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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MARDI 21 FÉVRIER 2006

SITUATION DE FRÉDÉRIC BASTIAT ...

BASTIAT

Je commence par une petite nouvelle qui, je l'espère, fera patienter nos amis souscripteurs : le livre de Frédéric Bastiat Harmonies Économiques, chef-d'œuvre devenu introuvable, devrait m'être livré par mon imprimeur préféré fin mars (1).

La dernière édition de ce livre remontait à la publication des Œuvres complètes en 7 volumes au XIXe siècle (2). Il réapparaît – avec quelques mois de retard – à un moment qu'il est permis de considérer comme crucial. Car le libre-échange, et singulièrement la libre circulation des services, sont au cœur du débat civique actuel.

En effet, comme on le verra, Bastiat découvre que la loi fondamentale de l'échange social, et donc de l'économie, ce n'est pas « les produits s'échangent contre les produits » : cette dernière formulation est appelée loi de Jean-Baptiste Say, elle se révèle en fait encore entachée d'une conception matérialiste de la production, commune aux libéraux classiques et aux marxistes.

La véritable loi, celle que Georges Lane dans sa préface propose d'appeler Loi de Bastiat, c'est donc, de façon plus complexe et plus élaborée : « les services s'échangent contre des services ».
Bastiat fut probablement l'économiste français le plus important et le plus génial des deux derniers siècles.

De nombreux textes dont il est l'auteur ont été traduits en anglais ou en d'autres langues, et ils circulent à des centaines de milliers d'exemplaires.

Ceux-ci, comme les excellentes anthologies disponibles (3), constituent la réfutation la plus cinglante des erreurs à la mode. Car les modes actuelles ressemblent terriblement à celles d'hier. Dans certains quotidiens de la pensée unique, il n'y a guère que la date qui change.

Aujourd'hui cependant, Frédéric Bastiat est encore tenu pour quantité négligeable dans son propre pays. On ne voit en lui que le pamphlétaire certes spirituel, mais on le considère comme dénué d'importance puisqu'il ose défendre les libertés.

Le principal homme politique de son département natal des Landes, M. Henri Emmanuelli (!) honore certes courtoisement de son discours inaugural les rencontres d'économistes ou les pèlerinages d'esprits libres qui viennent du monde entier rendre hommage à Frédéric Bastiat, mais il s'esquive discrètement dès qu'il est question de gérer son message et son enseignement.

Frédéric Bastiat : voici donc un homme dont on veut réduire l'œuvre à quelques brillants pamphlets, réfutant par avance les sottises et les méfaits du socialisme, du communisme, du protectionnisme et plus largement encore de l'étatisme.

Certes on lui reconnaît le droit à une gentille statue dans sa ville natale et à une petite rue discrète à Paris. Pas plus.
Pourtant ses Harmonies économiques couronnent son œuvre, explicitent sa pensée et contribuent radicalement à son originalité. Non seulement ses Harmonies économiques tendent à réfuter les conceptions marxistes naissantes – le livre est écrit en 1850 ! – déjà perceptibles, mais elles corrigent aussi certaines conceptions fausses de l'économie politique dite « classique », celle du libéralisme anglais de son temps. Ces erreurs sont imputables principalement à Adam Smith (1723-1790) et à David Ricardo (1772-1823) sur la théorie de la valeur. Certes Bastiat voit en Smith, Ricardo et J.-B. Say (1767-1832) de grands économistes, mais il annonce, plus de 15 ans avant la publication du Livre Ier du Capital de Marx (en 1867), que cette théorie « libérale » de la valeur deviendra bientôt la théorie communiste.

Jacques Garello est, dans la France actuelle, l'un des principaux continuateurs de l'œuvre de Bastiat. Il va ainsi jusqu'à le présenter comme un économiste de la véritable « troisième voie » des deux familles d'erreurs politiques, le socialisme et le conservatisme (4).

La « troisième voie » selon Frédéric Bastiat est ainsi repensée de manière pertinente, et non comme un slogan chèvre-chou à la Tony Blair ou Michel Rocard.

On va découvrir avec « Harmonies économiques » qu'elle se fonde aussi sur une réfutation, par un grand économiste, des erreurs communes aux deux systèmes de pensée, — le marxisme et son précurseur « classique » — découlant de la conception matérialiste de la production.

Face à ces erreurs, Georges Lane dans sa préface aux Harmonies économiques rééditée par nos éditions du Trident, souligne le statut scientifique de l'économiste Bastiat.

Nous aimerions indiquer plus particulièrement aussi sa dimension éthique.

Au-delà de l'ironie, au-delà de l'usage de cette arme douce, avec laquelle il détruit impitoyablement les sophismes adverses, Bastiat professe une vision élevée de l'harmonie du monde : les intérêts légitimes ne sont pas faits pour s'entrechoquer mais au contraire pour converger, pour s'harmoniser. « Les intérêts légitimes, écrit-il, sont harmoniques et non antagoniques. » Les seuls affrontements inexpiables sont ceux résultant des pratiques de prédation.

Oui, Bastiat est insupportable à la fois aux marxistes et aux spoliateurs puisqu'il défend la propriété privé, la liberté et la collaboration des classes, contre le vol, contre la contrainte étatique et contre le communisme.

On comprend pourquoi tant de voix apparemment cacophoniques se sont accordées pour couvrir la sienne.

On comprend aussi qu'il nous tienne à cœur de faire écho à ses idées.

Vouloir l'emprisonner dans des étiquetages philosophiques ou religieux me semble vain. C'était un homme libre (5). Il appartenait de la sorte à la catégorie la plus haute, hélas pas toujours la plus nombreuse, chez les Européens..

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) Petit détail pratique : je leur rappelle que leurs chèques (reçus souvent depuis plusieurs mois, je les remercie de leur confiance) seront encaissés seulement après l'envoi des volumes.
(2) L'édition des Œuvres complètes de 1862 (Guillaumin préfacée par Fontenay) compte un 7e volume rassemblant sa correspondance.
(3) Rappelons l'indispensable volume des « Œuvres économiques » choisies et présentées par Florin Aftalion (216 pages, PUF, Paris, 1983). Les Belles Lettres ont également publié un recueil des « Sophismes économiques » présenté par Michel Leter (290 pages, Paris, 2005).
(4) in Les Échos du 19 septembre 2001 cette tribune est reproduite, en page 72, dans le livre « Aimez-vous Bastiat » présenté par Jacques Garello aux Éditions Romillat.
(5) Le fait bien réel est qu'il appartint dans sa jeunesse à une loge maçonnique aux temps de la Restauration. C'était à une époque où la franc-maçonnerie française n'était pas encore le nid d'utopistes socialistes qu'elle devint dans les années 1840, ni la force militante au service de l'athéisme qu'elle se proclama en 1877, ni l'instrument de la répression sectaire qu'elle se révéla en 1904, ni la machine à recycler les trotskistes qu'est devenu le grand orient depuis 1981. Plus tard, Frédéric Bastiat mourut réconcilié avec l'Église romaine, dont il reçut les derniers sacrements, dans la Ville Éternelle, en 1850.

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