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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

Mercredi 25 janvier 2006

Outreau c'est trop

Le Juge non repentantLes suspects

Hélas, la technocratie judiciaire peut devenir pire encore

La tentative de suicide, connue le 24 janvier, de M. Alain Marécaux, un des acquittés d'Outreau, devrait d'abord rappeler à nos technocrates combien les dégâts commis par la machine judiciaire peuvent être irréparables, un quart de siècle après l'abolition de la peine de mort.

Rien n'est, en effet, plus nécessaire en France, et nous le savons de longue date, au-delà de clivages strictement politiques, qu'une réflexion et une réforme de la justice.

Non, la justice ne fonctionne pas bien, aujourd'hui, dans notre pays. Il est un fait que pour la plupart d'entre nous, sur les affaires concrètes que nous avons eu à suivre personnellement, rares sont les cas de solutions judiciaires satisfaisantes. Il faut bien dire que, de nos jours, la phrase "j'ai confiance dans la justice de mon pays" est devenue, hélas, une formule de dérision singulièrement ingénue quand elle n'est pas entièrement hypocrite.

Empressons-nous de souligner quand même qu'il ne s'agit pas de dire qu'elle était parfaite sous la IIIe république, ou qu'il suffirait d'importer sans discernement les procédures judiciaires décrites par Hollywood pour que tout aille mieux du jour au lendemain.

Dès le départ, convenons-en aussi, dès les premières incarcérations, sans aucune charge tangible, de gens criant leur innocence fin 2001, l'affaire d'Outreau, paraissait suspecte, à de nombreux égards.

Et il est sans doute utile de partir de cette scandaleuse injustice, infligée pendant 3 longues années (1), par la machine à d'incontestables innocents, pour réfléchir quant à l'avenir. On verra par exemple que l'absence de preuves matérielles correspond à une évolution caractéristique des affaires pénales actuelles où environ 55 % des dossiers d'assises reposent désormais sur des crimes réputés peu visibles — comme l'inceste, les abus sexuels, la pédophilie, etc. La question des victimes mineures et de leur parole devient alors cruciale. Il est donc légitime, aussi, d'y réfléchir tout particulièrement.

Mais voilà… réfléchir, précisément, ce n'est pas se laisser à nouveau manipuler — ou en tout cas : conditionner — par le système politique et médiatique lui-même…

- qui va s'empresser de sauver, et même de consolider, ses dommageables novations idéologiques des dernières années,

- qui s'apprête donc à en rajouter encore une couche,

- et finalement, qui se propose de détruire, de ce fait, un peu plus ce que la justice française avait pu conserver de dignité, d'efficacité, de légitimité.

Une première question d'abord s'impose.

Elle s'adresse, sinon à la totalité des journalistes, du moins à la plupart de ceux qui s'étouffent d'indignation en ce moment autour de cette affaire : Qu'ont-ils donc écrit, ou radioté, au moment où, précisément, la machine s'employait à broyer l'honneur et la vie des accusés innocents ?

À cette question la réponse est consternante. Le traitement médiatique de la monstrueuse affaire Dutroux en Belgique voisine, exactement à la même époque, a, en effet, largement conditionné, et même tétanisé, les autorités judiciaires et administratives du Pas-de-Calais. Celles-ci ont eu peur de se voir mises en cause comme l'étaient la magistrature et la police belges. Rappelons quand même, si répugnants que soient les délits dont on a accusé faussement les personnes innocentes impliquées dans l'affaire d'Outreau, qu'il ne s'agissait pas de la même chose.

Si on doit donc bien mettre en accusation un système unanimiste frisant le totalitarisme, c'est bien celui de la pensée unique en France qui, en effet, s'engouffre dans des conceptions criminelles d'un type nouveau.

Ne parlons même pas de discrimination. Ce serait trop dangereux (2). Ne parlons pas non plus de discernement : ce serait inviter à discriminer les imbéciles. Demandons-nous en quoi les nouveaux crimes, ceux qui ont été pourchassés plus particulièrement dans les dernières décennies, permettent de rendre impunis les anciens.

De l'ère victorienne qui emprisonna Oscar Wilde dans les affreuses conditions que l'on sait, à l'ère chiraquienne qui invente le délit d'homophobie, on a sans doute déplacé les cibles mais on n'a pas diminué l'intensité de l'intolérance, et on y a ajouté une couche épaisse de tartufferie.

Dans un registre différent, rappelons que l'abus de biens sociaux, délit étrange inventé en 1935 (3), pour protéger les actionnaires, est devenu une arme pour détruire les entreprises et persécuter leurs dirigeants.

Attention : nous ne disons pas ici que la pédophilie serait un délit virtuel. C'est un crime affreux, comme l'inceste, etc.

Mais autrefois c'était avec effroi qu'on parlait du détournement de mineur : ce mot faire ricaner quelque peu aujourd'hui. On considérait, sans complexe, l'idée qu'une relation avec un mineur du même sexe constituait une circonstance aggravante. N'y pensons même plus. Comment concevoir désormais que ce qui est un libre choix d'orientation sentimentale avec un garçon de 15 ans et 1/2 soit un crime abominable à 14 ans et 1/2.

De la sorte si notre Code Pénal Napoléon-révisé-Badinter contient toujours au chapitre VII des dispositions théoriques lourdes destinées à protéger les mineurs, et singulièrement les mineurs de 15 ans, on les prend beaucoup moins au sérieux que ses rédacteurs le croient peut-être.

