Revenir à la page d'accueil… Accéder au Courrier précédent … Utiliser le Moteur de recherche… Accéder à nos archives…
...Pour commander le livre Sociologie du Communisme ...Pour accéder au catalogue des Éditions du Trident
BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
JEUDI 16 JUIN 2005
Quand Blair a raison et quand Chirac a tort
Est-il « antinational » de le constater ?
Nous voici de plain-pied dans un débat intereuropéen. Il nous est présenté comme une sorte de match du tournoi des Six Nations, où, malgré la présence théorique des Italiens, tout le monde sait très bien qu'il prolonge, huit siècles après l'infidélité conjugale d'Aliénor d'Aquitaine, une millénaire guerre de Troie franco-britannique entre les deux rives de la nation celte. Nous n'en finirons jamais de devoir, volens nolens, venger Jeanne d'Arc, Dupleix et le marquis de Montcalm.
Dans ma jeunesse, de plus en plus lointaine, j’avoue avoir éprouvé moi-même quelque lassitude après avoir entendu, inlassablement, un discours familial inverse, faisant perpétuellement l’éloge de la monarchie britannique, du parlement de Westminster, de l’humour anglais, du mobilier anglais, de la politesse anglaise, du fair-play britannique, de la manière anglaise de faire infuser le thé (et bouillir le gigot ?), de la marmelade d’orange (et de la gelée ?), des jolies jambes des Anglaises, du civisme de nos amis d’Outre-Manche, etc.
J’avoue avoir pensé : overdose – encore un mot de la langue anglaise !
Overdose, ou réticence même, face à l'adage et à la pratique du « diviser pour mieux régner ». Certes, grâce à ce principe, l’Empire britannique et celui des Indes ont duré quelque deux siècles. Mais sur sa route, il nous a laissé : la Palestine, le conflit indo-pakistanais, le problème de Chypre, – et celui d’Irlande du nord.
Autrement dit : élevé dans l’anglophilie, je sais parfaitement combien le gouvernement de Londres est capable de se fourvoyer, d’humilier ses meilleurs amis, etc.
Je respecte donc, j'admire le sentiment national, le mot d’ordre anglais : « Wright or wrong, my country ».
Mais, objectivement, d’une part l’Angleterre n’est pas « mon pays », d’autre part cette logique, confinant au chauvinisme, rencontre très vite ses limites. Elle n’est guère respirable qu’à l’Étranger, où quel que soit notre mépris pour nos dirigeants nous n’aimons pas entendre insulter la France.
Simplement, reconnaissons ceci : puisque la France s’enorgueillit, peut-être à bon droit, d’être, ou d’avoir été, la patrie de Descartes, nous devrions nous demander si nos technocrates et nos démagogues ne sont pas les pires ennemis de Descartes.
Et puisque la France se gargarise de la Déclaration de 1789, quelle est dans le monde la puissance la plus radicalement complaisante à l’égard des violations des Droits de l’Homme ? Ne serait-ce pas, éventuellement, la diplomatique cynique du Quai d’Orsay ?
Soyons clairs : nous avons complètement perverti la notion d’une influence bénéfique de la France en Orient. Nous protégeons les pires dictatures et, cela ne se limite pas au « monde arabe » (1) : par exemple nous faisons comme si la Chine était un pays de liberté et le Japon une dictature militaire. Nous nous acoquinons avec le répugnant dictateur démagogue Chavez au Vénézuela, nous applaudissons aux discours de Fidel Castro, etc.
Et l’Angleterre dans tout cela ? Et le débat Blair-Chirac ?
D’abord, on doit constater que le 14 juin, M. Chirac a, très grossièrement, refusé à l’occasion de sa venue à Paris, de débattre avec le Premier ministre britannique, brillamment réélu chez lui alors que le Président de notre « république » (2) est clairement désavoué dans l’opinion.
M. Chirac, tout en ayant fait mine de soutenir, avec le succès que l’on sait le Traité constitutionnel européen ne croit pas, et n’a jamais cru ni à la démocratie européenne, ni, au fond à la démocratie tout court, et encore moins au débat intereuropéen.
Il ne croit qu’aux négociations d’États, aux égoïsmes « nationaux » plus exactement à la démagogie chauvine, et aux entretiens plus ou moins secrets entre chefs d’États.
En cela M. Chirac fait obrepticement, cyniquement ou naïvement ce que l’on reprochait traditionnellement à l’Angleterre victorienne, à l’époque du « Rule Britannia ».
Mais empressons-nous de constater qu’il le fait en caricature. Le propre de la diplomatie secrète d’autrefois, mondialement prohibée aujourd’hui, c’est de se pratiquer avec un minimum de discrétion. C’est là, hélas, le « moindre défaut » de M. Chirac. (3).
Sans être aussi malhabile, le gouvernement de Tony Blair a manifestement rompu avec une tradition cynique et ses objectifs en politique extérieure sont assez clairement affirmés. Certes, l’Angleterre ne serait pas l’Angleterre si elle était dépourvue de moyens d’actions moins directes que ceux décrits par Clausewicz (4). On a ainsi beaucoup reproché dans les journaux français, qui, eux, disent toujours la vérité d’avoir « menti à son peuple à propos de l’Irak ».
Et il est bien possible que les « armes de destructions massives » soient plus répandues dans les arsenaux américains et russes (5) que chez les « proliférants » virtuels.
