Les lecteurs de l'Insolent sont adultes. Ils assistent, en général, comme tout le monde, aux manifestations mondialisées. Ils n'ont pas besoin de mots d'ordre.
Mais comment ne pas partager l'émotion d'aujourd'hui, autour de Jean-Paul II ? Ce sentiment est sincère s'agissant des masses chrétiennes, et pas seulement chrétiennes. Il est probablement parfois un peu plus conventionnel chez les grands de ce monde et dans les médiats. N'est-ce pas la règle, en présence d'un saint homme d'une telle stature ?
On a quand même honte pour la France quand on entend parler d'une "polémique née en France sur la frontière entre hommage au pape et laïcité". Voici en effet ce qu'il en est, et je suis obligé de citer ici notre agence d'État l'AFP (5 avril) :
Une polémique est née en France sur la frontière entre neutralité laïque de l'État et hommage rendu par ses plus hautes autorités au pape défunt Jean-Paul II, notamment avec la mise en berne des drapeaux sur les édifices publics.
À gauche, des élus, sentinelles d'une laïcité sourcilleuse, ont dénoncé la mise en berne des drapeaux en l'honneur d'un chef religieux. Ils se sont également émus que les préfets soient invités par le ministre de l'Intérieur aux messes organisées dans leurs départements en mémoire de Jean Paul II. Plusieurs associations et syndicats ont également exprimé leurs réserves.
Les drapeaux en berne et les visites de condoléances des préfets aux évêques font partie des "usages républicains" après le mort d'un Pape, assure un communiqué du ministère de l'Intérieur, diffusé lundi soir. "À l'occasion du décès d'un souverain pontife, les usages républicains prévoient la mise en berne de l'emblème national afin d'honorer la personne d'un chef d'État décédée dans l'exercice de ses fonctions s'agissant d'un pays proche de la France", fait valoir le ministère. Il ajoute, au titre de ces "usages républicains", "l'autorisation pour les préfets d'effectuer une visite de condoléances aux évêques et à se rendre à l'invitation éventuelle de ces derniers au service funèbre organisé à la mémoire du souverain pontife dans leur département".
Le Vert Christophe Girard, adjoint au maire de Paris, avait ouvert la brèche dimanche, en se disant "troublé" par "l'utilisation du symbole national" au risque "d'aiguiser les appétits des communautaristes". Yves Contassot, autre adjoint Vert du maire de Paris, a jugé "complètement déplacée" la mise en berne des drapeaux.
Le sénateur socialiste Jean-Luc Mélenchon a renchéri en appelant "les autorités de l'État" à faire preuve d'une "laïcité absolument sans ombre, sans demi-teinte".
Le député de Saône-et-Loire Arnaud Montebourg (PS) a pour sa part invité les maires "à ne pas se soumettre" à l'injonction officielle, tandis que Michel Charasse, sénateur PS de Puy-de-Dôme, a jugé nécessaire de "clarifier" les règles de mise en berne, car la pratique actuelle relève, selon lui, du "pagailleux".
Le président de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains (FNESR) Claudy Lebreton, a demandé "à son réseau d'élus" de "veiller au respect de la laïcité républicaine", sans pour autant leur recommander de ne pas suivre la consigne gouvernementale.
La FSU, première fédération de l'enseignement public, et la deuxième, l'Unsa-Education, se sont élevées contre la mise en berne des drapeaux aux établissements scolaires. "Alors qu'il y a un an à peine était promulguée une loi sur les signes religieux à l'école, de telles pratiques conduisent à donner le signe que les principes de laïcité peuvent être à géométrie variable", a déclaré la FSU.
Outre les drapeaux, l'Union des familles laïques (UFAL) a protesté contre le fait que, selon elle, la chaîne de télévision publique France 2 soit devenue "un outil de propagande" du pape Jean Paul II. Le président de la Ligue des droits de l'Homme, Michel Tubiana, a jugé la mise en berne "excessive" et "déplacée".
Manifestement donc, nous n'avons pas su, en France, prendre la mesure des images positives de notre temps. Nous refusons de recevoir les messages des créateurs d'avenir, et notamment de tous ceux qui ont combattu, en Europe, contre le communisme, pour l'espérance et la liberté. Qu'il s'agisse de Vaclav Havel, de Lech Walesa, de Sœur Teresa ou d'Alexandre Soljenitsyne, nos intellocrates, nos énarques et nos maîtres ont-ils compris quelque chose de leur importance ? Ont-ils la moindre idée de ce que représente la Nouvelle Europe ?