Prenons le simple exemple de l'article 227-20 supposé réprimer l'incitation de mineurs à la mendicité. La tarification se veut précise et sans équivoque : il existe une peine (alinéa 1) prévue pour les mineurs de 15 à 18 ans : 300 000 francs d'amende et 2 ans de prison. Une autre peine plus grave (alinéa 2) s'applique aux cas des mineurs de moins de 15 ans : 500 000 francs et 3 ans de prison. Cela semble automatique… sur le papier. Car dans la pratique on ne nous dit guère ni le nombre des infractions constatées ni combien son effectivement poursuivies.

La magistrature ne dispose d'aucune marge d'appréciation de la peine, de modulation de l'amende, mais elle peut ne pas poursuivre, elle ne le veut guère et la police peut fermer les yeux, par lassitude. Dans la pratique, ouvrons les yeux : le phénomène fait rage et le Trésor Public n'encaisse pas grand-chose du montant de ces amendes prévues par le Code.

Deuxième remarque ensuite : l'expression unanime, s'agissant du juge d'instruction M. Burgaud, qui apparaît pourtant, et de toute évidence, dans toute cette affaire comme la principale pièce défectueuse du dispositif, consiste à soutenir : "ce n'est pas un individu qu'il faut mettre en cause, c'est un système".

Et on laisse ce lamentable personnage exprimer son absence totale de repentance dans la plus totale impunité. Sa défense consiste à dire : "j'ai suivi la procédure enseignée à l'école, j'ai appliqué les préjugés inculqués par les médiats, je n'ai donc pas commis de faute". Sur un point seulement nous le suivrons, quand il rappelle qu'il n'était pas tout à fait seul.

C'est donc d'abord de cette attitude qu'il faut tirer les leçons, à une époque où il semble si facile de demander pardon à la société et aux victimes, et de l'obtenir de magistrats bien pensants. La médiocrité de certains produits de l'École nationale (unique) de la magistrature n'a d'égale que celle de gens issus du Centre national (unique) de formation des journalistes : on remarquera que nous sommes en face de quasi-monopoles, de filières où domine la pensée unique. Au moins les grandes écoles scientifiques ou commerciales sont en concurrence. Les sous-produits de l'Énarchie, comme l'ENA elle-même ne le sont pas.

Il faut donc se méfier du prêt-à-penser qui dispose déjà, dans ses magasins, d'un prêt-à-réformer fabriqué à l'avance par les mêmes ateliers de confection qui portent la responsabilité des réformes précédentes et de leurs échecs. Plutôt que de chercher à bouleverser du jour au lendemain les institutions judiciaires françaises, et notamment à remettre en cause la fameuse procédure inquisitoire dont on nous dit que d'elle viendrait tout le mal, demandons-nous plutôt quelles sortes d'individus peuplent ces institutions.  Interrogeons-nous sur leurs préjugés idéologiques, sur leurs expériences professionnelles antérieures à celle de la qualité redoutable de juge d'instruction, etc. Demandons-nous aussi si les pauvres moyens matériels dont disposent la justice, la police, la gendarmerie, sont à la hauteur des défis qui leur sont proposés.

Quant aux moyens humains il suffit de parcourir le rapport en 66 pages établi sur l'affaire d'Outreau, à la demande du Garde des Sceaux, par la Direction des affaires criminelles et des grâces, pour comprendre que les centres de formation existant à Gif-sur-Yvette et à Fontainebleau pour la gendarmerie nationale et la police judiciaire font sans doute un travail efficace, quoique lent, pour apprendre à recueillir la parole de l'enfant et pour traiter la délinquance juvénile, mais que l'appareil tant policer que judiciaire n'est pas encore à même de répondre au besoin de spécialisation dans la délicate question des mineurs victimes. Or, les affaires se multipliant, la réponse ne s'improvisera pas.

Et une fois de plus constatons, comme pour la défense nationale, que les tâches indues dans lesquelles l'État républicain s'est embourbé, par l'effet d'une pente démagogique, tout au long du XXe siècle, ruine les possibilités de remplir ses missions essentielles.

Non seulement, en France, l'État intervient là où il est inutile et inefficace, cependant qu'il est absent là où on a vraiment besoin de lui, mais c'est précisément son interventionnisme aberrant qui explique sa carence lamentable.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) Sans parler de dégâts définitifs et strictement irréparables, le 14e accusé suicidé (un ferrailleur de 33 ans), la mère d'un des accusés innocents (précisément M. Marécaux), qui s'est laissée mourir de faim : les ratés de la mécanique judiciaire ont fait ici plus de morts que la peine de mort abolie en 1981 "pour éviter l'erreur judiciaire" n'en aurait faits.
(2) J'apprends ainsi que M. Guy Lefèvre, artisan-charcutier de l’Oise, comparaissant le 7 décembre dernier devant le tribunal de Compiègne pour discrimination à l’embauche vient finalement d’être condamné – le 17 janvier – à deux mois de prison avec sursis, 500 euros d’amende, 4 000 euros de dommages-intérêts au profit du jeune français d’origine afro-musulmane qui l’accusait de discrimination et à un euro de dommages-intérêts au profit de SOS Racisme. La religion mahométane établissant clairement l'interdiction de manger du porc, et même d'en toucher, on conçoit pourtant qu'elle soit incompatible avec la profession de charcutier. Mais là aussi : "respect".
(3) Décret-loi du 4e Gouvernement Laval investi le 7 juin 1935 et autorisé à légiférer par décrets-lois à partir du 17 juillet. Le concept a été repris par un texte appelé "loi" en 1966, enregistré par le parlement de Paris.

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