Sans doute les réflexions de la présente chronique choqueront-elles certains lecteurs.
Sans doute, doit-on admettre un certain nombre de banalités, simples constatations, laudatives, pour l’effort de la Chine pour sortir de sa marginalisation, de sa misère et même du maoïsme, depuis 1978. La récente série des taux de croissance annuels impressionne légitimement. En Chine, les 35 heures n'existent pas.D’autre part, après avoir moi-même commencé à écrire (il y a plus de 20 ans) sur l’hypothèse, qui me semblait mondialement décisive, de la "restauration du capitalisme en Chine", après avoir commencé (il y a environ 15 ans) à dévorer toutes sortes de lectures chinoises, etc., je ne voudrais pas aujourd’hui passer pour un détracteur systématique d’un pays effectivement fascinant, généralement passionnant, et de gens, parfois, charmants.
Mais d’abord ne confondons pas les peuples et leurs gouvernements.
« Les gouvernements ne changent pas les peuples » pensait Gobineau. Contemporain de Karl Marx, disparu comme lui en 1883, le penseur de la décadence, inspirateur de Charles De Gaulle, ne pouvait connaître les grandes expériences totalitaires, issues essentiellement du marxisme (1).
Le totalitarisme a toujours pour effet de couper les peuples d'une partie de leurs racines, de leur culture, de leur identité. La Chine maoïste n'a pas failli à la règle.
Or, l’État chinois repose fondamentalement sur un pouvoir totalitaire et communiste.
L'ombre monstrueuse de Mao Tsé-toung plane toujours sur la place Tien An-men.
Le système apparu en 1949 a certes évolué, et il se modifiera encore. Mais tant que retentiront en « République populaire de Chine » les accents de « l’Orient est rouge » (Dongfang hong)… on entendra, on chantera, et on pensera : « L’Orient est rouge… le soleil se lève… la Chine a vu naître Mao Tsé-toung… le parti communiste est comme le soleil… là où il règne se répand la justice… » Vu ?
Les experts nous disent : aujourd’hui le régime est dominé par la corruption, l’affairisme, des projets grandioses, le quadrillage politique de l’armée. Le rôle du parti est présenté seulement comme formel. Il importerait seulement, nous assure-t-on, de « tenir » une population de plus d’un milliard de personnes.
S’agissant de n’importe quelle autre nation, de telles considérations désolantes seraient développées dans l’affliction. Or on nous les présente, en France, pour consolantes. « Tenir » le peuple chinois, dans l'oppression, semble ainsi une préoccupation légitime au pays dit « des droits de l’homme ».
Comprenons bien, au contraire, quel est le véritable et grand mérite du peuple chinois.
Affublé d’une classe dirigeante tyrannique, inculte et agressive, il parvient néanmoins, par endroits, à sortir de sa misère. « Aimer le peuple » était un des grands slogans du parti maoïste. Oui, certes : il faut aimer le peuple chinois. Mais non, en revanche : il n'y a pas lieu d'aimer la police politique, les bureaucrates du parti, le lao-gaï (2), l’infect « chou patriotique » et le chauffage au charbon.
Les manifestations « spontanées » anti-japonaises, provoquées par les manuels d’histoire du pays du Soleil Levant (3) devraient faire réfléchir les personnes sensées. En effet, les mobilisations remontent à mars-avril 2005. Simple question : de quand datent les livres incriminés ? Et, depuis 50 ans, l'État japonais et les victimes d'Hiroshima n'ont-ils pas manifesté suffisamment de « repentance » ? Rappelons enfin que les anciens dirigeants japonais ont été accusés et jugés aux procès de Tokyo pour des crimes de guerre et non pour des crimes contre l'Humanité.
Au moment de la mort de Jean-Paul II on n’a pas seulement constaté l’absence des dirigeants chinois aux obsèques du Pape. On a assisté à une nouvelle crise d’hystérie du gouvernement de Pékin relative à la présence de la République nationaliste de Chine à Taïwan. Or, la question n’est pas seulement celle des relations d’État entre le Vatican et Formose. Il s’agit de savoir où en sont les libertés religieuses du christianisme dans chacun des deux « systèmes » se disputant la légitimité chinoise.
