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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
MARDI 29 NOVEMBRE 2005
UNE DROITE SOUS INFLUENCE
Quand MM. Chirac et Villepin déraillent selon leur habitude, M. Sarkozy en rajoute avec sa "discrimination positive"...
Il peut paraître surprenant de penser et de poser, aujourd'hui encore, et peut-être même plus que jamais, en termes de marxisme, et par conséquent d'anti-marxisme, le débat public français.
À bien des égards, un tel archaïsme implique, par lui-même, le désaveu du paysage idéologique de l'Hexagone.
Au moins n'entend-on plus guère employer l'expression de « peuple le plus intelligent de la Terre » (1) pour désigner la patrie de M. Chirac. Hélas, la plupart des Français, ou du moins des intellectuels, des technocrates, des communicateurs et des dirigeants politiques nominaux, contemplant impunément leur nombril, ne se sont pas rendu compte de l'évolution réelle des idées dans le monde. Ils croient vivre une époque mondialement « ultra-libérale », donc, du moins le pensent-ils, un temps se conjurant au détriment de notre beau pays. Et de la sorte, tout ce qui leur paraît s'opposer au libéralisme leur semble aller dans le sens éventuel d'une restauration partielle de la grandeur française.
On doit donc en avoir conscience : l'intelligence des Français « officiels », et leur capacité de diagnostic, s'agissant des maux dont ils souffrent, se trouvent elles-mêmes entravées par la vanité nationale. Cette forme d'imbécillité, – au sens propre du mot : cette faiblesse d'esprit, – constitue peut-être la part la plus trouble du syndrome hexagonal (2).
Tout d'abord un principe faux, ou plus exactement, une belle utopie, déviée de son objet initial, règne sans partage sur les cerveaux des dirigeants et jusqu'au fond des consciences de ce malheureux pays : nous voulons parler de l'égalitarisme.
Cet égalitarisme par définition pollue l'égalité « en droit ». L'abstraction sympathique un peu simpliste de la Déclaration de 1789, se voit ainsi transformée, et pervertie, en « droit à l'égalité », impliquant exactement son contraire.
Un tel nouveau « droit à », un tel nouveau faux droit, suppose évidemment un mécanisme de « compensation du handicap ». On en revient alors, non seulement aux louables « privilèges des vassaux » abolis le 4 août 1789, mais aux lois particulières du régime féodal, en attendant le retour du droit barbare des Mérovingiens : on n'arrête pas le progrès.
En matière de développement régional on avait inventé « l'aménagement du territoire » : l'expérience française a été un désastre.
En matière d'inégalités culturelles on parle de « discrimination positive » : l'expérience américaine s'est révélée, elle aussi, un désastre.
Si l'on cherchait la preuve de l'inanité de l'empirisme organisateur, cher à Auguste Comte, dès lors qu'on affaire à des utopistes, — et surtout s'ils sont de bonne foi, — on tient là un magnifique exemple. Les égalitaristes d'aujourd'hui sont les descendants des anabaptistes de Münzer du XVIe siècle (échec sanglant) ; ils sont les héritiers des « niveleurs » du temps de Cromwell dans l'Angleterre du XVIIe siècle (échec sanglant) ; ils sont les continuateurs des jacobins et de Robespierre (échec sanglant) ; ils sont les admirateurs du bolchevisme russe (échec sanglant), etc. ils se refusent, et se refuseront toujours, à tenir compte des leçons des expériences, qu'en définitive ils infligent aux peuples.
Non seulement il faudrait une sorte de courage intellectuel inouï à un homme du système pour s'écarter de l'égalitarisme, mais, plus encore, toute prise de position contraire à ce dogme de l'État républicain est entachée de mauvaise conscience.
Ainsi, le Figaro du 25 novembre titrait-il sur toute sa première page : « Bientôt une loi pour assurer l'égalité des chances ».
Et le quotidien de la bourgeoisie parisienne de détailler, avec gourmandise et complaisance, les dispositions que le gouvernement Villepin s'apprêterait à « mettre en place » pour faire avancer cette égalité « des chances ». Nous la savons tous, pourtant, parfaitement utopique, puisque les crétins n'auront jamais la même « chance » que les génies… À moins de considérer que le quotient intellectuel consacrerait un quelconque « mérite » des détenteurs de ce caractère essentiellement inné, si « injustement » réparti… Ne parlons même pas de critères encore plus arbitraires et aléatoires comme la beauté, la force, le talent, et même, en partie, le bon goût…
Les équipes chiraquiennes ne sont jamais en retard, s'agissant d'une sottise. Elles se proposent désormais de regrouper leurs « mesures » en une loi-programme, de lutter contre les discriminations à l'embauche, et de légiférer tout particulièrement dans le domaine du foncier et de l'urbanisme, en maltraitant un peu plus la liberté d'entreprendre et le droit de propriété.