Simplement, sans être nécessairement enthousiaste de cette guerre, on doit observer :
1° que l’intention de faire la guerre à Saddam Husseïn n’a guère été « dissimulée », entre 1991 et 2003, et même dès les années 1980 où la Grande Bretagne soutenait l'Iran, par le gouvernement de Londres ;
2° que le peuple anglais, en votant, a tranché sur le mensonge dont il aurait été la « victime » ;
3° que les dirigeants et les médiats français ont largement contribué à nous intoxiquer quant à la vraie nature du régime baassiste de Bagdad, du moins si nous en croyons le communiqué élyséen de 2003 saluant « la chute du tyran ».
Dans ce contexte, le débat intereuropéen, au lendemain du vote français du 29 mai et du vote néerlandais peut être regardé autrement.
Comme nous l’avions souligné à l’avance, le non français a merveilleusement servi les objectifs très clairs, affirmés très publiquement par la diplomatie britannique.Londres n’a jamais, dans ces questions, dissimulé ses positions fondamentales. On ne peut pas lui reprocher d’avoir astucieusement joué de la boule française dans son jeu de billard.
Or, la vraie question à se poser est aujourd’hui la suivante : vaut-il mieux, pour que l’Europe avance, miser sur la présidence britannique qui commencera le 1er juillet, pour 6 mois seulement (je serais tenté de dire : hélas) ou continuer à tout investir sur le couple franco-allemand comme le fait M. Chirac.
Là aussi, nous devons souligner un certain nombre de nuances. Cette notion semble étrangère à des gens comme Chirac et Villepin. Elle ne doit pas échapper aux lecteurs de l’Insolent. Les bonnes relations entre la France et l’Allemagne sont une donnée essentielle pour l’avenir de l’Europe. Et on doit regretter que M. Dumas se soit plus préoccupé de sa liaison avec Mme Deviers-Joncours au début des années 1990, plus que des partenariats franco-allemands aussi bien dans l’heureuse libération de l’Europe centrale que dans la tragédie yougoslave.
Simplement, aujourd’hui, le « couple » monopolistique, dirigeant à l’avance les décisions des conseils européens, les opposants au besoin à la réalité du concert européen des nations, cela appartient à une époque désormais révolue. M. Tony Blair l’a clairement dit : il a raison (cf. article « La Fin d’une liaison »).Les grands habiles nous diront : l’affrontement franco-britannique ne porte pas seulement sur les institutions de l’Union.
C’est aussi un heurt entre des intérêts nationaux.
Car, l’Angleterre s’accroche égoïstement au « rabais » brillamment négocié par Margaret Thatcher en 2004, réduisant de 4,6 milliards d’euros la contribution « normale » de Londres au budget de l’UE ce qui dure depuis 20 ans et « il faut que cela cesse » cependant que nous, Français, nous sommes attachés à la PAC.
Tout d’abord, j’admire ici nos amis allemands de persister à se sentir ligotés par notre attachement. Je doute simplement que cela survive à une victoire souhaitable de Mme Angela Merkel.
D’autre part, M. Blair pose la bonne question : avant de demander au contribuable britannique (qui cotise « net » plus que le contribuable français) de mettre la main à la poche, il faudrait peut-être repenser un mécanisme où 40 % du budget européen passe en subventions pour un secteur 2 % des emplois.
Enfin, et c’est un point que, depuis 1990, je développe dans cette chronique, tout éprouvant quand même le sentiment d’être un peu seul à prêcher dans le désert : il devrait être totalement clair que les principales victimes de la politique agricole sont les campagnes françaises ruinées par les bureaucrates et les syndicalistes, parlant au nom de « l’agriculture ».
Je l’ai déjà souligné, et personne n'ose le dire : la présence démographique paysanne est désormais plus forte au Royaume Uni (Highlands d’Écosse comprises) qu’en république bananière hexagonale.
Sans le savoir peut-être (6), M. Tony Blair est donc un bien meilleur défenseur des vrais intérêts de la France que M. Chirac et que M. de Villepin.
Je le sais : ce n’est pas difficile.
JG Malliarakis
©L'Insolent
(1) Nous avons longtemps entendu parler, par exemple, de la politique « arabe » de la France et, en certaines circonstances, on a pu trouver estimable l’action d’un Michel Jobert. En son temps, j’aimais bien ce personnage dont on devrait relire, honnêtement et intégralement, le discours lors de la conférence d’Helsinki de 1974. Simplement, nous ne sommes plus en 1974, nous sommes en 2005 et nous appelons « politique arabe de la France », une politique qui n’a plus rien à voir avec des liens traditionnels développés au Maroc, en Égypte, au Liban ou en Tunisie, mais une rhétorique où nous prétendons adorer tous les pays arabes et incarner la démocratie, mais où nous ricanons de ces « grands benêts d’Américains » rêvant d’instaurer des régimes démocratiques dans le Proche-Orient.(2) Désormais ce mot, que j’écrivais avec une minuscule me semble appeler des guillemets.
(3) Corrigeons en cette occasion un contresens habituel sur le vers de La Fontaine : « La fourmi n’est pas prêteuse, c’est là son moindre défaut ». Le « défaut », c’est éventuellement, d’être « prêteuse ». La fourmi ne l'est guère.
(4) C’est à un Anglais Sir Basil Lidell Hart que l’Occident doit la redécouverte de Sun Tzu initialement traduit par un jésuite français au XVIIIe siècle, le P. Amiot.
(5) Voire même israéliens.
(6) J'écris « peut-être » car au fond de lui-même M. Blair aime assez notoirement notre pays. Quand il vient y passer ses vacances familiales, je ne crois pas que ce soit par masochisme (enfin, « ces gens–là sont capables de tout»).
Revenir à la page d'accueil… Utiliser le Moteur de recherche… Accéder à nos archives…
Vous pouvez aider l'Insolent ! : en faisant connaître notre site à vos amis en souscrivant un abonnement payant