Il serait à peine convenable, au moment où les chrétiens du monde entier, et la plupart des hommes de cœur, éprouvent une si grande tristesse devant la disparition de Jean-Paul II de s’indigner du concert de certaines louanges hypocrites. Il serait encore plus naïf de s’en étonner. Et puis l’hypocrisie est tout de même un hommage du vice à la vertu.
À peine dois-je non pas dire, mais redire, la part effectivement admirable de son œuvre.
On doit évidemment dénoncer, d’abord, l’impudente récupération opérée par une certaine extrême gauche mondiale, Fidel Castro en tête comme il se doit, tirant à eux un prétendu « croisé de la lutte contre le néolibéralisme », le pire ennemi du peuple cubain, persécuteur du christianisme dans son propre pays a fait l’objet d’avertissements moraux très explicites du pape Jean-Paul II comme du roi d’Espagne Juan Carlos. C’est donc une scandaleuse moquerie de s’en réclamer aujourd’hui et de proclamer un deuil officiel. Je préfère à tout prendre la (demie) franchise de L’Humanité.
On est bien aise d’apprendre aussi, du communiqué officiel émanant de la présidence de la république, l’identité des « valeurs » de la France et de l’Église catholique. M. Hervé Gaymard a dû en éprouver une (petite) consolation et, plus agréable encore, le grand maître du Grand Orient l’illustrissime Brandmeyer a dû ressentir, dans son échoppe de la rue Cadet un réjouissant coup de sang. C'est peut-être cela qui explique les réactions, très franchement intempestives, pour ne pas dires : très sottes, de ses confrères.
Je n’ai pas le cœur à ironiser non plus sur tous ces commentaires un peu poussifs et circonstanciels. Peu de gens, même les plus ardents catholiques, peuvent se vanter d’avoir lu l’intégralité de l’œuvre de ce pape. Impossible par conséquent, sauf à étendre au-delà de son domaine le dogme romain de l’infaillibilité, de se réclamer de l’intégralité de ses encycliques, lettres apostoliques, livres, poèmes ou discours.
Certes, le peu que j’en ai effectivement lu était infiniment supérieur aux commentaires de ses opportunistes laudateurs. Et, le sachant de source sûre au Paradis de la vision béatifique, je me permets de sourire à un souvenir personnel. Un jésuite ami m’avait fortement conseillé de lire son encyclique Ut unum sint de 1995 où il redéfinissait la conception catholique de l’œcuménisme chrétien. Cette encyclique, elle-même suivie à la même date, d’une non moins importante lettre apostolique Orientale lumen, convenait largement à mes préoccupations, celles d’un christianisme indivis, reposant sur les « Deux poumons du christianisme ». Ceci confirme le sentiment éprouvé en 1978 : « enfin un Pape européen ». Lecture faite, je m’en fus remercier mon amical conseiller. « Ah ! me répondit-il, je ne l’avais pas lu ».
Je retiens donc trois images de ce saint homme déjà canonisé par les peuples de son diocèse mondial.
1° L'image blanche et pure de l'Homme allant courageusement au-devant de l'espérance humaine, au service de la culture de vie. 400 millions de gens sont, eux aussi, allés à sa rencontre. C'est probablement un chiffre inégalé dans l'Histoire. Et pour ma part, je sais que n'oublierai jamais le rassemblement de Reims en 1996 !
2° L'image du grand Européen pour qui l'Europe a d'abord besoin d'une âme :
« Il est primordial d'appeler à la reconnaissance de l'âme de l'Europe. Depuis plusieurs mois au sein des institutions européennes, nous assistons à une intensification des attaques antireligieuses, diffusant une image caricaturale de la spiritualité et une conception militante et exclusive de la laïcité. Ces attaques visent à disqualifier notre héritage religieux pour mieux fonder la Constitution européenne sur une conception matérialiste, relativiste et athée de la société. On ne peut pas oublier que c'est la négation de Dieu et de ses commandements qui ont créé au siècle passé la tyrannie des idoles exprimée dans la glorification d'une race, d'une classe, d'un parti, de l'État ou de la nation. »
Voila ce que disait Jean-Paul II, le 16 décembre 2002.
