La commémoration du 30e anniversaire de l'entrée le 17 avril 1975 des Khmers rouges à Phnom Penh a donné lieu à un extraordinaire montage d'auto-amnistie par les médiats français.
Ne l'oublions pas, ne l'oublions jamais. Le quotidien parisien de la pensée unique Le Monde présentait en 1975 cette révolution communiste au Cambodge comme une libération (1).
Le mot d'ordre médiatique franco-français diffusé le 17 avril 2005 consiste à nous dire aujourd'hui : "on ne savait pas", "personne ne savait", "personne ne pouvait savoir".
N'ayons pas la cruauté de rapprocher un tel système défense de déclarations analogues, tenues pour irrecevables chez les vaincus de la Seconde guerre mondiale.
Soulignons simplement la fausseté radicale de cette ignorance alléguée.
En 1972, je me souviens du cas d'un journaliste de l'agence France Presse. Il s'appelait Xavier Baron et avait été pendant des semaines prisonnier otage des fameux Khmers rouges. Sa détention avait fait grand bruit. Sa libération en fit un peu moins. Xavier Baron pouvait en effet témoigner d'une réalité alors très dérangeante, celle de la présence des Nord-Vietnamiens au Cambodge. Le point n'est pas négligeable, 30 ans plus tard, où l'on nous présente pour monstrueuse et imprévisible la "dérive" (autrefois les communistes parlaient de "déviations" de "déviationnisme") des Khmers rouges.
À écouter d'un peu plus près les (faux) témoignages rétrospectifs, on distingue d'ailleurs la grille d'explication toujours en place. Les Khmers rouges étaient supposés obligatoirement "bons". Ils avaient combattu le "régime" du maréchal Lon-Nol (1970-1975), lui-même aligné sur les "méchants" Américains et leurs alliés. Ils étaient communistes : donc, nous dit-on, il était impossible de "prévoir" la mise en place de camps de concentration.
Pourtant, Lénine, Trostki, Staline, Khrouchtchev, et, à l'époque, Brejnev, n'avaient cessé d'en édifier en Russie et dépendances (goulag), Mao Tsé-toung en Chine (lao-gaï), Tito en Yougoslavie, Castro à Cuba, Mengitsu en Éthiopie, Rakosi en Hongrie, Enver Hodja en Albanie etc.
Était-il donc vraiment impossible d'imaginer, un an après la publication en occident de l'Archipel du Goulag de Soljénitsyne, des communistes indochinois faisant dans les 3 pays d'Indochine encore libres (Sud Vietnam, Cambodge, Laos) exactement comme le Vietminh avait fait dès 1954 au Nord Vietnam ? "Manifeste du Camp N° 1" (2) connais pas ?
Sans être nécessairement un adepte d'Auguste Comte, de "l'empirisme organisateur" dans les sciences sociales, dont Charles Maurras fit sa méthode, il pourrait être utile de tenir compte de l'expérience. Celle-ci confirme les déductions de la praxéologie. Sur les 25 ou 30 pays gouvernés sans partage par les communistes depuis 1917, les uns plus ou moins rattachés, d'autres dissidents ou encore certains devenus franchement hostiles à l'Union soviétique, aucun, jamais, nulle part, sur les quatre continents (3), n'a fait l'économie du massacre de ses adversaires politiques et des couches sociales considérées ou désignées comme ennemies de classes.
Selon les pays, certes, on observe des variantes.
Dans l'Ukraine des années 1920 (4), le communisme a entrepris un véritable génocide (5) des paysans. Sont ainsi mortes de faim entre 5 et 6 millions de personnes.
Au Cambodge au milieu des années 1970, les victimes ont été systématiquement les citadins, soit officiellement, au moins 1,7 million de morts pour un pays de 8 millions d'habitants.
La différence ne portait pas sur la doctrine d'ensemble, le marxisme-léninisme, pas même sur la prétendue "loi" de l'économie marxiste mis en place, la théorie s'appelant Loi d'Accumulation Socialiste Primitive (L.A.S.P.) de Préobrajensky.
La différence portait seulement sur "l'analyse" du développement respectif des deux pays.
L'Ukraine a toujours été, au sein de l'empire russe, à l'avant-garde de l'économie. On prétendait, dans les années 1920, accélérer son industrialisation, en forçant les paysans à vendre leur blé à l'État. Le pouvoir soviétique, n'était pas mécontent de détruire également la plus puissante contestation nationale de "l'union".
Au Cambodge, au contraire, pour atteindre au même but d'accumulation primitive, on s'est contenté de supprimer les "bouches inutiles" de la ville, afin d'exporter plus de sacs de riz. Ingénieux n'est-ce pas ?
