Résumons les épisodes précédents. Le débat référendaire, sur la ratification du Traité constitutionnel, se développe autour de plusieurs questions. Plus il avance, plus les sujets s’enchevêtrent.
Bientôt, si ce n'est déjà fait, on mêlera l’Europe aux détériorations du climat. Nous allons les découvrir certainement imputables à la déréglementation, au déclin du service public de Météorologie « nationale », à l’effet de serre et autres méfaits de la « mondialisation libérale ».
Bref, comme dans les albums de Sempé, on passe du « Rien n’est simple » à « Tout se complique ».
Faut-il peser les inconvénients respectifs du Oui et du Non ? Faut-il mesurer les îlots de mérite de ce texte kilométrique en fonction de l’océan d’incompréhension ? Et, au fait, quels sont les poids et mesures à l’aune desquels nous entreprendrons nos évaluations ?
On devrait, et on pourrait, mesurer et peser en fonction de la France. Si cela n’était décidément plus possible, inutile même d’aller voter.
« Nulle conception de la France, écrivait Maurice Barrès, ne saurait prévaloir contre la France de chair et d’os ». Or, le pays réél, et tout particulièrement sa jeunesse a besoin de l’espace européen.Faut-il cependant lier le principe même de l’Europe au texte accidentel proposé ? C’est aussi tout le débat sur l’opportunité de cette ratification référendaire.
Beaucoup de Français vont mettre dans l’urne un non de mécontentement, un non de rejet de la classe politique hexagonale, un non transférant sur l’Europe des raisons de rouspétances en bonne logique franco-française.
À l’inverse, les arguments en faveur du « oui » entendant lier le destin même de l’idée européenne à un projet fort mitigé, fort respectueux pour l’Europe des États. J’ai entendu un partisan du Oui affirmer l’analyse selon laquelle un article éclairerait désormais tout le dispositif juridique : le droit de l’Union prime le droit des États Membres. Mais une analyse de toute la jurisprudence de la Cour Européenne de Luxembourg et également de celle du Conseil d’État de paris dit déjà, depuis des années, la même chose. Et cependant ni nos médiats ni nos dirigeants ne parlent comme s’ils avaient compris les conséquences inéluctables du Traité de Rome de 1957, de l’Acte Unique de 1985, etc.
Pour ma part, j’ai cru voir en 1979, d’un point de vue dynamique, et non strictement juridique, je le concède, avec la décision, évidemment prématurée, d’élire le parlement européen au suffrage universel, combien la supranationalité devenait incontournable et sans retour (1).
À partir de cette date tout allait se mettre en place comme s’il existait un peuple européen, et non pas une pluralité de nations incorporant des populations certes affines mais non exemptes de diversités : un Suédois ce n’est pas un Grec, etc. La conception abstraite de la citoyenneté européenne en découle inéluctablement.
L’un des dossiers les mieux charpentés démontrant la logique de la Constitution Européenne est celui du livre de Georges Berthu (2). C’est une analyse et une critique, systématique, article par article, du texte soumis à référendum. Son argument central, et récurrent, consiste à reprocher à la construction européenne d’avancer subrepticement et de faire fi des démocraties nationales.
À l’examen des premiers articles, le livre de Berthu a quelque chose de convaincant. D’accord, le « peuple européen » n’existe pas. D’accord, cette « démocratie » est fictive.
Mais au fil des pages on se prend à envisager une autre question : Que vaut, au juste, notre « démocratie nationale » ? Que serait, que donnerait, une démarche européenne claire et franche ? Le remède ne serait-il pas pire que le mal ?
Si l’on veut bien réfléchir honnêtement à toutes ces questions on doit admettre l’impossibilité de réponses péremptoires, et surtout univoque. Il est grotesque de nous dire, il est impensable de nous ordonner : répondez par oui ou par non, cochez les mentions inutiles et pas de bavardages dans les rangs.
La hantise de certains souverainistes, et des libéraux favorables au non, est celle d’un Super-État.
Ils doivent être rassurés car non seulement le système bruxellois absorbe 1,8 % du PNB mais à la vérité le Super-État existe déjà : je l’ai rencontré dans l’Hexagone où le petit monstre tétine vigoureusement, à ce jour, 55 % de la substance française. En tout état de cause, jamais l’Europe ne pourra faire « mieux ». C'est chose arithmétiquement impossible, même pour le pire des fiscalistes.Je le dis donc en toute sincérité : les arguments du Oui, comme les arguments du Non, peuvent se révéler recevables.
