Cocorico ! Une fois de plus les officiels français, assistés de leurs relais médiatiques, sont unanimes. Ils ont gagné ! Ils sont les champions ! Pour complaire aux bureaucraties syndicales françaises (cf. l'Insolent du 23 juin 2004), on avait dès 2000, renoncé aux racines d'aujourd'hui, on accepte de réécrire la Directive Bolkestein et le Pacte de stabilité.
On voudrait que nous pensions à l'unisson : "quel as ce Chirac" !
Si on s’en tient, pourtant, à la logique du Traité signé à Maastricht en 1991, la mise en place de l’euro correspondait à un objectif politique. Et elle supposait un certain nombre de conditions.
L’Union monétaire devait précéder, dans l’esprit de ses promoteurs, l’Union politique.
Deux stratégies, à peine camouflées, présidaient à cette démarche plutôt exceptionnelle dans l’histoire. Traditionnellement en effet, la monnaie repose sur l’existence d’une puissance, généralement (mais pas toujours) politique. On a confiance dans l’effigie du prince ou dans la solvabilité d’un réseau commercial ou financier. Cette confiance se partage difficilement, sauf à perdre sa valeur en la divisant.
Helmut Kohl venait de réaliser l’unification politique de l’Allemagne en utilisant considérablement le ressort monétaire. 1 Mark de l’Est valait 1 Mark de l’Ouest. Inouï. Super-efficace : tellement d’ailleurs que 15 ans plus tard le choc n’a toujours pas été submergé. En comparant les effets économiques actuels d'un tel triomphe à la défaite subie 1945 et à la situation florissante de 1960, on se demande d'ailleurs si toutes les réussites politiques méritent vraiment un tel coup de poker. Patience ! Encore 15 ans de stagnation et tout ira bien !
En 1991, il ne pouvait être question de remettre en cause le succès de l'unification allemande. On comprend très bien la tentation d'alors, celle de réaliser à l’échelle de l’Europe la même opération, en se servant du pacifique levier de la monnaie. En payant en une seule monnaie, elle-même fondée sur la confiance méritée par le deutsche mark, celui de l’Ouest tout au moins, les consommateurs européens allaient devenir citoyens.
Cette démarche
explique en partie le changement d’appellation
de « l’écu ». C'était l'acronyme anglais de
l’unité de compte européenne. Cela devint l'« euro »,
terme imposé par le gouvernement de Bonn.
Pour cela, il fallait ni plus ni moins assurer à l’euro une confiance égale à celle
du mark allemand et du florin néerlandais. Pour cela ont été mis
en place les fameux critères. Seraient éligibles seulement les
pays pratiquant un minimum de sérieux monétaire. Dans un premier
temps on parla de 3 % de déficit et d’inflation, de 60 %
d’endettement.
On avait en vue de tendre progressivement à un ordre monétaire
beaucoup plus strict : 1 % de déficit maximum, pas plus
de 2 % de dérive
monétaire, etc. Certains pays comme l’Espagne ou la Finlande sont
allés encore plus loin.
Or, à partir de 2001, l’offre de dollar dans le monde est devenue excessive. De plus l'ampleur des déficits du budget américain et des échanges commerciaux des États-Unis ont contribué à détériorer aussi l’image du dollar. Dans ce contexte, l’euro est devenu mécaniquement une monnaie trop forte. Là aussi, selon les économies et les mentalités, ce phénomène est diversement apprécié. L’industrie allemande a toujours su exporter dans un contexte monétaire fort. Au contraire les États-Unis ne se sont jamais préoccupés du cours plus ou moins élevé du dollar, etc. En Fronce et en Italie, enfin, on a toujours oscillé entre deux excès, le "franc fort" de Trichet comme la "quota nonanta" de Mussolini, d'un côté s'accrochant inutilement par hantise de la dévaluation, de l'autre.
Reste qu’on peut soupçonner les responsables (sérieux) de l’Union européenne d’accepter, pour cette raison, un assouplissement des critères de convergence et d’observer les réserves apportées.
1° Cet assouplissement serait provisoire. Sur un délai de 4 ou 5 ans on peut en effet envisager une situation de parité euro/dollar. Alors on cherchera à rétablir, peut-être même à renforcer le pacte.
2° Cet assouplissement assorti de clauses fourre-tout tant soit peu fantaisistes (dépenses « exceptionnelles » comme celles de la réunification allemande, qui traîne depuis 15 ans, mais aussi « opérations extérieures », etc.) permettrait un crible arbitraire.
3° Enfin,
il est intéressant de s’attarder au volet « retraites ».
Les pays faisant un effort de passage de la répartition à la
capitalisation seraient encouragés. Il est couramment objecté à une
telle réforme la période de transition génératrice
de déficits (moins élevés qu’on le croit : les
exemples chiliens et néo-zélandais le prouvent).
Mais précisément ce 3e point se situe en contradiction totale avec la politique du gouvernement français. La Loi Fillon de 2003 avait pour but de sauvegarder la répartition, certainement pas de permettre une évolution véritable vers la capitalisation.
Dernier point, et il est capital. Avec l'Euro, le déficit entraîne obligatoirement un nouvel endettement des États déficitaires. Ceci implique l'émission sur les marchés financiers de titres du Trésor public. De la sorte, cet investissement absurde dans le déficit de l'État se réalise au détriment de l'investissement productif des Entreprises.
Autrement dit les technocrates français n'agissent pas seulement contre la prospérité de leur pays.
Ils sont, aussi, en train de faire une fois de plus un marché de dupes.
Ils croient avoir acquis le droit de s’asseoir de plus en plus sur les règles de rigueur budgétaire. En fait, tout aboutira à terme à renforcer considérablement le pouvoir de la Commission européenne. Les États surendettés en seront les jouets.
Nous ne devons pas chercher à faire semblant de pleurer sur une « souveraineté monétaire », perdue depuis plus de 20 ans, et de toute manière plutôt néfaste. Nous ne devons pas non plus surestimer artificiellement la valeur des avis de la Commission ou de la Banque Centrale Européenne présidée par M. Trichet.
Nous devons regarder froidement la logique de la chute des corps. Et nous ne devons pas confondre la citadelle de Bercy et le peuple de France, pas plus que les immeubles de Bruxelles ne sont l’âme de l’Europe.
Une des grandes questions des années à venir sera en effet non pas nécessairement « l’inflation », mais le différentiel existant entre les prix administratifs et les prix libres. Les tarifs publics monopolistes coûteront de plus en plus cher, du timbre-poste au kilomètre en chemin de fer. À l’inverse, les prix payés aux professionnels seront, eux, soumis à une rude concurrence. Deux cultures s’affronteront donc de plus en plus. La France, où 28 % de l’emploi est plus ou moins public, où des millions de gens travaillent sous subventions, et où des centaines de milliers d'autres sont subventionnés pour ne pas travailler, possède la culture monopoliste la plus forte d’Europe.
Il y aura donc aussi, de plus en plus, une lutte d'influence, entre les pays cette fois.
La majorité des Européens ont opté résolument pour l’économie de liberté. C’est le sens de la « stratégie de Lisbonne » et c’est clairement le choix de M. Barroso.
Les autres s’attarderont encore quelques années dans la coûteuse prétention de sauvegarder leur « modèle ».
Ce modèle est essentiellement responsable du chômage en France, particulièrement dans les banlieues et dans les Länder de l'est en Allemagne. Il est donc paradoxal et transitoire de voir les deux gros États représentatifs de ces deux malheureux pays, s'accrochant, contre les autres, mais aussi contre l'intérêt de leurs propres peuples, à la perpétuation de leurs propres plaies.