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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
JEUDI 9 JUIN 2005
TEXTE ET CONTEXTE
L'accord entre l'État et « le peuple dans ses profondeurs » n'existe plus.
Les Français me semblent avoir raison de se monter pessimistes (à 65 %) sur « l'évolution de la situation politique dans les six prochains mois » et, d'emblée, très réservés (à 79 %) sur « la capacité du gouvernement Villepin à répondre à leurs attentes, notamment sur le chômage ». Ces indications chiffrées résultent d'un sondage CSA publié par Le Parisien du 8 juin. Elles sont donc antérieures à la prestation parlementaire du premier ministre.
Soyons réalistes : malgré une ou deux avancées purement verbales et ponctuelles, il serait assez surprenant que le niveau de confiance accordé aux princes qui nous gouvernent s'améliore au vu des décisions gouvernementales annoncées.
La Déclaration de politique générale, suivie d'un vote d'investiture de l'Assemblée, éventuellement confirmé par le Sénat, n'est pas une démarche de simple courtoisie. Ce n'est pas un usage devenu désuet, ou purement symboliques, comme certains de ceux maintenus à Westminster depuis le XVIIe siècle. Ce n'est pas un « Grand Oral », comme le disent et l'impriment trop de médiats parisiens, où l'ineptie et le cliché relèvent de plus en plus de la niaiserie complaisante.
Si on se réfère tant soit peu à la Constitution de 1958, — chef-d'œuvre littéraire en comparaison du Traité constitutionnel rédigé par M. Giscard — on remarque, ainsi, que l'équivalent du vote d'investiture (article 49 alinéa 1) n'y obéit pas aux règles très spécifique du vote sur une motion de censure (article 49 alinéa 2) (1). Les représentants supposés du Peuple souverain doivent accorder positivement leur confiance au nouveau cabinet. Ceci reflète, en principe, une théorie spécifique de la Ve République, issue du discours de Bayeux : il doit y avoir accord entre l'État, son chef et « le peuple dans ses profondeurs ».
Depuis le 29 mai, une chose est absolument démontrée, au-delà de tout sondage fugace et discutable : cet accord n'existe plus. Je suis presque surpris d'apprendre que 26 % des Français (plus qu'au premier tour de 2002 par conséquent) feraient encore « confiance » à M. Chirac. Là aussi, il doit y avoir confusion : personnellement, par exemple, je « fais confiance », à ma manière, à M. Chirac, comme au grotesque Villepin : je leur fais confiance pour faire des bêtises, pour mentir aux Français et pour salir tout ce qu'ils touchent. Dois-je être, par conséquent, comptabilisé parmi les 26 % ?
La vérité profonde de la situation n'est peut-être pas dans ce pressentiment d'une situation révolutionnaire, qui étreint à l'évidence tout observateur conscient du caractère tragique de l'Histoire. Elle a d'abord été exprimée presque honnêtement par le Premier ministre désigné lui-même, avant même d'être investi : sa marge de manœuvre est très étroite.
La plus spectaculaire occurrence est évidemment celle des déficits. Le fait que Le Figaro, si chiraquien, ait, avant même (2) le discours officiel fait état de cette équation terrible des finances publiques françaises, devrait nous indiquer la gravité de la situation. Les propos et les accents de M. de Villepin dans l'après midi au Palais Bourbon nous paraissent même en retrait, non seulement de sa propension naturelle à la boursouflure, mais même de l'appréciation froide du degré des nécessités du jour.
De manière non dite, du fait de l'ordre monétaire accepté à Maastricht en 1991 et à Amsterdam en 1997, du fait des règles relatives à l'Union monétaire européenne, c'est-à-dire de l'existence de l'euro monnaie unique, la France est au bord de la cessation de paiement.
C'est cela, et non les choix idéologiques, qui explique la rapidité des privatisations de tout ou partie des actions de l'État dans France-Telecom, dans les sociétés d'autoroutes, etc. En même temps que l'on vend, avec lenteur, de nombreux immeubles appartenant aux administrations, on doit, coûte que coûte, colmater les brèches. Il est loisible aux commentateurs de trouver alors, selon les opinions subjectives, l'euro saumâtre ou salutaire : les faits sont sacrés, les commentaires sont libres. La montgolfière perd de l'altitude, il faut larguer du lest. Convenons simplement l'existence de limites à ce bradage, si libérateur soit-il en direction du secteur privé de l'économie, de la concurrence et plus platement encore du capitalisme, toutes choses probablement mal perçues entre Matignon et l'Élysée.
En regard de cette nécessaire ouverture aux vérités de l'économie, c'est peu dire que de sous-entendre que le gouvernement Villepin serre les fesses devant les bureaucraties syndicales, persistant à les tenir, faussement, pour représentatives et gestionnaires du mécontentement de notre peuple.