Ah, mais, entend-on : les "Khmers rouges", ce ne sont pas des communistes. Ce sont des nationalistes. Suivez mon regard.
Cette affirmation est totalement gratuite, rationnellement parlant. Elle n'est pas innocente. Littéralement, elle est complaisante ; politiquement, elle est complice.
Faire de Pol Pot (6) un "nationaliste", c'est oublier le nom véritable de son parti : le parti communiste khmer, fondé officiellement en 1960. Le groupe d'origine était apparu à Paris en 1951, autour d'une équipe d'étudiants de la Sorbonne, lecteurs quotidiens de L'Humanité. Pendant des années, ce groupe puis ce parti, ont été reconnus par le mouvement communiste "international", c'est-à-dire par les Soviétiques. Puis il s'est rapproché de la Chine maoïste. Voilà la seule "nuance".
S'agissant de l'illusion d'une "libération" de Pnomh Penh par les "chars des Khmers rouges", elle fut lancée par l'article fameux écrit le 17 avril 1975 par le correspondant du Monde à Pnomh Penh, M. Patrice de Beer (7). Cette illusion aurait pu, et elle aurait dû, être dissipée en 24 heures. Non seulement en effet le traitement des prisonniers, des réfugiés dans les diverses ambassades, des adversaires politiques, et même l'évacuation forcée des blessés et des malades soignés dans les hôpitaux, n'a fait l'objet d'aucune ambiguïté transitoire, d'aucune "galanterie diplomatique" ; mais, à l'ignominie de ces comportements, s'est immédiatement ajoutée, en complément d'information, la mesure d'expulsion des citadins. Dès avril 1975, des centaines de milliers "d'ennemis de classe" se retrouvaient, ainsi, chassés de leurs maisons, en route vers la forêt, sur les sentiers de la mort.
En classant les régimes d'inspiration communiste par ordre alphabétique, de l'Albanie au Zimbabwe, on relève parfois, rompant la monotonie sérielle des répressions et des massacres, certaines particularités. Elles ont été occasionnées par la situation locale. En Pologne, le communisme a ainsi rencontré de sérieuses difficultés avec la propriété privée paysanne et, plus encore, avec la religion catholique. À Cuba, au contraire, le régime a été amené à maintenir une existence légale de la franc-maçonnerie, interdite partout ailleurs. En Hongrie, après 1956, le gouvernement de collaboration imposé par l'occupant soviétique, et dirigé par le traître Kadar, s'est trouvé contraint de consentir d'importantes libertés économiques ("le communisme du goulasch"), incluant l'institution de comptes à numéro dans les banques de Budapest.
Au Cambodge, la particularité du régime incriminé ne tient donc pas à son caractère massacreur. Certes le parti communiste a probablement mis à son actif un pourcentage colossal de cadavres, plus de 20 % de la population en 4 ans. Plus que le goulag soviétique en 70 ans ou que le lao-gaï chinois en 55 ans. À inscrire sans doute, dans le livre Guiness des records. Mais la technique est strictement identique : travail forcé épuisant, rééducation totalitaire à base de lavage de cerveau, rations alimentaires très insuffisantes, soupe de crachats, conditions de vie atroces, élimination ponctuelle systématique des récalcitrants ou des trop faibles, etc.
La véritable spécificité khmère rouge ce fut l'anonymat de l'Organisation, "l'angkar", dirigée par le "frère n° 1" dont le propre frère mettra plusieurs années à connaître l'identité. En cela, des procès véritables auraient été plus particulièrement utiles à une meilleure connaissance de la vérité par le public.
Or, il est à remarquer que depuis plus de 10 ans la communauté internationale finance un processus de paix installant au pouvoir un ancien membre du parti communiste khmer, Hun Sen (8). Celui-ci s'était mis au service des Nord-Vietnamiens, non moins communistes mais favorables aux Soviétiques, lors de l'invasion de son pays par les troupes de Hanoï en janvier 1979. Son "parti du peuple cambodgien" fête chaque année l'anniversaire de cet événement, acte fondateur de la République "populaire" du Kampuchéa, succédant à la République "démocratique" du Kampuchéa. Depuis juillet 1997, ayant évincé son rival monarchiste le prince Norodom Ranariddh, l'homme fort du pouvoir actuel s'emploie à éliminer ou à intimider physiquement (9) ses principaux adversaires (notamment dans la famille royale) et à empêcher un véritable procès, de plus en plus difficile 30 ans après.
L'occultation systématique de la réalité historique du régime communiste des Khmers rouges n'est donc pas, venant des médiats occidentaux, un banal retricotage de l'Histoire. C'est une participation active, une complicité présente, et même une forme de sauvetage financier des criminels communistes.