Mais, dira-t-on, il s'agira là d'un simple saupoudrage électoral. Il apparaît à peine comme prématuré. Car le pouvoir se place en vue d'une élection présidentielle. Et celle-ci est encore prévue pour 2007, si la cinquième république et le suffrage universel existent encore à cette date, et si le locataire de l'Élysée ne reçoit pas un rappel de la Providence. Je dis cela comme j'aime à réapprendre toujours à parler convenablement d'un événement futur, c'est-à-dire en assortissant l'emploi de l'indicatif, de l'expression « avec l'aide de Dieu ».
Et les mêmes observateurs, faussement lucides, de la démagogie désordonnée de ce régime finissant, nous suggèrent d'aller voir dans la boutique concurrente la plus proche.
Un argument vient alors : « si vous n'êtes pas contents du Printemps allez donc aux Galeries Lafayette. Eh bien, désolé : ces deux excellents grands magasins n'y sont pour rien, mais, en l'occurrence, la camelote offerte proposée à la vente se révèle, ici, à peu près pareille.
Je ne parle pas des socialistes : ils auront encore beaucoup de chemin à parcourir pour effacer le souvenir ridicule de leur baiser lamourette du Mans.
Je parle à l'instant, sans faire de fixation sur les personnes, de M. Nicolas Sarkozy, décidément plus à l'aise, et plus sympathique, dans les réponses fermes aux invectives des voyous, que dans la précision des concepts et la délicatesse des idées.
Dans Le Figaro du 25 novembre, en effet, M. Sarkozy, qui souhaiterait donc sans doute être désormais surnommé, non plus Sarko mais Sar-coco, va plus loin encore que le gouvernement absurde, dont il fait partie : il signe une tribune intitulée « l'égalité des chances passe par la discrimination positive ». Tout est dit. En attendant de le faire.
La raison véritable de cette prise de position est plus terre à terre qu'on ne l'imagine à première vue. On ne saurait croire, évidemment, à un véritable pacte idéologique scellé entre M. Sarkozy et les forces militantes d'extrême gauche. En fait, ce que l'on nomme discrimination positive, dans un premier temps, « ne mange pas de pain ». Non seulement en effet pour les DRH des grandes entreprises, il est possible de recruter un certain contingent de jeunes professionnels issus de l'immigration, mais cela peut être avantageux.
On peut penser (et je pense) qu'il est légitime, qu'il moral, qu'il est d'intérêt national, de donner une chance à ceux d'entre eux qui veulent travailler, et qui entendent s'assimiler à la société française. À condition de le faire librement. C'est un premier point.
Mais, dans le contexte actuel on peut même considérer que cela coûterait éventuellement, moins cher que de recruter sans ce souci généreux, sans préjugé, et sans aucune « préférence étrangère ».
N'allons pas plus loin. Autant un recours contractuel et un accueil libre peuvent se révéler, éventuellement, féconds, – autant un contingentement technocratique, sous prétexte « d'immigration choisie » c'est-à-dire en fait « planifiée par l'État », autrement dit par des bureaucrates, – autant toutes les politiques baptisées « discrimination positive », mèneraient à un désastre dont nous n'avons eu que l'avant-goût.
Le grand danger du système actuel est alors de privilégier la culture du ressentiment, nourriture secrète de la prétendue « dialectique » marxiste (3). Et la discrimination positive la justifierait, la renforcerait, bien évidemment.
On touche, avec le facteur « émotionnel », à la base même du système analysé dans sa Sociologie du communisme par Jules Monnerot.
Un tel mécanisme s'applique aujourd'hui, certes, sans recevoir l'impulsion visible du centre soviétique de « l'Entreprise ». Le centre institué par Lénine en 1917 s'est vu définitivement liquidé par Boris Nikolaïevitch Ieltsine en 1991. Mais le dispositif fonctionne désormais de manière diffuse, en France plus que nulle part ailleurs. Il dispose à peu près exactement des mêmes réseaux de soutien, dans notre pays : on ne fera pas l'économie d'une lutte pour débusquer le système, comme héritage et comme nuisance, si l'on veut, demain, redresser la France.
Prétendre imposer par la loi, par le règlement, par l'autorité ce qui ne peut s'établir que par l'assentiment, c'est vouloir contraindre à l'amour : cette utopie ingérable a échoué aux États-Unis. Elle ne réussira pas plus de ce côté-ci de l'Atlantique.
Elle ne peut engendrer que le contraire du but dont elle se réclame.