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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
MARDI 21 JUIN 2005
DE L’EUROPE SIMPLE À L’EUROPE COMPLEXE
L'Europe « trop simple » de Jean Monnet et de Robert Schuman appartient au passé. Vaclav Klaus propose de repartir sur un projet de « 20 ou 25 pages maximales ne cherchant pas à prendre parti sur la vie des gens. » Il faudrait s'emparer de cette proposition.
Depuis 1950, la cause européenne nous semblait simple. Un rappel n’en est pas inutile. A-t-on oublié ?
C'était une idée simple, peut-être simpliste...
A-t-on oublié que cette idée simple résultait d’abord d’une volonté d’en finir, une fois pour toutes, avec l’antagonisme franco-allemand. Faut-il retracer ici les affrontements entre les deux parties du « Frankenland » ? Faut-il rappeler que l’héritage de Charles le Chauve et celui de Louis le Germanique se sont séparés au IXe siècle. Jusqu’à l’élection de Charles Quint, au XVIe siècle, faut-il rappeler qu'ils se sont l’un et l’autre étendus au détriment de la Lotharingie. Faut-il rappeler que tout cela produisit des conflits dévastateurs qu’il serait trop long d’énumérer ? A-t-on oublié combien, de 1648 à 1815, la dévastation s’est surtout exercée au détriment de l’Allemagne ? A-t-on oublié comment, de 1871 à 1944 elle a surtout saccagé le territoire de la France. A-t-on oublié qu'au bout du compte, l’Europe entière en a été victime, les guerres franco-allemandes dites « mondiales » ayant plus particulièrement endeuillé notre Vieux continent.
C'était encore une idée simple, peut-être simpliste...
A-t-on oublié que la « déclaration Schuman » du 9 mai 1950 venait particulièrement d’un homme des marches de l’est. A-t-on oublié que ces provinces ont été ballottées, d’une paix à l’autre, d'une guerre à la suivante, d’un côté ou de l’autre de la grande cicatrice séparant les 5 États de « l’espace rhénan » ? Il n’est pas indifférent non plus que l’Europe dite « des droits de l’homme » ait pour capitale Strasbourg.
Toujours une idée simple, peut-être simpliste...
De 1950 jusqu’au traité de Maastricht, l’idéal sous-jacent à la construction européenne pouvait sembler presque limpide : rapprocher puis rassembler les peuples.
Dans les premières années, — l'a-t-on à ce point oublié ? — deux conceptions de ce rapprochement se sont vues confrontées.
L’idée fédéraliste, plus ou moins utopique, existait certes chez les cadres politiques, ceux de la démocratie chrétienne encore très influente et ceux du socialisme démocratique. Leur projet mettait l’accent sur la fusion des institutions politiques au sein de la Petite Europe « carolingienne », celle qui en définitive signera le traité de Rome de 1957, avec les 5 pays « rhénans », plus l'Italie « lotharingienne. »
A-t-on aujourd'hui oublié combien nombreuses étaient les réticences face à un tel projet, particulièrement en France. Au sein de notre « chère » classe politique tout un arc, que nous appellerions aujourd’hui souverainiste, allant, à l’extrême droite, des diverses nuances du nationalisme (maurrassiens, barrésiens, bonapartistes) jusqu’au parti communiste, en passant par la frange la plus anticléricale du parti radical, y compris Édouard Herriot dont ce fut la dernière intervention, par le mendésisme et par l’appareil gaulliste – toute la coalition hétéroclite du « non » du 29 mai 2005 était déjà en mesure, sous la défunte IVe, d’empêcher le 30 août 1954, la mise en place de la Communauté européenne de Défense.
Rappelons le parallélisme : ce projet de CED avait été rédigé par les Français et il allait être rejeté par eux.
Au lendemain de cet échec, les conceptions plus « réalistes » d’un Jean Monnet allaient progressivement éclipser le fédéralisme européen des premières années.
Encore des idées simples, peut-être simplistes...
On doit rappeler cependant que dès le discours fondateur de Robert Schuman, l’Europe avait pour principal inspirateur, discret mais omniprésent, le citoyen Jean Monnet. Cet honnête marchand de cognac proposait une démarche moins romantique, mais plus réaliste, que celle des fédéralistes. Sa force était de toucher à tous les milieux. Avant et pendant la guerre il est proche des cercles américains et britanniques. Il contribue à faire basculer l’Afrique du nord « giraudiste » dans l’escarcelle du général De Gaulle. Ceci fera de Jean Monnet le père de la planification française. De conviction socialiste et « laïque », il entretenait des relations au Vatican, etc.…
L’Europe de Jean Monnet a jeté les bases sur lesquelles fonctionnent aujourd’hui encore les institutions européennes, « pragmatiques », contournant les antagonismes nationaux et étatiques sur la base d’intérêts économiques communs et de projets concrets, sans jamais toucher au « principe de souveraineté » (en théorie) et en le vidant de toute substance (en pratique). Ce n’était pas glorieux, peut-être. Pas de charge de Reichshoffen. Pas de général Guderian. Tout de même : une assez belle réussite puisque finalement, de crise en crise, l’Europe pratique, dans la vie de tous les jours, dans l'état d'esprit des jeunes générations, a beaucoup avancé.
