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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

Lundi 12 SEPTEMBRE 2005

LE MYTHE DU GRAIN À MOUDRE

La Courneuve, le 10 septembre : la gauche française a encore du mal à inventer la sociale démocratie !

Les remous de La Courneuve, probablement provocateurs ont permis aux médiats de nous montrer un Laurent Fabius « accompagné de son bras droit Claude Bartolone, élu de Seine-Saint-Denis où les relations PS/PCF sont tendues (…) assailli à son arrivée par les caméras et les micros, dans un chahut où se mêlaient invectives et encouragements, jet d'œuf et crachats » et une Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, (usant) de toute son autorité et de sa colère pour ramener le calme » (1).

Avec plus de 40 ans de retard sur la gauche allemande, la gauche française a donc encore du mal à inventer la sociale démocratie, à effacer les traces du congrès d'Épinay de 1971 et à faire son propre congrès de Bad Godesberg.

Cependant cela ne nous interdit pas de nous demander si le programme social-démocrate lui-même n'est pas dépassé avant même d'être proposé.

En 1988, le regretté André Bergeron publiait un livre sous le titre assez évocateur « Tant qu’il y aura du grain à moudre ». Il y défendait un syndicalisme du possible, courageusement réformiste, après avoir incarné cette ligne à la tête de Force Ouvrière dont il avait été secrétaire général de 1963 à 1987. Inutile de dire, s’agissant de son successeur Marc Blondel, lui-même continué par Mailly, l’un comme l’autre issu du sérail trotskiste, combien la marge était grande.

Il faut aussi remarquer combien le thème du « grain à moudre », dans son ambiguïté sert aussi les adversaires de ce réformisme : les partisans du socialisme de l’impossible (2).

Ainsi, en 1994, la publication destinée au bourrage de crânes du public scolaire « Alternatives Économiques » lançait le slogan de ce « grain à moudre » en phase d’embellie économique. De même en 2000-2001, les fameuses « lois Aubry » s’installaient, sans crainte du lendemain, parce que quelques mois fastes d’une conjoncture imprévue permettaient aux journaux de parler, de manière entièrement fausse d’une prétendue « cagnotte de l’État » (3). Aujourd’hui, nous en sommes encore là. M. François Kamarz, économiste statisticien, spécialisé dans « l’évaluation des politiques publiques » et professeur à l’École Polytechnique fait ainsi remarquer : « Je prouve statistiquement que 2 et 2 font 4 » (4). Or, cette arithmétique n’est toujours pas reçue de manière objective et uniforme dans toute la classe politique de notre pays qui s’enorgueillit, un peu abusivement d’être la patrie de René Descartes. « Les Socialistes, précise-t-il, s’acharnent à prouver que cela fait 5 ».

M. François Kamarz distribue d’ailleurs ses constats de manière impartiale. « Je me contente de démontrer, à l’aide d’appareils statistiques sophistiqués, dit-il encore, les succès et les échecs des politiques. Nous avons prouvé que le passage de la semaine de 40 à 39 heures avait détruit de l’emploi, mais nous avons également démontré que la Loi Royer sur la grande distribution, votée sous Giscard, avait aussi détruit de l’emploi. »

Évidemment, la symétrie est un peu artificielle : la loi d’orientation du commerce et de l’artisanat date de 1973 (gouvernement Messmer sous la présidence de Pompidou). Elle n’a pas seulement détruit des emplois salariés, elle a également permis d’aggraver la crise du commerce indépendant et des entreprises artisanales qu’elle prétendait défendre. Et incidemment elle a beaucoup contribué au financement corrupteur des grands partis : RPR comme socialistes, y compris communistes…

De toute évidence à vrai dire le « grain à moudre » dont se réclamait Bergeron a perdu de sa substance aussi bien en France qu’en Allemagne. Il est à remarquer d’ailleurs que la Grande Bretagne, tout en demeurant prudente depuis l’arrivée au pouvoir de Tony Blair en 1997 vivra bientôt, probablement autour de 10e anniversaire de son New Labour, quelque chose d’équivalent à la crise de la sociale démocratie allemande, car les marges de son grain à moudre y ont été mangées petit à petit et la dépense publique remonte...

Le véritable débat devrait donc désormais porter, non pas sur la manière de « moudre le grain », mais sur la façon de le laisser produire ; non plus sur la redistribution des richesses mais sur leur création.

Et si on devait retenir une chose positive dans les déclarations gouvernementales de 2005, c’est d’avoir remarqué que l’emploi et la croissance reposaient sur les 2,5 millions d’entreprises françaises qui sont à 90 % des petites entreprises.

Cela étant, il y a le « dire » et il y a le « faire ».

Dans un environnement social comme le nôtre, il ne sert de rien de baptiser lapin la carpe et de lui dire : cours. Cette carpe ne courra jamais.

Bien entendu les appareils syndicaux sont grandement responsables.

Lorsqu’on entend parler d'un projet d’intéressement dans les entreprises d'État, on se demande quand même si des gens comme Louis Gallois (5), qui proposent cet « intéressement » au sein de la SNCF, ne se moquent pas tout simplement du monde. Il n'y a jamais eu de véritables bénéfices depuis la loi de 1937 nationalisant les chemins de fer. Chacun devrait le mesurer et poser la question  : comment pourrait-on mettre en place l’intéressement aux bénéfices dans une entreprise (administrative) vivant, depuis toujours, des subventions de l’État et des collectivités locales ?

Il est vrai qu’il s’agit peut-être, dans l'esprit de la direction de la SNCF, d'associer les représentants du personnel aux résultats (faussés) de l'entreprise, de les associer au moins psychologiquement aux « intérêts de la boîte ». Il s'agit peut-être simplement de rompre avec une logique, laquelle a prévalu jusqu’en 2003, et où les bureaucraties syndicales imposaient une doctrine de la « grève nationale » (grève par définition indépendante des problèmes de l’entreprise) où les cheminots se mettaient en grève « au nom de la classe ouvrière » — et devraient donc être payés pour les jours de grève.

On pourrait donc rendre ici hommage, sur ce point, à MM. Delevoye dans la fonction publique, Raffarin premier ministre et Fillon dans l’Éducation nationale d’avoir mis, en 2003, un terme à cette pratique (6)…

Plus largement on doit enterrer le mythe du « grain à moudre » qui entraîne inéluctablement au refrain communiste et cégétiste « de l’argent, il y en a » et au mot d’ordre du fiscalisme et des voleurs : « il faut prendre l’argent où il est ».

Dès janvier 1795, Mallet du Pan pouvait écrire, à propos de la Révolution française, après la Terreur : « si le règne des assassins est suspendu, celui des voleurs ne l'est pas ». On se demande pourquoi, plus deux siècles plus tard, cette observation demeure indémodable.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) Les événements se déroulaient le samedi 10. Les citations sont tirées d'une dépêche AFP datée du lundi 12 septembre à 8 h 12.

(2) Celui-ci s'illustrait du slogan soixante-huitard bien connu « Soyez réalistes : demandez l’impossible ». Ça évite de réfléchir.

(3) Cagnotte voulait dire, en fait, « déficit moins élevé que
prévu ».

(4) cf. Le Figaro, du 7 septembre.

(5) M. Gallois est issu de l’entourage de Chevènement et il fut « par conséquent » nommé par Juppé en 1996 à la tête des chemins de fer de l’État central français.

(6) Tous trois ont été liquidés en 2005 lors de la formation du gouvernement Villepin : est-ce un hasard ?

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