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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
LUNDI 28 FÉVRIER 2005
MALÉDICTION SUR BERCY
Ce ne sont plus les partis, ce sont les syndicats, les féodalités administratives et les médiats qui paralysent tout.
Depuis quelque 10 ans, en France, depuis le passage pendant 60 jours de la comète Madelin, le ministre de l'Économie et des Finances dispose d'un siège éjectable.
En moins de 10 ans, on en est avec M. Thierry Breton exactement au 9e titulaire. Ceci est sans équivalent à l'Étranger.
Si l'on compare Bercy à Matignon, on peut constater une durée 3 fois supérieure pour un Premier ministre. Fondateur du système actuel, le général De Gaulle décrivait pourtant de la sorte sa fonction : "il doit durer et endurer".
M. Juppé a usé 2 ministres en 2 ans, de 1995 à 1997 : M. Alain Madelin et M. Jean Arthuis.
M. Jospin, chef d'un gouvernement interminable, de 1997 à 2002, a usé 3 ministres en 5 ans : M. Dominique Strauss-Kahn, M. Christian Sauter, M. Laurent Fabius.
M. Raffarin a battu tous les records avec 4 ministres en 3 ans, depuis 2002 : M. Francis Mer, M. Nicolas Sarkozy, M. Hervé Gaymard, et maintenant M. Thierry Breton.
Avec des nuances, liées à leur personnalité, leur diplomatie et leurs idées respectives, aucun de ces personnages ne semble avoir gardé vraiment un bon souvenir de son administration. Deux de ces ministres ont décrit dans un livre leur expérience ministérielle. M. Francis Mer accuse "les politiques" de bloquer les réformes dont la France aurait besoin. C'est sympathique, c'est sincère, ce n'est pas faux, mais c'est un peu court. M. Jean Arthuis, dans un ouvrage un peu plus subtil, montre, hélas rétrospectivement, les limites de la capacité réformatrice de la fonction gouvernementale elle-même, engluée en fait dans les méandres de la féodalité administrative. On se souvient en particulier des difficultés rencontrées par son prédécesseur Madelin, pour la composition de son propre cabinet.
Au centre de la citadelle Bercy, trône l'inspection des Finances. Ce corps s'est révélé indéboulonnable depuis des décennies malgré les diverses tentatives de liquidation.
Rappelons, par exemple, l'intention sous-jacente, en 1944, à la création de l'ENA : la Résistance prétendait en finir avec la toute-puissance des inspecteurs des Finances identifiée, à tort ou à raison, à la fameuse Synarchie vichyssoise. Pour décloisonner le bastion, on imagina, alors, de mettre en place un concours unique de la haute fonction publique. On a vu le résultat !
En fait, depuis les années 1920, on avait assisté, dans tous les pays européens où les systèmes fascistes n'avaient pas imposé leur emprise, à la montée en puissance du Ministère des Finances. Cette dictature des trésoriers était supposée de nature à enrayer la montée des démagogues antiparlementaires. On a un peu oublié aujourd'hui le modèle de cette prise de pouvoir. C'était "le Portugal de Salazar", longtemps vanté sur le mode dithyrambique. On tint pendant de nombreuses années ce régime pour une sorte de réussite économique et monétaire. Avant d'être stigmatisé, de manière d'ailleurs tout à fait excessive, comme une affreuse oppression (1), le gouvernement de Lisbonne recevait les louanges politiquement les plus correctes (par exemple celles d'un Émile Schreiber, fondateur des Échos, auteur d'un livre à la gloire du Docteur Salazar) le Portugal était dans l'OTAN alors que l'Espagne n'y était pas admise, etc. Et, cependant, les Portugais avaient commencé à chercher fortune à l'Étranger, comme le font depuis quelques années nos compatriotes.
Au-delà de ces expériences, financièrement considérées comme "orthodoxes", le rôle de principal ministre du titulaire des Finances s'est développé en occident après la seconde guerre mondiale ; et, en France, est apparue l'appellation, illégitime mais significative, de "Ministre de l'Économie et des Finances".
L'idée maîtresse était de soumettre tout projet politique à la considération de son incidence budgétaire. On retrouve cette préoccupation dans l'article 40 de la Constitution de 1958, interdisant toute proposition de Loi qui ne serait pas "financée".
Or, si ce ministère est devenu tentaculaire, s'il a, directement, la main sur certains autres départements ministériels (2), s'il exerce une fonction d'arbitrage permanent sur tous les autres, à commencer bien évidemment par la sécurité sociale, dont TOUTES les réformes sont décidées par "Bercy", sa fragilité devient non seulement un paradoxe mais un danger.
Or, il y a désormais fragilité manifeste et excessive.
Aux yeux de l'opinion, le départ de M. Gaymard laisse largement un malaise : ainsi le journal du Dimanche du 27 février publiait un sondage (3). Celui-ci établit que certes 66 % des Français trouvent l'affaire "plutôt choquante" (elle l'est), 59 % la trouvent "exagérée par les médiats" et 51 % "secondaire ou mineure". Si on compare ces pourcentages aux cotes respectives du chef de l'État et du chef du gouvernement, on est bien en face d'une crise de communication et d'une fragilité spécifique à ce ministère-là.
Si l'on veut bien comparer par ailleurs la longévité de nos ministres de finances depuis 10 ans à celles des gouvernements de la IVe république de 1946 à 1958 ou du système italien avant 1992, on est en droit de se poser des questions sur le régime lui-même.
Le quotidien de la pensée unique Le Monde (4) souligne bizarrement, par deux fois, les opinions philosophiques prêtées au nouveau ministre M. Thierry Breton, le présentant comme "catholique", puis comme "se défendant d'être franc-maçon". Or, a priori, une telle question n'a rien à voir avec sa nouvelle responsabilité. Est-ce à nous suggérer d'autres raisons pour la focalisation contre M. Gaymard, dont l'appartement, assurément maladroit, n'aurait été qu'un prétexte ? Nous n'en croyons rien et, d'ailleurs, on ne devrait même pas lire un torchon trotskiste comme Le Monde. Au moins M. Breton, acceptant de diminuer sa rémunération de 85 % part avec un crédit de désintéressement (5).
Plus significatif serait l'examen du rôle passé de M. Breton, dont le suffrage universel n'a jamais entendu parler.
À la présidence de France Telecom, il aura été, dans divers dossiers, un assez bon défenseur de la reconversion hypocrite des privilèges menacés du monopoleur historique.
Sera-t-il, à Bercy, le défenseur du bastion de l'Inspection des Finances, ou au contraire son liquidateur ? Nous aimerions pouvoir rêver fût-ce d'une infime probabilité de cette seconde hypothèse. Nous avons cependant du mal à nous la représenter.
La malédiction de notre système de gouvernement est d'être aujourd'hui dépendant, non des remous d'une assemblée parlementaire comme sous la IVe république, mais des blocages d'appareils syndicaux représentatifs des fonctionnaires. Ce ne sont plus les partis, ce sont les syndicats et les médiats qui paralysent tout.
Il y a une malédiction de "Bercy" : le capitaine pourrait n'être qu'un fantôme, le bateau ivre poursuivrait sa route inexorablement attaché à la ruine lente de la France, à la paupérisation égalitariste des Français et aux privilèges hypocrites d'une arrogante fonction publique.
JG Malliarakis
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