En décembre 1978, M. Jacques Chirac, alors maire de Paris et président du RPR adressait un Appel aux Français depuis l'hôpital Cochin. Il était alors traité pour un accident purement corporel. L'hôpital Sainte-Anne est certes situé à quelques pas mais son service psychiatrique ne saurait en aucun cas être confondu avec Cochin.
Ce texte va être imprimé à 30 millions d'exemplaires et particulièrement il sera diffusé à ses interlocuteurs du 7 avril, dont aucun n'était encore né en 1978.
Voici le texte de Chirac Cochin. Nous le livrons en avant première aux lecteurs de l'Insolent pour aider à la campagne du président.
Il est des heures graves dans l'Histoire d'un peuple, où sa sauvegarde tient toute dans sa capacité de discerner les menaces qu'on lui cache. L'Europe que nous attendions et désirions, dans laquelle pourrait s'épanouir une France digne et forte, cette Europe, nous savons depuis hier qu'on ne veut pas la faire. Tout nous conduit à penser que, derrière le masque des mots et le jargon des technocrates, on prépare l'inféodation de la France, on consent à l'idée de son abaissement.
En ce qui nous concerne, nous devons dire NON.
En clair, de quoi s'agit-il ? Les faits sont simples, même si certains ont cru gagner à les obscurcir. Une Europe fédérale ne manquerait pas d'être dominée par les intérêts américains. C'est dire que les votes de majorité, au sein des institutions européennes, en paralysant la volonté de la France, ne serviront ni les intérêts français, bien entendu, ni les intérêts européens. En d'autres termes, les votes des 81 représentants français pèseront bien peu à l'encontre des 329 représentants de pays eux-mêmes excessivement sensibles aux influences d'outre-Atlantique. Telle est bien la menace dont l'opinion publique doit être consciente. Il est de fait que cette Communauté — en dehors d'une politique agricole d'ailleurs menacée — tend à n'être, aujourd'hui, guère plus qu'une zone de libre-échange favorable peut-être aux intérêts étrangers les plus puissants, mais qui voue au démantèlement des pans entiers de notre industrie laissée sans protection contre des concurrences inégales, sauvages, ou qui se gardent de nous accorder la réciprocité. On ne saurait demander aux Français de souscrire ainsi à leur asservissement économique, au marasme et au chômage. Dans la mesure où la politique économique propre au gouvernement français contribue pour sa part aux mêmes résultats, on ne saurait davantage lui obtenir l'approbation sous le couvert d'un vote relatif à l'Europe. La politique européenne du gouvernement ne peut, en aucun cas, dispenser la France d'une politique étrangère qui lui soit propre. L'Europe ne peut servir à camoufler l'effacement d'une France qui n'aurait plus sur le plan mondial ni autorité, ni idée, ni message, ni visage. Nous récusons une politique étrangère qui cesse de répondre à la vocation d'une grande puissance, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations-Unies et investie de ce fait de responsabilités particulières dans l'ordre international.
C'est pourquoi nous disons NON.
NON à la politique de supranationalité.
NON à l'asservissement économique.
NON à l'effacement international de la France.
Favorables à l'organisation européenne, oui, nous le sommes pleinement. Nous voulons, autant que d'autres, que se fasse l'Europe. Mais une Europe européenne où la France conduise son destin de grande nation. Nous disons non à une France vassale dans un empire de marchands, non à une France qui démissionne aujourd'hui pour s'effacer demain. Puisqu'il s'agit de la France, de son indépendance et de son avenir, puisqu'il s'agit de l'Europe, de sa cohésion et de sa volonté, nous ne transigerons pas. Nous lutterons de toutes nos forces pour qu'après tant de sacrifices, tant d'épreuves et tant d'exemples, notre génération ne signe pas, dans l'ignorance, le déclin de la Patrie.
Comme toujours quand il s'agit de l'abaissement de la France, le parti de l'étranger est à l'œuvre avec sa voix paisible et rassurante. Français, ne l'écoutez pas. C'est l'engourdissement qui précède la paix de la mort.
Mais comme toujours quand il s'agit de l'honneur de la France, partout des hommes vont se lever pour combattre les partisans du renoncement et les auxiliaires de la décadence. Avec gravité et résolution, je vous appelle dans un grand rassemblement de l'espérance, à un nouveau combat, celui pour la France de toujours dans l'Europe de demain.
Comme, par ailleurs, l'adhésion de M. Sarkozy au RPR est contemporaine de l'appel de Cochin, comme M. Sarkozy a réaffirmé (1) que l'UMP n'était que la continuation de la "famille" UNR-UDVe, UDR, RPR, tout le monde a bien compris le caractère européen du message de M. Chirac et de l'UMP. Rien n'est plus clair !
Non, on ne pourra pas dire que la victoire (éventuelle) du Non serait une défaite du président, de son gouvernement et de sa majorité.
Et, contrairement aux apparences, il n'y a aucune coïncidence entre la date de ce bulletin et son caractère un peu exceptionnel.
(1) 31mars Émission 100 minutes pour convaincre.