(1) On continue d'ailleurs, s'agissant de la Chine à accepter ce même terme mensonger pour désigner la conquête de la Chine et la prise de Pékin en 1949 par les troupes Mao Tsé-toung et du Maréchal Chu Teh.
(2) cf. Livre de Jean Pouget chez Fayard.
(3) Seule l'Océanie est demeurée pratiquement indemne.
(4) cf. "Moissons Sanglantes" de Robert Conquest réédité en collection Bouquins chez Laffont.
(5) L'utilisation du mot "génocide", particulièrement pour un régime massacrant son propre peuple peut donner matière à polémiques. En l'occurrence, l'ancien chef de l'État khmer rouge, Khieu Samphan, a officiellement reconnu lui-même, le 30 décembre 2003, qu'un génocide avait été commis au Cambodge sous le régime qu'il présidait mais a nié toute responsabilité personnelle. "Je n'ai pas d'objection contre le futur procès. Ce que je devrais faire est trouver un moyen de me protéger dans cette histoire compliquée. ( ) Je n'ai jamais comploté la mort des Cambodgiens avec aucun haut dirigeant khmer rouge. Non, jamais. Je n'étais qu'un dirigeant nominal du régime. ( ) Je me suis demandé et je continue à me demander pourquoi les dirigeants ont tué les gens comme ça". (cf. dépêche AFP du 30.12.2003 à 12 heures 03)
Dans la zone est, voisine du Vietnam, de mai à décembre 1978, entre 100 000 et 250 000 personnes ont été massacrées - parce que le Centre communiste polpotiste avait condamné à mort les habitants de l'Est stigmatisés comme "Vietnamiens dans des corps khmers". On peut citer en exemple la liquidation de totalité des 120 familles (700 personnes) du village de Sao Phim, etc.
(6) Pol Pot, de son vrai nom Saloth Sârest, est né en 1928 dans la province de Kompong Thom. En 1949, il obtient une bourse d'études pour la France, où il devient communiste. De retour au Cambodge en 1953, l'année de l'indépendance, fonde le parti communiste khmer en 1960 et prendra le maquis en 1963. Il reviendra victorieux en 1975 ans à Phnom Penh, vidée de ses habitants sur son ordre. Jusqu'en 1979, son régime fait régner la terreur. En juin 1997, les anciens chefs de guerre Khmers Rouges le jugent et condamnent à la prison à vie. Il serait En avril 1998, la nouvelle de sa mort (d'une crise cardiaque) est annoncée dans le monde entier.
(7) Il est difficile de soutenir que cet article n'engageait pas le journal. La suite de la carrière de M. Patrice de Beer n'en a nullement été affectée. On l'a retrouvé, par la suite, correspondant du même journal dans une petite capitale nommée Washington. Autrement dit la principale source d'informations des "Français bien informés" parmi lesquels (au hasard) un jeune énarque nommé Dominique de Villepin, sur leur principal allié dépendait d'un ancien sympathisant des Khmers rouges Ce maquillage de la réalité cambodgienne fut la toile de fond de la courageuse rupture de M. Michel Legris avec le quotidien de la pensée unique.
(8) "Hun Sen, un stalinien faussement défroqué" écrivait L'Express (10 avril 1997) "Hun Sen, considère la démocratie comme un luxe" (L'Express du 7 décembre 1995). Hun Sen, est né en 1952 dans la province de Kompong Cham. Pendant ses études secondaires, qu'il abandonne, il s'engage dans les rangs communistes. Ce combattant khmer rouge perdra un il au cours de l'offensive de 1975. En 1977, on le retrouve à la tête d'un bataillon khmer rouge. Une campagne de purge l'amène à s'enfuir au Vietnam. Après l'invasion vietnamienne, il fait partie du gouvernement mis en place par Hanoï en 1979 et devient Premier ministre du gouvernement communiste pro-vietnamien et pro-soviétique de 1985 à 1990. Dans le cadre du processus de paix coiffé par l'ONU et financé par la communauté internationale, il devient co-Premier ministre d'un gouvernement de coalition avec les monarchistes en 1993. Mais il n'accepte pas de partager le pouvoir avec le prince Norodom Ranariddh, et l'élimine par un coup d'État en juillet 1997.
(9) Ainsi le 30 mars 1997 un attentat sanglant à Phnom Penh visait M. Sam Rainsy, 48 ans, chef de file de l'opposition et leader du PNK, Parti de la nation khmère. Bilan : une vingtaine de morts et quelque 150 blessés. Idem le prince Norodom Ranariddh, ex-Premier ministre, violemment destitué en juillet 1997. Le 6 juillet 1999, une actrice très populaire Piseth Pilika était assassinée pour avoir voulu rendre justice aux 2 millions de victimes anonymes de la monstruosité khmère rouge etc..