La « Chine rouge », le « gouvernement communiste », etc. Ce sont peut-être des expressions vieillies. Mais la réalité décrite est encore plus indécrottablement rétrograde. Au moment où le monde entier, même la France laïciste, même l’Iran des mollahs, même Fidel Castro se rendent aux funérailles du pape, Pékin ne se contente pas de s’abstenir. Activement, deux évêques catholiques sont arrêtés, le même jour, par la police politique pour avoir osé dire des messes, non planifiées par l’administration, des prières « illégales » pour la santé de Jean-Paul II, chef d’un État étranger.
Incontestablement, cette rhétorique est en résonance avec des préoccupations existant chez certains intégristes de la laïcité. On peut lire en France des textes où les missionnaires chrétiens sont désignés comme des agents de l’américanisation. Demain donc si au Zimbabwe, en Turquie, au Pakistan ou au Maroc ces missionnaires et leurs catéchumènes se trouvent demain persécutés, il y aura certainement des intellectuels français pour considérer somme toute qu’il s’agit de péripéties liées à « l’identité africaine » ou au « respect de l’islam ».
Disons simplement qu’un tel discours mérite dès maintenant de se voir rejeté aux franges les plus extrêmes des petites sectes et des petites officines. Sa persistance dégoûtera les Européens sensés.
S’agissant de la Chine on rêve de puissance.
On nous en parle comme si les Chinois devenaient une expression métaphorique d’une revanche « européenne » sur la sortie de l'Histoire représentée par la chute du mur de Berlin. Ceci nous dit quelque chose quant à la signification réelle de ce slogan ambigu d’une « Europe puissance ». Dans la bouche de nos technocrates, ce mot d'ordre fonctionne seulement comme un mirage. Incapables d’augmenter le budget militaire d’États englués dans la « protection sociale » développée au détriment de la défense nationale, ils agitent le hochet d’une puissance par procuration. La Chine fait, dans leur esprit, admirablement l’affaire.
À ce stade, « l’allié » virtuel chinois hérite alors de tous les droits. « L’amour sacré de la patrie » évoqué dans un certain chant révolutionnaire de 1792, se voit transféré à l’autre bout de l’espace eurasiatique. Il ne s’agit plus du tout, dans la pratique « d’amour sacré » mais de froide et sanglante raison d’État, de fureurs hystériques arbitrairement qualifiées de légitimes, de colères soudain considérées comme « bonnes » et non plus mauvaises conseillères.
La haine des « diables étrangers » n’est pas nouvelle en Chine. Et, il est vrai, la révolution jacobine n’a rien à lui envier. Déjà au XIXe siècle, le fameux « poète » Béranger (1780-1857) rimaillait « en entendant le doux mot de patrie, je suis pris d’horreur pour l’Étranger ». N’oublions pas non plus l’invention même du « chauvinisme », où Nicolas Chauvin, soldat de la République et de l’Empire fait figure de héros positif.
Cette dérivation malsaine est le contraire de la « puissance ». Elle représente plutôt le rêve de puissance chez les impuissants, l’agressivité mégalomaniaque des nains. Les Européens comme nains, ce n’est ni une nouveauté ni un paradoxe, c’est hélas un truisme. Assemblés à 25, ces nains disposent d’un marché, d’une économie et même d’une certaine influence potentielle. Leur évolution vers une situation, non pas, dans un premier temps, de « puissance » illusoire, mais de moindre impuissance, est souhaitable, y compris pour l'Amérique car elle engendrerait sans doute un comportement de moindre aigreur.
