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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MERCREDI 2 FÉVRIER 2005

DIALECTIQUE ET RESSENTIMENT

Libres petites réflexions sur la réédition d'un grand livre

L'appel du ressentiment est très profond.

En nous résonne secrètement comme une balade irlandaise. Elle chante l'amour de la terre, et en même temps le désir de justice. De la manière dont nous harmonisons ces deux sentiments, dépend ce qu'il en est de notre rapport au monde.

Pour les uns, pour les hommes de tradition et d'identité, la beauté de ce que nous avons reçu nous amène à surpasser le compte des méchancetés humaines. Nous croyons à la justice, précisément parce que nous ne l'avons jamais rencontrée. Nous cherchons à dépasser les médiocrités croisées sur notre route. Nous nous employons à admirer les grands artistes, les vrais sages, les créateurs, les découvreurs, les constructeurs, et pourquoi pas nos chefs au quotidien.

Pour d'autres en revanche, la vie semble s'être montrée trop cruelle. Ils n'ont pas su le supporter. Ils en veulent à la Terre elle-même, et au soleil. La part objective de l'injustice compte moins que leur ressentiment.

Dire, d'emblée : les premiers sont à droite, les seconds sont à gauche, c'est évidemment très tentant. C'est du moins la tentation de l'homme de droite. Il ne faut pas y succomber trop vite ou trop systématiquement. D'abord parce qu'il n'est pas interdit d'être grincheux, aigri, méchant, lugubre pour soi-même, répressif à l'endroit des autres, et de se dire ou se croire de droite et même, pourquoi pas, chrétien. À l’inverse, la gauche politique peut parfaitement rallier des individus radieux, responsables, généreux, reconnaissants, créatifs et, surtout, tolérants. Même sur ces critères les plus traditionnels, on a précisément toujours vu ce type de chassé-croisé. Et, depuis les États Généraux de 1789, à l'ouverture desquels, les partisans du roi, la « fidèle noblesse » et le « fidèle clergé » se rangèrent à droite, ce que l'on a coutume en France, de tenir pour l'origine du partage, bien des choses se sont produites. Face à un phénomène comme la colonisation, sans même parler de la décolonisation, ce furent des hommes de gauche, tel Jules Ferry, qui proclamèrent le plus haut et le plus fort, le droit et le devoir de « civiliser les races inférieures » (1). Les vrais défenseurs des Indiens d'Amérique latine, dès le XVIe siècle, se recrutaient chez certains prêtres catholiques, les Jésuites au Paraguay et au Chili, etc.… De là à prétendre que la droite était « anticolonialiste » et que la gauche ou les voltairiens étaient « esclavagistes », puis leurs descendants radicaux « colonialistes » il n'y a qu'un pas : on aura soin, par honnêteté, de ne pas le franchir trop hardiment, encore qu'il soit facile de puiser, même dans Gobineau (surtout dans Gobineau) d'éclairantes citations (2).

Tout a changé, sur ce terrain précis, à partir de 1920.

Lénine dès 1913 avait certes annoncé, à sa manière, une politique de ce qui allait être la « révolution mondiale » dans un article intitulé « Asie avancée, Europe arriérée » que, pieusement, ses éditeurs de l'époque staliniennes ont inséré dans ses « Œuvres choisies ». Mais en 1913, le chef de la faction bolchevique, exilé en Europe occidentale n'était rien.

Au début de la révolution russe de 1917, ce qui allait devenir l'Internationale communiste pouvait encore paraître, et à certains égards elle était encore, du moins partiellement, une « force de paix et de progrès ». L'imposture n'était pas initialement dévoilée. N'oublions pas, d'ailleurs, que, jusqu'au bout, jusqu'à la fin de l'Union soviétique, de nombreux scientifiques, intellectuels, membres du clergé ou adeptes des temples de la Déesse Raison, se sont complu à sous-estimer la part d'obscurantisme de la bureaucratie dictatoriale de l'Est.

C'est le congrès de Bakou, des « peuples de l'Orient », qui change tout. Mettant en présence les agents du pouvoir soviétique naissant et quelques porte-parole de ce qui allait devenir le « Tiers-Monde », préfigurant la conférence de Bandoeng, il mériterait sans doute un peu plus que les quelques lignes anecdotiques qui lui sont habituellement consacrées dans les manuels d'Histoire bien pensants.

Par lui-même, le congrès de Bakou rassembla moins de forces, moins de délégués, ne parlons même pas de leurs mandants, que bien des conventicules tombés dans l'oubli. Mais il lança des mots d'ordre dont allaient se prévaloir, immédiatement, la Turquie et l'Inde, la Chine et l'Afrique du Nord, etc. Et ceci a duré pendant près de 40 ou 50 ans.

Il s'agissait alors, pour les bolcheviks, de dire : notre échec en Allemagne et en Europe centrale, dans le monde industriel, transfère la « révolution mondiale » de l'Occident capitaliste et démocratique vers l'Orient « féodal et médiéval ». Par rapport à la vulgate économique du marxisme, par rapport à tout le courant d'idées issu des Lumières, de l'encyclopédie, de la mythologie du progrès, il s'agissait d'un renversement total, d'un reniement et, aux jeux de certains d'une trahison.

Parmi les divers mérites d'un auteur comme Jules Monnerot, on peut et on doit reconnaître celui de souligner la logique profonde de ce retournement.

Il en montre les racines dans la partie philosophique de son œuvre majeure Sociologie du Communisme (3).

D'autres auteurs se sont appliqués à montrer les perversités fondamentales du « matérialisme dialectique ». Se sont particulièrement voués à cette démonstration, les théoriciens catholiques, en particulier à partir de Quadragesimo Anno, encyclique publiée par Pie XI en 1931.

N'oublions pas cependant que ce texte s'il dénonce le communisme comme « intrinsèquement pervers » ne s'attache pas à la méthode de Hegel encore moins, bien sûr aux fragments d'Héraclite. En cela ces analyses nous laissent sur notre fin.

Jules Monnerot souligne, d'abord, en effet, que la dialectique de Marx et de Engels est une régression par rapport à celle de Hegel. On peut même parler à cet égard de trahison de la Dialectique.

Or, il était fondamental et crucial de le comprendre à une époque où la pensée de Marx faisait figure d'un « horizon indépassable ». Cette notion même est contraire à la dialectique elle-même, contraire à l'héritage millénaire reçu depuis Héraclite. Plus encore, alors que Marx est présenté pour un penseur scientifique, sa version de la dialectique et sa prétention à la fin de l'histoire par la « société sans classe » objectif communiste par excellence, est en contradiction totale avec toute démarche scientifique.

Le fond du système marxiste, au bout du compte, ce n'est donc pas la pensée scientifique, le fond des Dialectique ce n'est pas le mode philosophique de Hegel, ce n'est pas la grande tradition reçue depuis Héraclite : c'est tout simplement, le cheminement secret, millénaire, quasi messianique, du Ressentiment, de la révolte intérieure inassouvie, et pour tout dire de la Haine.

À la lumière évidente de Nietzsche, nul ne l'a mieux démontré que Jules Monnerot.

JG Malliarakis

©L'Insolent

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Apostilles

(1) C'est l'expression, surprenante de nos jours, qu'employait Jules Ferry…

(2) Nul n'est moins « raciste », au sens moderne du mot, que l'auteur des Nouvelles Asiatiques et de l'Essai, que trop peu de gens ont lu.

(3) La réédition en cours de ce livre magistral consacre le tome II intitulé "Dialectique" à cette partie philosophique. Pour commander Sociologie du Communisme.

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