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mercredi 31 mai 2006

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source http://permanent.nouvelobs.com/politique/20060531.OBS9774.html

"Le Pen : le sondage qui fait peur"

NOUVELOBS.COM | 31.05.06 | 18:20

Selon la Sofres, 31% des Français souhaitent que le leader du Front national soit candidat en 2007 et 36% pronostiquent sa présence au second tour.

C'est le sondage qui fait peur. A un an de l'élection présidentielle, il fait ressurgir le spectre d'un nouveau scénario catastrophe style 2002. Non seulement 31% des Français interrogés par la Sofres pour le Nouvel Observateur souhaitent que Jean-Marie Le Pen soit candidat en 2007, mais surtout 36% pronostiquent sa présence au second tour ! Parmi eux 81% des électeurs d'extrême droite mais aussi 30% des sympathisants socialistes et 35% des sympathisants UMP et UDF qui la redoutent.

Incongru

En 2002, aucun institut de sondage n'avait même songé à poser la question tant elle paraissait incongrue. Le Pen avait beau claironner à chaque meeting, à chaque intervention télévisée qu'il serait au second tour, personne n'y croyait. Encore une fanfaronnade, pensait-on ! Celle là était si énorme qu'elle prêtait à sourire. Lorsque le même Le Pen, pourtant vieilli, affirme aujourd'hui qu'il arrivera en tête au premier tour, donc qu'il sera au second, personne ne sourit plus. A gauche comme à droite, quand tout va mal, on évoque même quasi naturellement l'éventualité d'un nouveau séisme politique.

 

En 2005, lorsque le PS, profondément divisé par le référendum sur la Constitution européenne, sans leader, sans idées et sans alliés touchait le fond, paraissant incapable de redevenir rapidement une force d'alternance, certains en son sein même prédisaient une nouvelle bérézina pour 2007, avec un second tour droite-FN. En 2006, quand la droite implose, frappée par les émeutes dans les banlieues et la révolte de jeunes contre le CPE, minée par le scandale Clearstream sur fond de guerre Villepin - Sarkozy au sommet de l'Etat, certaines voix, et non des moindres, dans ses propres rangs pronostiquent un duel gauche-FN pour 2007.

Plus grave encore

Si pour la seconde fois en cinq ans Le Pen se qualifiait, donnant au monde entier le triste spectacle d'une France défigurée où l'extrême droite serait la deuxième force politique du pays, ce serait plus grave encore qu'en 2002. Le Pen avait alors bénéficié de l'incroyable contre-performance de Lionel Jospin due, entre autres, à la dispersion des voix de gauche sur les petits candidats.
Et à ce que le politologue André Blais a appelé « le vote stratégique inversé » : un électeur sur dix n'a pas voté pour le candidat qu'il voulait voir élu -Chirac ou Jospin- mais pour adresser un message d'insatisfaction à son propre camp. En 2007, il ne s'agirait plus d'une mauvaise surprise mais d'un choix délibéré. De la part de ceux qui, à gauche comme à droite, auraient éparpillé leur voix en refusant de voter utile alors qu'ils connaissaient les dangers et les conséquences d'un tel comportement.

Rien n'a disparu

La situation paraît d'autant plus préoccupante que rien de ce qui fait monter Le Pen n'a disparu. Tout concourt au contraire à renforcer un parti protestataire et un leader démagogue.
Jamais depuis la création de la Ve république, la déliquescence du pouvoir politique n'a été aussi forte : un président carbonisé, déconnecté des réalités du pays, qui ne pèse plus mais qui s'incruste ; un Premier ministre qui ne tient plus rien et qui doit sa survie au seul bon plaisir du président ; un ministre de l'Intérieur qui dit rester à son poste pour contrôler la police et se prémunir contre les coups bas portés contre lui par le chef de l'Etat et le chef du gouvernement. Le Pen ne pouvait rêver mieux ! D'autant que la situation économique et sociale aura rarement été aussi préoccupante et le moral des Français aussi bas.

Du Pain béni

Dans ce climat délétère, les émeutes dans les banlieues sont, aux yeux des Français, pain béni pour Le Pen : 70% pensent qu'elles favorisent sa présence au second tour.
Les images de jeunes gens cagoulés souvent issus de l'immigration qui ont cassé, saccagé, brûlé lui sont encore plus favorables que l'affaire Clearstream qui relance la vieille antienne du « tous pourris » ou que le mouvement anti-CPE qui symbolise à la fois l'autisme d'un pouvoir qui décide sans concertation aucune et sa faiblesse, puisqu'il a fini par tout céder.
Dans ce contexte, le potentiel électoral de Le Pen reste inquiétant. Selon notre enquête, on peut l'estimer entre 15 et 20%. En effet, 8% des personnes interrogées se disent sûres de voter en sa faveur, 9% affirment qu'elle voteront sans doute pour lui, et 10% n'excluent pas de le faire. Le Pen réalise ses meilleurs scores chez les commerçants, les artisans et les chefs d'entreprise ainsi que chez les ouvriers, ses plus faibles chez les cadres, les retraités et les titulaires de diplômes de l'enseignement supérieur.

