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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

VENDREDI 2 SEPTEMBRE 2005

DU PIPEAU ABSOLU

« Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. » (Alexis de Tocqueville)

« C’est du pipeau absolu » : ce commentaire apparemment lapidaire, et que certains trouveront, a priori, excessif vient de M. Élie Cohen, membre du Conseil gouvernemental d’Analyse économique. Publié dans le Monde (1), il porte sur les mesures annoncées par le gouvernement Chirac-Villepin dans l'intention affichée de protéger les secteurs prétendument stratégiques, en contrevenant d'avance d'ailleurs à l'article 56 du traité de Rome.

Pour être francs, nous ne trouvons pas excessif ce commentaire de M. Élie Cohen, mais au contraire excessivement pertinent.

On pourrait, on devrait plutôt, l’étendre à l’ensemble (2) de l’action et de la doctrine industrielle développées, de manière de plus en plus inquiétante par l’appareil gouvernemental parisien : les 10 secteurs dits stratégiques, les 67 prétendus pôles de compétitivité, les déclarations sur le « patriotisme économique », tout cela ressemblant fort à une politique de poudre aux yeux.

Cet affichage ne trompe personne. Il n’est qu’une caricature de communication. On avait ironisé sur les 100 jours du gouvernement investi le 8 juin : au terme de cette période fatidique, nos néobonapartistes iraient sans doute se retirer à Sainte-Hélène.

Mais en réalité, loin de se tenir pour vaincu, M. de Villepin déclare maintenant disposer de 20 mois, le temps d’une interminable (et coûteuse) campagne électorale.

Je trouve quelque ironie, je l’avoue, à prendre connaissance de toutes ces paillettes, de toutes ces grandes phrases jetables et de toutes les gesticulations gouvernementales au moment où, par ailleurs, je mets une dernière main, dans le cadre de ma petite activité artisanale, à la maquette des Harmonies économiques de Frédéric Bastiat (3). Ces lignes écrites il y a un siècle et demi réfutent, entre autres, par anticipation toutes les intentions, actuellement affichées par l’État, tant en matière d’intervention « industrielle » que de redistribution sociale.

Si même, par conséquent, la politique de M. de Villepin n’était pas du « pipeau absolu » pour reprendre l’expression d’Élie Cohen, ce serait, c’est, pire encore. Ce serait, et dans une grande mesure, c’est effectivement, de la destruction absolue.

Si M. de Villepin, qui se targue d’avoir des lettres, avait d’ailleurs la moindre connaissance de l’œuvre de Bastiat, il investirait son « patriotisme intellectuel » à remarquer combine cet économiste français corrige et se démarque de « l’école anglaise » (Adam Smith, Ricardo) dont il voit, plus de 20 ans avant la publication par Karl Marx (4) du Capital combien certaines erreurs, de l'économie libérale classique (5) sur la Théorie de la valeur conduisent effectivement au communisme. N’est-il pas intéressant de remarquer aussi combien nombre d’idées de Bastiat annoncent cet autre ouvrage essentiel de Ludwig Von Mises l’Action Humaine (6). Autrement dit, supérieur aux économistes classiques anglais, antérieur au maître de l’économie autrichienne, le Landais Bastiat mérite mieux qu’une petite rue discrète à Paris et une petite statue dans son joli village de Gascogne en vue des Pyrénées.

Si on veut vraiment repenser (7) le « modèle social français », mis en place entre 1936 et 1945 par des disciples de Staline caricaturant Bismarck, il pourrait utilement se référer à des penseurs authentiquement français comme Bastiat ou Tocqueville (8), admirés dans le monde entier et ignorés dans leur patrie…

Souvenons-nous quand même comment cela a commencé cet été : par des incantations outragées sur le caractère stratégique de Danone, sur la sécurité alimentaire. Nous en sommes maintenant à faire plaisir aux lobbies syndicaux agricoles en programmant pour 2008 un taux de biocarburants de 5,75 % (9).

Pendant ce temps-là, on estime qu’en 2005 le nombre des défaillances d’entreprises devrait être de 51 000. Un record.

Pendant que l’État fait des discours, promet des interventions, redistribue un argent qui n’existe pas, la substance créatrice de l’économie s’effondre, le niveau compétitif du pays s’enfonce. Tout simplement les charges globales imposées aux créateurs de richesse et aux producteurs de service (= de valeur) sont de plus en plus dissuasives et décourageantes.

En 80 jours Philéas Fogg faisait le tour du monde.

En 80 jours M. de Villepin n’a pas fait le tour du problème français. Pas question de toucher aux monopoles, au « modèle », etc.…

Il est bien peu probable qu’il s’en préoccupera même, sinon sous l'effet bénéfique de la concurrence, et sous la pression souhaitable d'une opinion véritablement réformatrice, dans les 20 mois qui lui restent…

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) édition du 2 septembre.

(2) ayons l'honnêteté de reconnaître une vraie mesure positive : la création du Contrat Nouvelle embauches, conçu précisément pour les petites entreprises, et dont je regrette seulement qu'il ait été mis en place par voie d'Ordonnance.

(3) à paraître fin octobre.

(4) le Livre Premier du Kapital paraît en 1867, soit 5 ans après la parution posthume des Œuvres complètes de Bastiat, et 17 ans après la rédaction la première publication des Harmonies économiques, en 1850 année qui vit la disparition prématurée de l'auteur.

(5) Évidemment ce n'est pas par préjugé chauvin que Bastiat critique l'erreur des grands classiques britanniques sur la Théorie de la valeur. Il critique en effet la même erreur chez Jean-Baptiste Say. Pour faire court, l'échange ce n'est pas "des marchandises contre des marchandises" mais "des services contre des services". Là aussi la redécouverte des Harmonies économiques de Bastiat serait extrêmement féconde pour une époque où les exportations françaises non subventionnées ce sont d'abord des services, et où finalement toute la politique économique de l'État central français tend à pénaliser les services.

(6) Cette somme de 942 pages, dans l'édition française, a été éditée à Chicago en 1949, soit un siècle après Bastiat, et traduite aux PUF en 1985 par le regretté Raoul Audoin.

(7) Il existe à ce sujet une émulation et une nuance évidentes entre Villepin et son rival Sarkozy, ce dernier étant légèrement plus critique.

(8) « Le plus grand soin d'un bon gouvernement, disait Alexis de Tocqueville, devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. »

(9) L'État français sera de la sorte, et pour une fois, « en avance » de 2 ans sur les recommandations de Bruxelles ! Cocorico !

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