Entre les premiers écrits de Henry Kissinger (4) et les "Mémoires" de Bill Clinton, il s’est hélas écoulé 40 ans d’incompréhension de part et d’autre de l’Atlantique. Kissinger et Clinton reconnaissent l’un et l’autre l'évidente nécessité d'une alliance transatlantique affranchie des liens humiliants de la vassalité. Elle eût peut-être été possible si le traité établissant la Communauté européenne de défense n'avait pas été rejeté par le parlement français le 30 août 1954. Mais combien de temps faudra-t-il encore attendre pour pour voir l’Europe simplement capable de disposer d’une politique étrangère ?
S’agissant de la Chine le problème se pose clairement. En 1999, on a pu certes mesurer la capacité du gouvernement de Pékin à « dire non » (5) aux bombardements de Belgrade. Encore faut-il se demander à quelles motivations correspondait ce « non ». Il semble bien que les réseaux maffieux (6) issus de la décomposition du communisme yougoslave n'y soient pas étrangers.
Les liens d’affaires entre l’Occident et la Chine sont aujourd’hui encore, du côté chinois communiste, tricotés par des réseaux, d'ailleurs, moins mystérieux qu’on veut bien le dire.
Si à Pékin tout interlocuteur civil dispose d'une doublure et d'un ange gardien dans l’appareil politico-militaire, si en Occident toute délégation chinoise est sous contrôle d’un commissaire politique communiste, c’est bien pour une raison.
Nous sommes en face d’une puissance, certes émergente, mais dont la maladie totalitaire est loin d’être guérie.
Par respect de la grande culture chinoise, par amitié pour le peuple chinois, nous ne devons probablement pas rejeter ce pays. Mais si nous souhaitons vraiment l’aider, nous ne pourrons le faire que par une attitude ferme.
L'Europe n'a rien à gagner à encourager Pékin à une attitude aventuriste vis-à-vis de Taïwan, à déclarer vouloir abolir le nécessaire embargo sur les ventes d'armes, à demeurer indifférentes sur la question des minorités nationales ou des libertés religieuses. Ces dernières sont explicitement inscrites dans la Charte des droits fondamentaux adoptée en décembre 2000, comme représentant une "valeur" européenne. Que vaut cette "valeur" si nous laissons bafouer par les communistes chinois.
L'Europe doit aider la Chine à évoluer vraiment vers un modèle plus acceptable pour le monde libre. Tout autre discours serait malhonnête, déshonorant, et illusoire.
Lire aussi extraits de nos archives 2005 27.1 Brèves impressions sur l'immensité chinoise Comme derrière un gigantesque village Potemkine, gît encore la pouillerie communiste.
18.1 Bagages d'espoirs Pour sortir de nos misérables débats hexagonaux2004 14.10 La Reptation de Pékin Tant qu'on demeure au garde à vous devant les drapeaux rouges, on n'est pas un commis voyageur, on n'est jamais qu'un pigeon voyageur
(1) Comme chacun devrait le comprendre, le marxisme proprement dit, en tant que phénomène sectaire, « foi nouvelle », « bloc historique nouveau », et religion séculière, n’est pas seulement issu de la Dialectique marxiste : littéralement, il est né du discours de Engels sur la tombe de Marx.
(2) À lire : « Lao-gaï, le goulag chinois » par Harry Wu publié en poche aux Éditions Dagorno 7 Passage Dagorno 75020 Paris Tel : 01 40 09 69 69.
(3) Tiens, quelle surprise, on apprend l'existence d'un différend portant, de manière évidemment secondaire sur des forages autorisés par les Japonais dans des champs gaziers situés à l'est d'Okinawa et qui contiendraient 200 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Les « martyrs de Nankin » ne seraient donc qu'un prétexte ? Incroyable !
(4) « Les Malentendus transatlantiques » publiés en 1965 chez Denoël.
(5) Un livre connaissait un grand succès à Pékin dans les années 1990. Il était intitulé : « La Chine qui dit non ».
(6) Ces réseaux espéraient beaucoup, à la même époque, des anciennes équipes gaullistes et maçonniques alors très présentes à la mairie de Paris.
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