouvement a été généralement assez remarquable depuis la signature du traité de Rome de 1957. Son application a aujourd'hui vocation à s'accélérer et à se porter dans le domaine diplomatique. Au XIXe siècle ainsi la France disposait d'une petite dizaine d'ambassadeurs. Aujourd'hui elle entretient une ambassade auprès des quelque 190 États souverains siégeant aux Nations Unies, plus un certain nombre auprès d'organisations internationales allant de l'OTAN à la FAO. Seules des structures comme Greenpeace ou Amnesty International n'ont pas (encore) cet honneur. Et cela peut se voir multiplié par 25 membres de l'Union européenne malgré la convergence supposée de leurs intérêts.
Ou bien on veut montrer aux Français à l'occasion de la campagne référendaire de printemps, le caractère de moindre État, et en même temps de meilleur État, résultant du projet européen, et alors il faut clairement souligner auprès des Français le gain d'efficacité attaché à la réduction des bureaucraties, ou bien on se prépare à saboter cette campagne, pour la plus grande joie de M. de Villiers et de son alliée du jour Mme Buffet (1).
Enfin nous sommes conduits à une autre hypothèse : nos dirigeants ont vaguement entendu parler d'un processus mystérieux, appelé construction européenne, ils ont participé à maintes réunions autour de ce thème, mais ils n'en consultent pas les documents. Ils acceptent en notre nom, mais ils signent sans regarder. Passer au crible, essayer de comprendre, ce serait trop fastidieux. Il n'existe même aucun courtisan dans l'entourage nos princes pour accomplir à leur place cette tâche ingrate.
Toutes les autres explications tombant les unes après les autres, la pertinence de cette dernière conjecture semble se voir démontrée simplement par l'absurde.
Or, si incroyable soit-elle, elle coïncide avec d'autres mystérieuses incohérences dans les propos les plus élevés dans la hiérarchie de l'État républicain, et en même temps les plus creux au sein de la classe politique.
Tout le monde a compris en effet l'effroi représenté, aux yeux de ces autorités publiques, par l'hypothèse d'une contamination du débat constitutionnel par la hantise de la négociation euroturque. Or tout lecteur effectif (2) du projet de Constitution, c’est-à-dire hélas moins de 0,5 % des électeurs, a l'occasion de repérer la contradiction existant entre ce texte et l'entrée de la Turquie. Et ce qui représente le plus fort barrage à la candidature d'Ankara, c'est-à-dire la Définition de l'Union et surtout la Charte des Droits fondamentaux, sont des novations. Certes à Nice on a fait de la Charte une déclaration commune, et la cour de Luxembourg a déjà commencé à s'y référer pour sa jurisprudence. Mais, si pompeuse et creuse soit cette Charte, elle prendra désormais un tour contraignant et elle posera, dès lors, à la Turquie un certain nombre de conditions très rigoureuses.
Bref, si nos dirigeants avaient vraiment lu le texte (3) proposé, par eux, à la ratification référendaire du suffrage universel, ils en tireraient argument pour dire à cette opinion populaire réputée turco-pessimiste ou turco-réticente, voire turco-allergique : c'est un barrage contre vos craintes, cela répond à vos objections, cela dissipe vos cauchemars.
Ils ne le font pas pour une raison simple : ils ne connaissent pas vraiment le dossier dont ils ont la responsabilité.
Ne serait-il pas raisonnable de les expulser des Palais nationaux et des débats européens avant toute nouvelle adhésion ? Cette question sacrilège ne manquera pas de venir à l'esprit de certains. Mais qui osera la poser ?
JG Malliarakis
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Apostilles
(1) La connivence avec un autre homme politique, dont le nom est évidemment présent à l'esprit de nos chers dirigeants, à vrai dire il hante leurs cauchemars depuis 20 ans, est franchement inimaginable s'agissant de M. Barnier.
(2) Rappelons ici une évidence. Il ne suffit pas de s'être porté acquéreur du texte ou de l'avoir chargé gratuitement sur la toile, pour l'avoir lu. Pour ma modeste part, cette lecture, morcelée par l'effet d'autres sollicitations, m'a pris plusieurs semaines. Je n'y ai pas pris beaucoup de plaisir.
(3) À défaut ils gagneraient à lire, au moins, l'Insolent. Ils peuvent, sur les points évoqués, se reporter à notre chronique du 20 décembre.
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