Reste que cette démarche, directement liée aux idées de «Synarchie», n’a jamais embrayé très fort dans le sentiment des peuples. Et le referendum français a donné « raison » aux nostalgiques de la « démocratie nationale ».
Cependant, si la méthode Jean Monnet pouvait sembler subtile, voire hypocrite, l’objectif restait simple : aboutir à un ordre européen plus ou moins fédéraliste, « confédération d’États » sur la base des réalisations « communautaires ». L’exaspérante négociation permanente « intergouvernementale » n’était que la noria où les ânes souverains aveuglés faisaient tourner bien clairement le moulin supranational d’une construction européenne tendant à l’unité politique, une fois surmontés les clivages nationaux des intérêts économiques divergents.
À partir des années 1990, le projet simple, sinon simpliste, a commencé à donner des signes de faiblesse.
L'Europe, jusqu'alors simpliste, est alors devenue de plus en plus compliquée.
En réalité, on doit bien comprendre, aussi, la part de l’affaissement de la France dans ce trouble.
Entre 1950 et 1970, la France faisait figure de principale puissance à l’ouest du continent européen. Son influence dans le Tiers-monde faisait illusion. Son relèvement économique entamé sous la IVe république la dotait d’une prospérité enviable. Sa capacité militaire était encore crédible. Dans ce contexte, les Français disposaient d’une influence considérable en Europe.
On peut dire que la rédaction du TCE sous l’égide de M. Giscard d’Estaing aura marqué le chant du cygne de cette Europe de conception française dont le signal avait été donné par Jean Monnet, puis par Jacques Delors et par son collaborateur. La technocratie française en effet n’a pas mesuré l’évolution du monde, le recul du pays sous trois présidences désastreuses depuis 1974 (Giscard, Mitterrand, Chirac enfin qui achève de ridiculiser son pays, le nôtre), mais aussi la complexité croissante des problèmes auxquels l’Europe est confrontée.
Dans cette complexité, le passage de 150 millions d’Européens à 450, ou même le fait que l’Europe à 27 (incluant la Bulgarie et la Roumanie) comptera 11 pays anciennement communistes n’explique pas tout. Au contraire, on serait presque tenté de dire que la volonté de maintenir des réponses « simplistes » c’est-à-dire des réponses étatiques à des problèmes nouveaux explique l’échec des dernières années à partir de la réunion de Nice de décembre 2000.
En 1962, la crise aboutissant à la désastreuse PAC, politique agricole commune, prétendait résoudre un problème binaire, celui du rapprochement et des échanges entre une « Allemagne industrielle » et une « France agricole ». L’erreur colossale et majeure de la technocratie gaulliste fut d’imposer la PAC dont le résultat fut sans doute un prodigieux essor de la productivité quantitative, à l’hectare ou rapportée au travail humain, des exploitations agricoles dont les surfaces ont été multipliées par 4 ou 5, mais en même temps cela s’est traduit par la ruine des campagnes françaises et la désertification des villages. L’accord franco-allemand fit du budget agricole la grande affaire de la communauté européenne qui traîne toujours ce stupidissime boulet.
40 ans plus tard, les Européens sont confrontés à des choix beaucoup plus sophistiqués. Ce ne sont certainement plus les administrations qui pourront donner l’illusion de les résoudre.
Il faudra donc gérer cette complexité en cessant d’imaginer résoudre les confrontations d’intérêts par des négociations intergouvernementales et des réglementations communautaires. La normalisation des structures économiques, la suppression progressive des aides d’État, l’ouverture systématique à la concurrence offriront progressivement un cadre de compétition rendant inutile les arbitrages politiques.
L’Europe simpliste s’était embourbée dans la reconnaissance et la répartition de droits arbitraires rendant son projet illisible. Une anecdote typique veut que Giscard, ce « père » du texte soumis à referendum, ait protesté auprès de Chirac contre la maladresse tendant à le diffuser dans on indigeste intégralité. Mais précisément pourquoi sa « Convention » a-t-elle cru bon de faire figurer le catalogue insipide des « droits » reconnus aux syndicats, aux minorités sexuelles, aux gens du voyage, aux animaux, etc.…
Dès le lendemain du referendum français le président tchèque Vaclav Klaus proposait de repartir sur des bases beaucoup plus modestes, sur un projet de « 20 ou 25 pages maximales ne cherchant pas à prendre parti sur la vie des gens. »
Il faudait le prendre au mot, s’emparer très vite de cette excellente proposition et obliger la Grande-Bretagne à prendre, enfin, ses responsabilités : un dispositif beaucoup plus restreint conviendra beaucoup mieux à cette situation complexe dont personne ne peut préjuger de l’évolution.
Certes, si on en arrivait là, les partisans du « non de gauche » se trouveraient grugés et nous ne les en plaindrons pas. N’oublions pas que le « non de gauche » n’est pas majoritaire car il représente à peine 40 % de l’électorat face à 45 % de « oui » (malgré Chirac) et quelque 15 % (au moins) de « non de droite ».
JG Malliarakis
©L'Insolent
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