Plus haut qu'en 2001

L'étude de la Sofres confirme donc les sondages d'intention de vote. A un an de la présidentielle, Le Pen est plus haut qu'il ne l'était en 2001. A l'époque, il était crédité de 6% des suffrages par Ipsos, de 8% par CSA, de 8,5% par la Sofres.
Aujourd'hui, il est déjà à 10% selon la Sofres, entre 11 et 14% selon Ifop. Sa popularité dans le baromètre Sofres-Figaro Magazine était de 8% en 2001, elle est de 18% début mai. Faut il rappeler qu'il a toujours été sous-estimé dans les sondages et qu'il a obtenu 16,9% le 21 avril 2002 ! On peut donc craindre que Le Pen réalise un score encore supérieur dans un an. Sera-t-il suffisant pour lui faire atteindre le second tour ? C'est une autre histoire. L'enquête de la Sofres montre aussi les limites de la capacité de progression du leader d'extrême droite.

Stabilité

Contrairement à ce qu'on croit généralement, l'adhésion aux idées de Le Pen ne progresse plus. Ce qui frappe même depuis fin 2003, c'est une étonnante stabilité : 23% des Français se disent d'accord avec ses idées, 74% en désaccord. On oublie souvent que l'adhésion était montée à 32% en octobre 1991 et qu'elle était encore à 28% en avril 1996 et en novembre 2003.
Lorsqu'on aborde, par exemple, l'insécurité et l'immigration, les deux thèmes qui constituent en quelque sorte le fond de commerce du FN, on constate que moins d'un quart des Français lui font confiance pour proposer des solutions efficaces. Ils comptent bien davantage sur l'UMP et à un degré moindre sur le PS et l'UDF. Encore faut-il prendre en compte le fait que les partis républicains ont beaucoup évolué en la matière et qu'ils ont fait en partie leurs certaines des idées de Le Pen qu'ils jugeaient sévèrement il y a vingt ans.
Autre frein à une montée spectaculaire du leader frontiste, son image reste mauvaise. 83% le jugent dur, brutal ; 81% raciste, 53% démagogique et 13% seulement sympathique. En revanche, 68% considèrent qu'il est un homme de conviction, 64% qu'il est le seul à parler de certains problèmes, 34% qu'il possède des valeurs morales et 23% qu'il est à l'écoute des Français. Le Pen est encore jugé sévèrement, il n'est plus diabolisé.

La barre des 20%

Résumons : les idées de Le Pen ne progressent plus mais elles sont approuvées par un bon cinquième des Français, ce qui constitue un socle électoral solide.
Le président du FN fera sans doute un bon score de premier tour, peut-être même meilleur que celui de 2002. Il peut même frôler la barre des 20%, ce qui en dirait long sur la crise politique et morale que traverse notre pays. Tout dépendra donc, à droite comme à gauche, de la capacité à s'unir. Si la présidentielle avait lieu demain, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, qui, chacun à sa manière, incarnent l'espoir d'un renouveau, seraient hors d'atteinte de Le Pen. Ils caracolent tous deux au dessus de 30% d'intentions de vote. Mais l'élection a lieu dans un an. D'ici là, les éléphants vont tout tenter pour faire trébucher Ségolène Royal. S'ils y parviennent, ou si tout simplement elle ne tient pas la distance, rien ne dit qu'un autre candidat socialiste se maintiendra à haut niveau. Surtout si la gauche de la gauche réussit à créer une dynamique avec un candidat unique. Et l'on ne peut même pas exclure qu'un candidat à la candidature battu devant les militants socialistes tente sa chance devant le pays, en solitaire.
A droite, Sarkozy pourra-t-il échapper longtemps au discrédit qui frappe le pouvoir Chiraquien ? Réussira-t-il à éviter les chausse-trappe que Chirac et Villepin ne manqueront pas de dresser sur sa route ? Bref, Le Pen ne peut accéder au second tour que si dans l'un des deux camps la dynamique est brisée. Une hypothèse, qu'on ne peut hélas pas écarter : la droite et la gauche ont montré, dans un passé récent, qu'elles pouvaient être des machines à perdre.

Robert Schneider.

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