On trouvera en lien 6 bons textes repérés par votre serviteur, nonobstant sa lassitude, dans chaque camp, 3 en faveur du non comme 3 en faveur du oui (et pour rire l'appel de Cochin).
Pour commencer par le « non » on reconnaîtra par exemple, entre le texte fort bien charpenté du professeur Chouard de Marseille et celui de Georges Lane une divergence absolument irréductible. L’un est radicalement anti-libéral : l’Europe a ses yeux menace nos chers (très chers) services publics. Aux yeux de l’autre, à l’inverse, elle n’est pas assez libérale, etc.Du côté du Oui, en dehors des béni-oui-oui de la classe politique, on remarquera combien ses partisans sont tous finalement assez sceptiques ou désabusés sur la « Constitution » elle-même. Pour Catherine Rouvier, favorable au Oui, invitée de mon émission sur Radio Courtoisie le 8 avril, un grand mérite du projet est de préserver l’Europe des États. Pour Guy Sorman, le texte de la prétendue Constitution institue, tout au plus, un « règlement inférieur », etc. Donc oui, malgré tout : C'est aussi la conclusion du remarquable texte de Nicolas Baverez. (3)
Pour les adversaires de la Constitution, un espoir est sous-jacent au vote non.
Ils entendent infliger de la sorte une sanction à notre insupportable classe politique hexagonale. Et indiscutablement les sondages de ces derniers jours vont dans ce sens. On répond naturellement non à une question posée par Chirac. Le même personnage reprendrait son appel de Cochin, le Oui serait en meilleure posture.
Pour les partisans du Oui, au contraire, le danger d’un refus par l’électorat français de ratifier ce texte marginaliserait officiellement la France dans les institutions européennes. En 1957, le Traité de Rome, rédigé en français était inspiré par les déclarations de Robert Schuman, Jean Monnet, etc.. En 1991, Pascal Lamy collaborateur de Jacques Delors rédige le traité de Maastricht. Le pacte de stabilité de 1997 confirme la politique du Franc fort d’un Trichet, actuellement gouverneur de la Banque Centrale Européenne. Le Traité de Nice de décembre 2000 est préparé par Alain Juppé et Jacques Toubon. Le texte de la Constitution est concocté en 2003 sous la présidence de Giscard d’Estaing. Cette influence est considérable.
Mais soyons francs : Faut-il globalement se féliciter de cette « influence française » ? N’a-t-elle pas fait son temps ? Aujourd’hui, d’autre part, la plupart des personnels cités, plus un Barrot ou un Barnier : sont-ils représentatifs du peuple français ? La réponse est non. À vrai dire, d'ailleurs, depuis la formation de la commission Barroso, et le strapontin accordé à l'ectoplasme Barrot, le déclin de l'influence française a sérieusement commencé.
L’espérance des adversaires de la classe politique, celle d’une « claque », enfin salutaire, risque de se révéler, elle aussi, illusoire. Nos politiciens nationaux n’ont tenu aucun compte du vote populaire historique du 21 avril 2002, marginalisant le parti communiste et portant la droite nationale protestataire à un niveau jamais atteint.
Le président élu persiste à diaboliser cette dernière et à recevoir les dirigeants staliniens impunis dans les palais nationaux.
Ne nous y trompons pas. Faux espoirs et fausses craintes sont un peu vains.
Sur la tombe de Kazantzaki on peut lire cette simple et belle épitaphe : « Je ne crains rien. Je n’espère rien. Je suis libre ».
Si nous parvenions à nous abstraire, vraiment et absolument, des faux espoirs et des fausses craintes, nous serions libres, comme Kazantzaki. Libres et, peut-être, morts.
Hélas, voici les Français irrésistiblement attirés par une réponse, conditionnée par le président de tous les imbéciles. À lui, on est tenté de répondre : « La réponse est non, mais rappelez-moi la question. » Cet aphorisme est de Woody Allen. C’est le règne de l’absurde. Nous y sommes, "Chiraco regnante".
Lire aussi dans nos archives Constitution européenne
(1) cf. « Le Parlement européen » de Jacques Bordiot (La Librairie française).
(2) « L’Europe sans les Peuples » (FX de Guibert)
(3) Pour rajouter encore à la cacophonie de ce débat, on apprenait le 12 avril que deux députés de droite, MM. Jean-Christophe Lagarde (UDF, Seine-Saint-Denis) et Jérôme Rivière (UMP, Alpes-Maritimes), font campage pour le non, car ils trouvent le traité pas assez fédéraliste...