La barque du pouvoir va donc perpétuellement (3) godiller entre ces deux écueils, entre la station de Métro Bourse à Paris et le quasi-terminus Robespierre à Montreuil. Drôle d'image, je le reconnais, que celle du frêle esquif gouvernemental se faufilant dans les eaux mornes d'un Styx lutécien. Tel sera pourtant le tableau lugubre et souterrain de la situation politique française, dans les mois et les semaines à venir. On a eu raison de nommer aux Affaires étrangères M. Douste. Son air compassé de collaborateur d'une maison de pompes funèbres conviendra très bien, j'en suis sûr, aux positions de Paris dans les négociations européennes.
Si l'on n'a pas présent à l'esprit ce contexte, tout regard sur les textes et les texticules extraits de la communication gouvernementale se trouve faussé.
Dans n'importe quel autre contexte on serait en effet tenté d'applaudir, et ponctuellement, j'approuve bien sur l'encouragement à l'embauche dans les petites unités de production. C'est effectivement, ou plutôt : c'est « presque exactement » ce que votre serviteur préconise, inlassablement, depuis le milieu des années 1980.
De la masse de platitudes, de sottises et de courtisaneries agglomérées dans les 53 minutes du discours villepinard, les médiats hexagonaux se complaisent en effet à extraire ce propos, certes novateur. Cela devait dormir dans quelque carton poussiéreux. On l'a ressorti, comme en cas de danger, peut-être par crainte de troubles dans les environs d'un faubourg Saint-Antoine désormais virtuel. « On » sait probablement, « quelque part », combien, pour les entrepreneurs réels de notre pays les bastilles actuelles, ce sont, d'abord les caisses sociales.
Avant que d'approuver béatement, écoutons M. de Villepin
« Ensuite, bien sûr, l’emploi dans les très petites entreprises. Il y a 2 600 000 entreprises en France : 1 500 000 d’entre elles n’ont pas de salarié, près d’un million a moins de 10 salariés. L’emploi en France passe par elles. Si nous libérons leur esprit d’initiative et leur talent, si nous leur garantissons des procédures de recrutement simples, lisibles et sûres, elles embaucheront. Décider de recruter un salarié, c’est un acte important pour un petit entrepreneur. Est-ce que ce salarié correspondra à ses besoins ? Est-ce que son embauche ne risque pas d’alourdir le temps consacré aux problèmes administratifs ? Est-ce qu’elle ne mettra pas en péril l’entreprise en cas de retournement de conjoncture ? »
Certaines charges, de certaines entreprises vont donc peut-être baisser si ce dispositif est mis en place. Bravo ! Mais, le mécanisme envisagé constituant ni plus ni moins une subvention d'État, sous forme d'exonération catégorielle, la dépense publique, donc les impôts monteront certainement :
« Je propose donc que l’État prenne en charge les cotisations supplémentaires dues à partir du dixième salarié. Cette neutralisation continuera de jouer pour l’embauche des dix salariés suivants. »
La disposition relative au nouveau contrat de travail, limitée aux petites entreprises, devra être examinée, elle aussi en phase de rédaction finale (4).
Dans son contexte réel, elle perdra peut-être beaucoup de son charme. Remarquons très simplement ceci : on voit mal en quoi la « période d'essai de deux ans », si elle est probablement bonne dans les petites unités artisanales, ne serait pas aussi une bonne chose dans la grande industrie. S'agirait-il seulement de faire mettre aux entreprises jusqu'ici familiales, artisanales, et « heureuses », un doigt dans l'engrenage infernal du Code du Travail français ? En matière de perversion réglementaire comme ailleurs, on ne prête qu'aux riches : et, de ce point de vue, quand il s'agit d'abandonner les gens on peut toujours « faire confiance à l'État français ».
« Seuls les commencements sont beaux » disait Heidegger. Au vrai, on se demande surtout, au lendemain de ce discours, si les débuts du gouvernement Villepin ressemblent vraiment à un commencement, ou s'ils correspondent plutôt à une fin, à une fin de règne, à une fin de régime, à une fin de cycle.
JG Malliarakis
©L'Insolent
(1) Article 49. Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale.
L'Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d'une motion de censure. Une telle motion n'est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l'Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l'alinéa ci dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d'une même session ordinaire et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire.
Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent.
Le Premier ministre a la faculté de demander au Sénat l'approbation d'une déclaration de politique générale.(2) L'aggravement des déficits constitutait la première page de l'édition du mercredi matin 8 juin.
(3) Enfin... «perpétuellement », cela veut dire ici : pour la durée de vie dont seront capables ses détenteurs et ses rameurs...
(4) De ce point de vue le recours aux Ordonnances devrait être rejeté si nous étions en démocratie.
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