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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
LUNDI 5 SEPTEMBRE 2005
LE GRAIN DE SABLE DE CROMWELL
Où sont les Monk et les Thatcher de la France actuelle ?
Je crois avoir donné suffisamment de preuves de mon hostilité à la politique du chef de l’État pour pouvoir dire, évidemment, que son état de santé n’appelle en lui-même d’autre sentiment qu’un vœu de prompt rétablissement.
À vrai dire, du reste, il semble jusqu’à maintenant probable qu’il s’agit seulement d’un « petit accident » cardiovasculaire. Soigné par les équipes du Val de Grâce, M. Chirac va certainement retrouver rapidement toutes ses capacités. On l’imagine mal restant cloué, inerte, sur un lit d’hôpital et son dernier séjour à l’hôpital Cochin en 1978 n’est pas passé inaperçu…
En revanche, le coup de semonce que représente cette petite alerte mériterait certainement une vraie réflexion.
Évidemment l'article 7-4 de la Constitution et sa (fausse) procédure d'empêchement (1) ne résout rien puisqu'il n'existe aucune autorité juridique indépendante pour déposer légitimement, contre son gré, un président aux capacités seulement diminuées.
L’un des signes du déclin des systèmes n’est-il pas d’ailleurs de tout vouloir prévoir dans la Loi ? Veut-on par exemple prévoir dans le détail le cas d’incapacité (temporaire ? totale ? partielle ?) du président de la république : la chose est à l’évidence impossible.
On pourrait même se demander si, déjà, son récent discours volontariste « relançant l’innovation industrielle » (le 30 août), le chef de l’État ne témoigne pas d'une vraie « grosse fatigue »…
Le pouvoir constitutionnel du président de la république français n’a d’équivalent dans aucune démocratie européenne. Il faut aller chercher à Cuba ou au Venezuela pour trouver l’équivalent d’une telle concentration juridique et pratique de pouvoirs et de prérogatives entre les mains d’un seul personnage.
On entend parfois certains constitutionnalistes présenter le Premier ministre britannique comme une sorte de « dictateur » uniquement soumis au vote, tous les 5 ans, des sujets de Sa Gracieuse Majesté.
C’est oublier d’abord que tous les mardis il doit rendre compte de son action, de manière informelle mais cependant très complète à son vigilant souverain. C'est faire bon marché du parti majoritaire à la chambre des Communes. D’autre part le pouvoir judiciaire anglais demeure totalement incontrôlable par le gouvernement. Enfin, si, en théorie, le parlement de Westminster et sa majorité peuvent constitutionnellement « tout faire sauf transformer une femme en homme », dans la pratique ce « pouvoir législatif » a largement renoncé à un tel « volontarisme », au moins depuis la révolution thatchérienne de 1979. En effet, la doctrine désormais commune à la majorité des Tories et du New Labour (au pouvoir depuis près de 10 ans, contesté certes par une frange gauchisante comme celle du maire de Londres), c’est de renoncer au « constructivisme » qui avait prévalu chez les travaillistes de 1945 à 1997.
En soulignant ce fait nous n’ignorons donc pas que la Grande-Bretagne a connu dans son histoire de franches tendances dictatoriales.
La plus notable a été, bien entendu, celle de Cromwell, d’abord chef politico-militaire du parti puritain pendant la guerre civile (1642-1648) massacreur des Irlandais à Drogheda (10 septembre 1649), vainqueur des Écossais (1650-1651), bourreau du roi Charles Ier (27 janvier 1649) et enfin lord protecteur du Commonwealth (1653-1658). Progressivement il avait dépouillé le Parlement de tous ses pouvoirs – devenu le Parlement croupion. Au total la démocratie cromwellienne reposait sur un homme et ne lui survécut pas.
Car un petit accident de santé, le fameux « grain de sable » dont il mourut, en sa 60e année, interrompit sa funeste carrière.
Il se voulait l’homme de la Providence, mais la Providence après lui avoir conféré (Humble Petition and Advice de mai 1657) le droit caractéristique de nommer son successeur, le rappela vers l’enfer, dont ce fils n’aurait jamais dû sortir, le 3 septembre 1658.
Après quelques mois de gouvernement de son fils Richard (1658-1659), l’Angleterre retrouva sa monarchie parlementaire et sa liberté. Symboliquement le cadavre du Lord protecteur fut déterré de l’abbaye de Westminster et pendu au gibet de Tyburn.
Entre-temps, bien évidemment Cromwell avait réussi à imposer l’Acte de Navigation protectionniste de 1651.
Même si l’histoire de ce vilain personnage ne nous console pas de l’héritage robespierriste et bonapartiste français, il nous montre que les nations sont guérissables ; et elles peuvent se trouver guéries parfois grâce à ce petit « grain de sable de Cromwell » évoqué par Pascal son contemporain et qui perturbe des systèmes reposant en général sur le pouvoir tout puissant d’un individu.
Ceci nous amène donc à rappeler que l’existence de puissantes institutions, notamment celle de véritables parlements, celle de corps constitués, celle de franchises locales sont l’antidote à la fois du pouvoir personnel et aussi du « constructivisme ».
Il me semble capital de constater, notamment au gré de l'expérience historique contemporaine, que les hommes de l'État, présentés pour « providentiels » sont faillibles et corruptibles par nature et qu'ils sont porteurs de tous les projets utopistes rejetés naturellement par la grande majorité des opinions populaires véritables.
La Constitution de 1958 aggravée en 1962 a fait de la république bananière hexagonale un pays fragilisé, sous les apparences sud-américaines d'un pouvoir fort. L’arbitraire d’un pouvoir réglementaire envahissant, une législation de plus en plus incompréhensible et des moyens d’information largement dominés par le syndicat des sans-cervelle ont abaissé le pays que le parti gaulliste avait la prétention de redresser.
Il y a à peine une semaine M. de Villepin croyait disposer du 20 mai pour développer une concurrence avec le président de l’UMP. On croit ainsi tout prévoir, (2). Et puis, pffuiit, dans un système pareil, tout peut arriver : c’est cela le grain de sable de Cromwell…
Ne nous y trompons pas, cependant : en 1660 comme en 1979 ce qui aura sauvé l’Angleterre ce ne fut pas seulement les circonstances, ce fut aussi la volonté et l’intelligence d’un Monk ou d’une Thatcher…
Où sont les Monk et les Thatcher de la France actuelle ?
JG Malliarakis
©L'Insolent
(1) L'article 7 alinéa 4 de la constitution de 1958 dispose seulement ceci : « En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d'empêchement constaté par le Conseil Constitutionnel saisi par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les fonctions du Président de la République, à l'exception de celles prévues aux articles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exercées par le Président du Sénat et, si celui-ci est à son tour empêché d'exercer ces fonctions, par le Gouvernement. »
(2) Peut-être même imagine-t-on secrètement de chauffer le siège du « réconciliateur », « unificateur » et « sauveur » de la droite, Alain Juppé le jour où, courant 2006, sa condamnation sera oubliée.
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