3° L'héritage de ce philosophe (oui Jean-Paul II est un grand philosophe) croyant en la Vérité, ceci ayant la plus grande importance dans les sciences sociales.
Je reconnais à mon tour n’avoir pas encore eu le temps de prendre connaissance de son dernier ouvrage : « Mémoire et identité ». [Je me propose de l’acquérir très bientôt auprès d’un de mes libraires préférés…]. À l’instant donc je commenterais seulement une rumeur. Le livre, prolongeant d’autres réflexions, émane d’un grand Européen, préoccupé comme nous devrions tous l’être d’un affadissement de la culture, d’une perte de sens et d’un effacement de l’identité en Europe. Sans doute est-ce un élément décisif dans la nécessaire réflexion sur les destinées de notre continent. Cette question d’ailleurs ne se réduit pas au « débat » franco-français actuel sur la ratification du Traité constitutionnel. Ou alors il faudra comptabiliser la part des lecteurs français découragés d’autoriser la ratification d’un texte ayant volontairement et explicitement retranché toute référence à l’identité chrétienne de l’Europe. Amalgamer de telles voix à celles des jacobins turcophiles et au parti communiste est un produit de l’alchimie chiraquienne et de la stupide procédure référendaire adoptée par l’État central parisien.
Il serait cependant malhonnête de se prétendre intégralement le disciple de cet auteur philosophique et politique. Car Jean-Paul II ou Karol Wojtyla, c’est aussi un écrivain prolixe dont il est difficile de prétendre approuver toutes les idées, je pense à certaines prises de positions généreuses en faveur du Tiers-monde, dans la mesure où, l’intention étant admirable, l’effet serait assurément contre-productif, s’agissant par exemple de « l’annulation de la dette des pays pauvres ». Sans doute eût-il été plus profitable de demeurer dans l’énoncé de principes plus incontestables. Dois-je également l’avouer ? Il me semble, face au mot d’ordre un peu trop systématiquement diffusé de la « repentance » collective, préférer la situer sur un terrain personnel, impliquant nos responsabilités individuelles, et un peu moins dans le cadre global un peu trop formel et rituel, et pour tout dire : pas toujours convaincant. S’il m’arrive d’être assailli, pour citer un seul exemple, de mauvaises pensées (1) à l’endroit de telle ou telle catégorie de personnes, ce n’est certainement pas un discours global de M. Chirac qui m’en guérira, prétendant faussement parler « au nom de tous les Français ». Il en irait de même si, d’aventure, je commettais l’adultère dans mon cœur ou dans mon regard : à quoi me servirait une chanson de Johnny Halliday sur « l’amür » ? (2) On doit comprendre la démarche de repentance du Pape en son nom personnel ; je la comprends moins, je le reconnais, pour des fautes où il n'a aucune part, et moi non plus.
Me voilà ainsi beaucoup plus libre pour approuver précisément les déclarations ordinairement les plus controversées de Jean-Paul II. Très explicitement, je pense ici à son voyage en Ouganda de 1993. Si les Africains avaient suivi ses conseils, « la » maladie se propagerait moins en Afrique. Personne ne peut le contester, surtout pas les adeptes du principe de précaution.
Visiblement, les bonnes âmes pardonnent difficilement à Jean-Paul II d’avoir été un accélérateur de l’effondrement interne du communisme et du bloc soviétique et d’avoir, en cela, contribué si puissamment à la libération de l’Europe centrale et orientale.
L’hystérie satanique révolutionnaire, reprend sa marche arrogante. Elle tente à nouveau de détruire, de diviser et de salir tous les défenseurs de l’Europe. Elle s'en prend toujours à tous les représentants de son identité chrétienne. La voici à l'œuvre dans son refus jaloux de regarder en face la gloire et la beauté des images positives de notre temps. Je regrette de voir la France en bonne place dans ce méphitique, et pitoyable, refus.
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2.6 L'Utopie collectiviste faussement chrétienne
(1) En grec : « logismoi ». Ce concept est essentiel pour comprendre la divergence entre l'approche morale de l'Augustinisme et celle de l'Orient chrétien.
(2) « Quiconque lève les yeux sur une femme qui n’est pas la sienne, commet l’adultère » : cette remarque, plutôt humoristique, de Jésus devrait être comprise dans son sens véritable, celui d’une critique des « scribes et pharisiens hypocrites ».